Pourquoi l’esclavage est toujours une réalité en Mauritanie (LesInrockuptibles)

Aboli, criminalisé, considéré comme un crime contre « l’humanité ». Et pourtant, l’esclavage en Mauritanie reste une pratique courante. Entretien avec Biram Dah Abeid, figure de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie et président de l’Initiative pour la Résurgence du mouvement abolitionniste (IRA).

Combien de personnes sont-elles victimes d’esclavagisme en Mauritanie ? The Global Slavery Index et Amnesty International estiment qu’il existe encore 43 000 victimes, soit un pourcent de la population.

Il existe beaucoup de controverses autour des chiffres de l’esclavage en Mauritanie et une mauvaise foi de la part des autorités. Les autorités font partie du groupe dominant arabe Sanhadja, qui fondent leur mode de vie et leur gouvernement sur l’esclavage. Ils ne veulent pas faire de statistiques fiables sur cette pratique.

Les Nations Unies et l’Union Européenne ont voulu financer des projets d’enquêtes quantitatives sur l’esclavage dans le pays. Mais les autorités ont toujours refusé. Nous estimons le nombre d’esclaves par ascendance, c’est à dire des personnes héritées par d’autres personnes sur lesquels s’exercent tous les attributs de la propriété privée (des personnes qui travaillent sans salaire, sans soin, qui n’ont pas de pièces d’état civil, qui ne peuvent pas voyager ni se déplacer, qui n’ont pas le droit d’être propriétaire) : ce sont 20 % de la population et environ 40% de la population Haratines, c’est à dire les autochtones noirs mauritaniens.

Amnesty International et les autres associations n’ont jamais pu faire correctement les statistiques en Mauritanie. Ils ont seulement des estimations. Les fils et petits fils d’esclaves sont mieux situés pour estimer leur nombre car les organisations n’ont pas le droit de faire des statistiques dans le pays.

Quel est ce type d’esclavage ?

C’est l’esclavage par la naissance. Ce sont des personnes qui sont appelés esclaves « soudan », ce sont les Noirs. Ici, le mot Noir est synonyme d’esclave. Les arabes et les berbères sont devenus une seule communauté, une communauté arabisée. Ils ont fondé une société basée sur l’esclavage. Dans le code d’honneur des Maures mauritaniens, les travaux manuels et ménagers sont vus comme quelque chose de décadent. C’est pourquoi depuis longtemps, ils ont affecté les populations noires à ces types de travaux.

L’esclavage se transmet par la ligne de la mère. Si vous avez une esclave, le jour où celle-ci met au monde un enfant, vous pouvez le vendre, le céder, le louer. Il existe un code d’esclavage très fourni en Mauritanie, il date de plusieurs siècles. Celui-ci est extrêmement machiste et dit que les maitres peuvent disposer des fillettes ou des femmes esclaves à leur guise. Elles servent d’objet de plaisir. L’esclavage est très légitimé en Mauritanie.

Pourtant, l’esclavage est aboli depuis 1981 et criminalisé depuis 2007. En 2015 une nouvelle loi durcissant la répression a été votée et l’esclavage est depuis reconnu comme un « crime contre l’humanité ». Ces lois ne sont donc pas appliquées? 

Il existe même une inflation de lois abolitionnistes en Mauritanie. Seulement, les lois sont écrites seulement pour plaire à l’international. Elles sont créées avant les grandes conférences internationales sur les droits de l’Homme par exemple. Elles sont faites pour l’extérieur, pour les partenaires de la Mauritanie. Les autorités françaises par exemple veulent que les autorités mauritaniennes édictent des lois contre l’esclavage. Cela facilite le partenariat et les relations. La France possède alors une image positive.

Mais ça c’est toujours que sur le papier. Il y a eu seulement trois condamnations pour esclavagisme. Deux personnes ont été condamnées à vingt ans de prison pour crime d’esclavage mais ces deux personnes n’ont jamais été arrêtées, l’une d’entre elle est d’ailleurs morte depuis longtemps. Une troisième n’a fait que trois mois et est maintenant libre. Pourtant, des centaines de crimes d’esclavage ont été dénoncés devant les tribunaux par l’IRA.

Si les lois sont appliquées, elles seront appliquées sur les politiciens, les députés qui ont eux aussi des esclaves à la maison. Ceux-là même qui nient l’existence de l’esclavage. Ils sont dans le mensonge et le déni.

De nombreux militants anti-esclavagistes sont arrêtés et sont parfois victimes de violences notamment lors de manifestations. Vous même avez été condamné à deux ans de prison. Pourquoi les militants contre l’esclavage sont-ils autant menacés ?

Hélas, ce sont toujours les anti-esclavagistes qui sont attaqués et mis en prison. Depuis septembre, il y a 17 procès qui ont été intentés à des activistes anti esclavagistes de notre mouvement. Moi même j’ai été en prison, j’ai déjà une fois été condamné à mort. Si quelqu’un conteste publiquement le code d’esclavage mauritanien il sera poursuivi, car le code est considéré comme un document sacré.

Deux des dirigeants de l’IRA sont en prison depuis deux années. Ils sont condamnés à cinq ans de prison parce qu’ils ont manifesté contre l’esclavage. Les peines peuvent aller jusqu’à quinze ans. Les autorités n’acceptent pas que des personnes manifestent.

Pour quelles raisons avez vous commencé à militer contre l’esclavage ?

Je suis un descendant d’esclaves. J’ai fait la promesse à mon père à l’âge de dix ans lorsqu’il m’a mis à l’école d’étudier, d’avoir le savoir pour pouvoir combattre l’esclavage de manière intellectuelle, par les idées. Depuis lors, je suis un militant anti esclavagiste. Je vois chaque jour l’esclavage et ses désolations devant moi. C’est une des sources de mon engagement.

Comment parvenir à éradiquer durablement ce phénomène ?

L’esclavage ne peut être éradiqué tant que ce sont des esclavagistes, qui pratiquent l’esclavage chez eux et qui sont moralement et idéologiquement avec l’esclavage, qui sont au pouvoir. En ce moment, l’extrême droite arabe Sanhadja est au pouvoir, une ethnie qui pratique l’esclavage depuis la nuit des temps. Le président est Mohamed Ould Abdel Aziz. Tant que lui et ce groupe seront au pouvoir, l’esclavagisme ne peut pas être éliminé car ils continuent à défendre cette pratique et à persécuter les militants anti esclavagistes.

Emmanuel Macron s’est rendu en Mauritanie le 2 juillet à l’occasion du sommet de l’Union Africaine. Vous lui avez adressé une lettre ouverte. Qu’attendez-vous du président français ?

Nous attendons d’Emmanuel Macron qu’il pense aux principes fondateurs de la République française, de son patrimoine dans la lutte pour les droits de l’Homme. Nous pensons que la France est une puissance qui a des liens importants avec l’Afrique. La majorité des Mauritaniens sont victimes d’oppression dans leur propre pays à cause de la couleur de leur peau ou à cause de leur naissance : nous attendons de la France et de son président qu’ils ne soutiennent pas un gouvernement protégeant l’esclavage. Et surtout étant donné qu’Emmanuel Macron a fait récemment des déclarations contre l’esclavagisme en Libye.

Vous êtes candidat pour les élections présidentielles en 2019. Le combat contre l’esclavage sera votre priorité première ?

Bien sûr. Je suis pour le moment le seul candidat déclaré aux élections de 2019. L’éradication totale de l’esclavage sera un thème central de mon programme présidentiel. Notamment en appliquant strictement les lois et en déconstruisant les idéologies portant sur l’esclavage. Cela passe aussi par le travail équitable et rémunéré et la fin de l’exclusion de certains groupes.

05/07/18 09h43

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