Esclavage en Mauritanie : le CRAN joue les supplétifs des esclavagistes mauritaniens

Guy Samuel Nyoumsi
Le Collectif Représentatif des Associations Noires de France (CRAN) vient de rendre public le rapport d’une visite en Mauritanie organisée et financée par le gouvernement de ce pays et qui s’est déroulée du 23 au 26 septembre 2013. Cette visite, censée s’enquérir de la réalité de l’esclavage, intervenait quelques mois après l’organisation d’un Colloque sur l’Esclavage en Mauritanie tenu à l’Assemblée Nationale française (organisé par la section française de l’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste, IRA-France) et peu de temps avant la publication du rapport annuel sur l’esclavage par l’ONG Australienne Walk Free Foundation qui classa la Mauritanie à la place peu enviable de numéro UN en termes de prévalence de cette tare dans le monde. La publication du rapport du CRAN, intervient, opportunément, plus d’un an après la visite effectuée en Mauritanie, au moment où la quasi-totalité de la direction de l’une des plus emblématiques organisations antiesclavagistes du pays, IRA, croupit en prison à la suite de sa participation à une Caravane pour l’abolition de l’esclavage foncier. Le verdict du procès, qui a été l’occasion d’une démonstration spectaculaire de solidarité de la classe politique mauritanienne et des organisations de la société civile avec le combat antiesclavagiste, sera prononcé le 15 janvier prochain avec le risque, pour les prévenus, d’une peine allant de 3 à 5 ans de prison ferme. Entre cette visite et la publication du rapport correspondant, les militants antiesclavagistes ont volé de succès en succès avec comme point d’orgue de la reconnaissance internationale de leur juste combat l’obtention, par Biram Dah Abeid, président d’IRA, du Prix 2013 de l’ONU pour les Droits de l’Homme.
Il est donc évident qu’aussi bien cette visite (prise en charge sur les deniers de l’Etat mauritanien) que la publication de ce rapport s’inscrivent clairement dans le schéma de communication d’un régime dont le blason peinera à reprendre des couleurs surtout après la condamnation à la peine capitale pour apostasie du jeune forgeron Ould M’Kheitir par des juges qu’il manipule.
Nous ne nous attarderons pas sur les nombreuses approximations de forme qui émaillent le rapport pour consacrer ce commentaire aux remarques de fond. Par exemple quand, page 14, Monsieur Boubacar Ould Messaoud, président de SOS-Esclaves, est mis à la tête d’IRA, ou quand, page 15, le mot « Wali » est traduit par « préfet » ou encore quand le mot « Haratine » est utilisé comme singulier alors qu’il est le pluriel de « hartani »… Après tout, les missionnaires du CRAN ne prétendent pas qu’en trois jours ils aient eu une telle connaissance de la société mauritanienne…
Sur le fond du rapport, la conclusion principale, seule partie qui intéresse le commanditaire de l’opération, est qu’en Mauritanie seules subsistent des séquelles de l’esclavage que la formidable croissance et le vigoureux dynamisme de l’économie mauritanienne, guidés par les orientations éclairées du président Ould abdel Aziz, gommeront en très peu d’années.
Nous sommes très étonnés de l’empressement que met le rapporteur du CRAN pour arriver à cette conclusion. Il est vrai, et le rapport le reconnait, qu’en trois jours « l’on ne peut pas prétendre avoir tout vu ». La mission a, quand même, eu le temps d’auditionner deux ministres (Intérieur et Justice), les présidents des deux chambres (Assemblée Nationale et Sénat), celui du Conseil Constitutionnel, le Procureur de la République, l’Ambassadeur de France, les dirigeants, flanqués de leur staff respectif, du Commissariat des Droits de l’Homme et de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (eh oui ! tout ce décorum existe aussi en Mauritanie !), le directeur de l’Agence chargée de l’éradication des « séquelles » de l’esclavage, de la pauvreté et de l’insertion (Tadamoun=solidarité) mais aussi une vingtaine d’ONG de la société civile (dont le rapport omet de donner la liste, ce qui aurait été fort instructif pour les connaisseurs de la scène mauritanienne qui se rendraient compte que, pour la plupart, il ne s’agissait que d’associations fantoches !).
En trois jours, la mission n’aurait pas pu avoir le temps d’enquêter à l’intérieur du pays ni d’ailleurs d’aller dans les bidonvilles de la banlieue de Nouakchott, peuplés essentiellement de H’ratine. Admettons. Mais ce qui est incompréhensible c’est le fait que la conclusion ne reflète même pas le contenu du rapport ! Comme si le rapporteur comptait su le fait que le lecteur se contenterait de la seule conclusion à l’emporte pièce placée à la fin du document. Voyons plutôt :
– Page 10, réponse de Monsieur SALL, secrétaire général de la Commission des Droits de l’Homme en parlant des cas d’esclavage : « Il nous a été signalé douze cas ». Plus loin : « … La présidence et son équipe ont rassemblé six cas de jurisprudence en la matière… » ;
– Page 16, réponse du Président de l’Assemblée nationale (Messaoud Ould Boulkheir, très curieux que le rapporteur ne cite pas, par leur nom, tous ses interlocuteurs…) : « Nous sommes nombreux à penser que l’esclavage continue ici. Il n’y a pas de chaînes en fer, mais des chaînes religieuses. ». Et encore plus loin : « La patience a permis à tous de l’admettre : l’esclavage existe. » ;
– Page 18, réponse du Président du Conseil Constitutionnel (Monsieur Skheir Ould M’Barek, non nommé, lui non plus par son nom !) : « Sur le plan du droit, la question de l’esclavage ne se pose plus. L’esclavage a-t-il été éradiqué ? Non, il y a l’aspect pratique. » ;
– Page 22, réponse de l’Ambassadeur de France (non nommé) : « Les pratiques esclavagistes sont plus ou moins acceptées. » ;
– Page 22, réponse des ONG de la société civile : « L’esclavage existe encore en Mauritanie. On ne peut pas en parler. L’Etat Mauritanien ne veut pas qu’on en parle ». Plus loin, page 24 : « L’esclavage est pratiqué en ville, en banlieue, en région… » ou encore « Il y a d’autres formes d’esclavage. Les enfants confiés à des marabouts. Enfants contraints d’amener de l’argent à des marabouts… ».
Malgré ce florilège de citations extraites de leur rapport, les missionnaires du CRAN, Messieurs Louis Georges TIN, président, Guy Samuel NYOUMSI, vice-président, Norbert TRICAUD, avocat et Adrien ROGISSART, chargé de relations publiques trouvent le culot (le cran) de considérer qu’il ne s’agit là que de séquelles aisément surmontables par une lutte adéquate contre la pauvreté. Etrange retournement que celui que vient d’opérer la direction de cette association qui, il y a de cela un an, réclamait, à cor et à cri (voir ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=KryqS2gUXDo) la mise en place d’un observatoire des pratiques esclavagistes en Mauritanie. IRA lance une invitation à Maître Norbert TRICAUD pour venir assister au verdict du procès de « l’esclavage foncier » au tribunal de Rosso le 15 janvier prochain. Il pourra voir par lui-même que là où pour lui «…Les avancées de la Mauritanie dans le dossier des séquelles de l’esclavage sont appréciables » des militants antiesclavagistes pacifistes peuvent prendre jusqu’à 5 ans de prison ferme pour « attroupement, appartenance à une organisation non autorisée, rébellion… et autres chef d’accusation d’un autre âge. Si une telle visite permettait d’ouvrir les yeux de M TRICAUD sur tout ce qu’il n’a pas eu le temps de voir, IRA pourrait faire l’effort de lui financer un déplacement un peu plus long en Mauritanie…
Nouakchott le 12 janvier 2015 La Commission de Communication

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