Ce 28 novembre, la Mauritanie se souvient aussi du massacre d’Inal (Le Point)
HISTOIRE. Si la Mauritanie célèbre en ce jour son indépendance, cette date marque un événement plus douloureux : le massacre de 28 militaires en 1990, pendus parce que noirs.
Par Le Point Afrique
Pour le 59e anniversaire de son indépendance, la Mauritanie n’a pas dérogé aux traditions. C’est tôt ce jeudi 28 novembre que s’est déroulé à Akjoujt, ville située à 250 km de la capitale – un gigantesque défilé militaire, qui a vu flotter dans les airs le drapeau rouge, jaune et vert. Images d’archive, démonstration des forces armées, chants à la gloire de Mokhtar Ould Daddah, le premier président de la Mauritanie indépendante. Un moment solennel pour le nouveau président Mohamed Ould El-Ghazouani qui a réuni, chose rare, les principaux leaders de l’opposition à défaut de la présence du président sortant Mohamed Ould Abdelaziz resté loin des festivités.
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Un massacre et une période encore taboue
Mais pour une partie des Mauritaniens, ce drapeau est entaché de sang. En effet, le 28 novembre marque le triste souvenir du massacre de 28 militaires mauritaniens de la base d’Inal, dans la région de Nouadhibou, la capitale économique, située dans le nord du pays. « Le mois de novembre est une page sombre de l’histoire de la Mauritanie », a indiqué Bocar Lam Toro Kamara, président du Collectif des orphelins des victimes civiles et militaires 1986 à 1991 (Covicim), lors d’une conférence presse tenue mardi à Nouakchott. « 28 militaires négro-africains ont été pendus à Inal la veille du 27 au 28 novembre 1990 pour la commémoration de l’indépendance de la Mauritanie, sous le commandement de l’ancien chef de l’État Maouya Ould S’Ahmed Taya, sans compter les différentes tueries et tortures qui avaient eu lieu dans plusieurs camps militaires (Azlat, Jreiida…) et fosses communes dans toute l’étendue du territoire national », a poursuivi Bocar Lam Toro Kamara. Pourquoi cet épisode se détache-t-il en particulier ?
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Les témoins racontent
Il faut savoir que le sujet est encore tabou, mais dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990, 28 soldats mauritaniens avaient été pendus, un à un, au même endroit et tous étaient négro-africains, c’est-à-dire noirs. Ils avaient été minutieusement sélectionnés parmi les prisonniers arrêtés les jours précédents ensuite marqués d’une croix et d’un numéro allant de 1 à 28. L’exécution eut lieu dans cet ordre à partir de minuit. Et comble de l’horreur, ce sont leurs propres camarades de troupe qui ont eu la charge de commettre l’indicible pour célébrer le trentième anniversaire de l’indépendance du pays. Les témoignages des survivants ont été dévoilés bien plus tard. Notamment à travers l’ouvrage collectif de 17 officiers rescapés survivants des massacres intitulé Notre part de vérité, paru en 1991. Dans son livre L’Enfer d’Inal publié en 2000, Mahamadou Sy, qui était commandant de base dans l’armée mauritanienne, avant son arrestation, raconte avec forces et détails les tortures, en somme, l’horreur indescriptible qu’ont vécue lui et d’autres hommes. « Entre deux pendaisons, Khattra s’assoit sur un cadavre pour siroter son verre de thé ou au pied d’un pendu en récitant des versets du Coran. Il va d’un pendu à l’autre, achevant ceux qui tardent à mourir à coup de barre de fer, s’appliquant à porter les coups dans la région du cou », écrit-il page 121. Mais Inal n’est qu’un exemple parmi d’autres. Des horreurs ont eu lieu à Azlatt, à Sory Malé, à Wothie, à Walata, à Jreida et dans toute la vallée. Mahamadou Sy est accusé, pour sa part, d’avoir protégé des Sénégalais lors des événements sanglants d’avril 1989 et parlé leur langue, le wolof : « J’étais loin de me douter que le fait de parler aux gens dans leur langue ou de ne pas les torturer représente une faute grave aux yeux de mes chefs. Aujourd’hui, un an et six mois après, le lieutenant Yezid me le sort comme chef d’accusation. Je suis en train de payer pour la souffrance que je n’ai pas su infliger aux autres. »
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Au petit matin, les corps ont été enterrés sur un terrain derrière la base d’Inal. Les rescapés seront libérés quelques mois plus tard seulement. Pourquoi les a-t-on libérés ? que s’est-il passé dans le commandement ? Qui sont les tortionnaires et les donneurs d’ordre ? De nombreuses questions sont restées sans réponses depuis vingt-six maintenant. Mahamadou Sy a raconté qu’on lui a tout juste demandé « d’oublier » ce qui s’est passé et de mettre cela sur le compte de la fatalité.
Impunité
La fatalité ? Difficile de croire à cette thèse, car le massacre d’Inal et bien d’autres s’inscrivent dans un contexte de répressions sans précédent à l’égard des Négro-Africains qui a pris racine dès les années d’indépendance. Puis les choses sont allées de mal en pis jusqu’aux événements des années 1986-1991. Cette période a pris le nom « des années de braises ». Elles commencent après la publication du « Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé » par le mouvement des Forces de libération africaines de Mauritanie (FLAM), les arrestations des militants s’accentuent. Cet ouvrage a consisté à démontrer les problèmes réels de coexistence entre les deux communautés raciales qui existaient. Après les intellectuels, le corps militaire est devenu dès 1987 la cible d’une véritable opération de diabolisation orchestrée par le régime du colonel Maaouya ould Sid’Ahmed Taya (1984-2005). Plus de 3 000 gendarmes, policiers, gardes et militaires noirs sont ainsi radiés. S’ils ne sont pas radiés, ils disparaissent dans les camps militaires.
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Mais trois ans plus tard, les événements des années 1990 sonnent résolument comme un entêtement des autorités, une purge puisqu’il n’y a plus de motif d’arrestations. Ainsi, en novembre 1990, 250 prisonniers seront conduits à Inal, mais seuls 96 auront la chance d’en repartir. Au total, des centaines de militaires mauritaniens noirs seront tués entre 1989 et 1991 dans le pays. « Les tortionnaires », même si en Mauritanie on ne les appelle pas comme ça, dans tous les cas les coupables, ne seront jamais punis, et une loi d’amnistie adoptée en 1993 finit même par clore en quelque sorte ce dossier brûlant. Entre-temps, l’escalade de la répression a fait des milliers de déplacés et d’exilés mauritaniens tout simplement renvoyés dans des pays voisins comme le Sénégal ou le Mali. En 1989, quelque 70 000 Négro-Mauritaniens étaient expulsés de leurs terres.
En prenant le pouvoir en 2008, le président Mohamed Ould Abdel Aziz décide de régler ce qu’on appelle ici, « le passif humanitaire ». Dans ce cadre, il a octroyé des « aides » ou des « réparations », d’abord aux ayants droit des victimes, ensuite des rescapés, organisé la prière de Kaédi, reconnu la responsabilité de l’État, demandé le pardon puis clôturé dossier.
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