Application de la législation anti-esclavage en Mauritanie : l’incapacité permanente du système judiciaire à prévenir, protéger et punir
Application de la législation anti-esclavage en Mauritanie : l’incapacité permanente du système judiciaire à prévenir, protéger et punir
Report in French ; Report in English ; Report in Arabic
Principales constatations
• En dépit d’une loi anti-esclavage votée en 2007, l’esclavage reste répandu en Mauritanie. Les personnes vivant dans des conditions d’esclavage sont régulièrement battues, intimidées, séparées de force de leurs proches et leurs droits sont bafoués de multiples façons, incluant le harcèlement sexuel. L’esclavage en Mauritanie est plus présent que dans tout autre pays du monde et constitue une crise des droits de l’homme qui requiert une grande attention et un travail dédié du gouvernement mauritanien.
• L’application de la loi de 2007 qui pénalise l’esclavage a été entravée par l’incapacité permanente de la police et des autorités administratives à prendre en charge les cas d’esclavage qui étaient portés à leur connaissance, des procureurs à mener une enquête appropriée sur les affaires signalées et des juges, à chaque étape du processus judicarie, à respecter les procédures ou punir les maîtres d’esclaves conformément à la loi. Depuis la promulgation de la loi, un seul maître d’esclaves a été arrêté et a reçu une sentence inférieure à celle requise par la loi. Cette incapacité à faire appliquer la loi et à poursuivre les fonctionnaires qui n’en respectent pas les termes perpétue cette pratique.
• Le gouvernement mauritanien, au lieu de soutenir les anciens esclaves et ceux qui luttent contre l’esclavage dans la société civile, réprime activement les manifestations anti-esclavage. En novembre 2014, trois activistes ont été arrêtés pour terrorisme et condamné en janvier 2015 à une peine de deux ans d’emprisonnement. En juillet 2015, les manifestants qui s’étaient rassemblés pour demander leur libération ont reçu des gaz lacrymogènes et ont été arrêtés par la police. En août 2015, l’appel contre les condamnations a été rejeté. L’arrestation et la poursuite des activistes par le gouvernement mauritanien n’indiquent pas aux esclaves anciens et actuels ou à leurs avocats que le gouvernement cherche vraiment à mettre fin à la pratique de l’esclavage en Mauritanie, en particulier lorsque
les maîtres d’esclaves ne sont pas poursuivis.
• Une loi anti-esclavage révisée a été approuvée par l’Assemblée nationale en août 2015. Cette nouvelle loi autorise les condamnations légèrement plus sévères pour les fonctionnaires qui n’enquêtent pas sur les cas d’esclavage et prévoit des sanctions plus lourdes pour les fonctionnaires qui pratiquent l’esclavage. Elle autorise également les organisations des droits de l’homme dont la création officielle date de plus de cinq ans à plaider des dossiers pour le compte de victimes. Bien que cette loi anti-esclavage améliorée soit un pas en avant, le gouvernement de Mauritanie doit s’engager pour une application stricte afin d’éradiquer l’esclavage dans le pays.
1 Introduction
1.1 Une épidémie d’esclavage en Mauritanie
Bien qu’en 1981 la Mauritanie soit devenue le dernier pays au monde à abolir l’esclavage,1 cette pratique perdure à ce jour. L’esclavage racial reste répandu dans ce pays d’Afrique occidentale, où il touche principalement le groupe Haratine.2 Les Haratines sont des descendants d’esclaves ; leur statut se transmet de mère à enfant. Bon nombre sont encore sous le joug de l’esclavage aujourd’hui, traités comme des objets qui appartiennent à leurs maîtres, vivant sous leur contrôle direct et ne recevant aucune rémunération pour leur travail. Les hommes s’occupent principalement des troupeaux ou travaillent les terres de leurs maîtres, tandis que les femmes sont majoritairement occupées aux tâches ménagères, à transporter et nourrir les enfants des maîtres et souvent à soigner les animaux.
Les garçons et les filles commencent à travailler pour leurs maîtres très tôt. Ils doivent aller tirer l’eau du puits, ramasser du bois, cuisiner, laver les vêtements, faire le ménage, s’occuper des enfants de leurs maîtres et dresser et déplacer le campement. Les esclaves sont en général victimes de harcèlement physique et verbal. Les jeunes filles et les femmes sont souvent violées par leurs maîtres. Les enfants des esclaves sont également considérés comme la propriété des maîtres et, comme tous les autres esclaves, peuvent être loués, prêtés, offerts en cadeau de mariage ou reçus en héritage par les enfants des maîtres. Après une visite en Mauritanie en novembre 2009, l’ancienne Rapporteuse spéciale des Nations Unies (NU) sur les formes modernes d’esclavage, Gulnara Shahinian, a décrit l’esclavage en Mauritanie comme un « processus lent et invisible qui entraîne la « mort sociale » de plusieurs milliers d’hommes et de femmes ».3 Il est très difficile de savoir combien de personnes vivent dans des conditions d’esclavage à l’heure actuelle. Le dernier recensement de population date des années 1960 et les pratiques d’esclavage se font en général à l’abri des regards.
Ce rapport examinera les approches légales actuelles visant à éradiquer l’esclavage dans le système judiciaire mauritanien, plus précisément l’efficacité d’une loi votée en 2007 qui avait pour but d’éradiquer l’esclavage et la validation récente en août 2015 d’une nouvelle loi anti- esclavage qui vise à renforcer les dispositions précédentes
contre cette pratique. Une étude publiée portant sur 26 études de cas rapportées par deux organisations des droits de l’homme en Mauritanie, SOS-Esclaves et l’Initiative de la Résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA),4 a montré une totale incapacité du système judiciaire à mettre en œuvre et appliquer la loi de 2007. Ce rapport, portant sur plusieurs affaires de ce type et plusieurs autres cas récents, analyse précisément cette incapacité à différents stades du processus pénal, de l’enquête policière initiale à la condamnation, en passant par les poursuites judiciaires. Ces affaires démontrent une absence de volonté de punir la pratique de l’esclavage et décrivent les stratégies courantes des autorités pour empêcher l’application de la loi de 2007 contre l’esclavage ; une situation qui, sans volonté politique adaptée, pourrait perdurer malgré l’adoption récente d’une nouvelle législation contre l’esclavage en remplacement de celle de 2007.
1.2 Tentatives ratées de la Mauritanie pour éradiquer l’esclavage
Dans le droit international, l’esclavage est défini comme « l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit propriété ou certains d’entre eux ».5 Cette définition a été reprise par bon nombre de conventions internationales, notamment la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratique analogues à l’esclavage (1956). Les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) élaborées pour mettre fin au travail forcé ont renforcé la structure de lutte contre les pratiques similaires à l’esclavage (29 et 105). Plus tard, des conventions ont été rédigées pour couvrir les formes émergentes d’esclavage, notamment la Convention 182 de l’OIT (1999) sur les pires formes de travail des enfants et le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants (2000).
La Mauritanie a signé l’ensemble de ces conventions internationales sur les droits de l’homme qui interdisent expressément l’esclavage et toutes les pratiques analogues. Elle a également ratifié les conventions suivantes, pertinentes dans le contexte de ce rapport : la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention sur les droits de l’enfant et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution d’enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. Toutefois, la Mauritanie a émis des réserves fondées sur la loi de la Sharia islamique par rapport au Pacte relatif aux droits civils et politiques, à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et à la Convention sur les droits de l’enfant.
La Mauritanie a également ratifié les instruments régionaux suivants : la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (qui interdit l’esclavage), le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples sur les droits des femmes en Afrique, et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.
Au niveau national, la Mauritanie a voté sa loi contre l’esclavage de 2007, qui autorisait la poursuite et la condamnation des maîtres d’esclaves.6 Bien que la loi de 2007 ait désormais été remplacée par une nouvelle législation anti-esclavage approuvée en août 2015, toutes les études de cas considérées dans ce rapport ont été présentées sous la loi de 2007 et c’est la non-application de cette loi qui constitue le cœur de ce rapport. En 17 articles, la loi donne une définition basique de l’esclavage et interdit la discrimination sur la base du statut d’esclave. Elle prévoit une peine de 5 à 10 ans d’emprisonnement et une amende de 500 000 à 1 000 000 d’ouguiyas, soit entre 1 600 et 3 200US$,7 pour un délit d’esclavage. Elle prévoit plusieurs autres délits relatifs à l’esclavage, comme par exemple le délit de priver un enfant esclave d’un accès à l’éducation, le délit de forcer une femme esclave à se marier ou de l’empêcher de se marier, le délit de produire une œuvre culturelle ou artistique faisant la promotion de l’esclavage, et le délit de violer l’intégrité physique d’un esclave. Peut-être plus important encore, la loi prévoit des sanctions pour tout fonctionnaire qui « n’enquête pas sur des dénonciations de pratiques d’esclavage qui lui sont rapportées ».8
Malgré ces instruments légaux internationaux et nationaux censés éradiquer l’esclavage, les pratiques internes au pays, par des fonctionnaires d’État et régionaux, ont continué à entraver les efforts visant à soutenir les anciens et actuels esclaves. Des organisations locales rapportent un refus d’appliquer la Loi sur l’esclavage de 2007 ou de faciliter sa mise en œuvre à tous les niveaux de l’État, ainsi qu’un déni et une dissimulation
importante de l’esclavage. Mohamed Ould Abdel Aziz, président de la Mauritanie, a publiquement nié l’existence de l’esclavage et a suggéré que, si l’exploitation existe, c’est que des personnes ont choisi de rester esclaves : « en Mauritanie n’est esclave que celui qui veut l’être ».9
Concernant la législation contre l’esclavage de 2007, les affaires répertoriées dans ce rapport montrent une incapacité totale des systèmes administratifs, policiers et judiciaires à faire appliquer la loi. Au niveau des autorités administratives et de la police, très peu d’efforts ont été faits pour retrouver des victimes d’esclave connues, enquêter sur des cas d’esclavage qui leur sont rapportés, ou transmettre des affaires aux procureurs. Au niveau judiciaire, les procureurs n’ont pas été en mesure de conduire des enquêtes pénales approfondies, se contentant souvent de requalifier les plaintes pour esclavage en d’autres charges sans lien avec le sujet initial ou de parvenir à des accords à l’amiable contre les intérêts de la victime. De même, les juges n’ont pas fait appliquer la procédure concernée et ont souvent retardé les affaires. Une seule affaire a conduit à une condamnation, et le maître d’esclaves condamné a reçu une peine d’emprisonnement bien inférieure à celle prévue par la loi.
Suite à la promulgation de la loi en 2007, un Programme pour l’éradication des séquelles de l’esclavage (PESE) a été créé par le gouvernement en 2009, qui aurait entrepris de lutter contre la pauvreté des communautés d’ascendance d’esclaves. Néanmoins, aucun détail concernant la répartition ou l’utilisation des fonds ne semble avoir été publié. SOS-Esclaves connaît plusieurs survivants de l’esclavage qui ont reçu de petites sommes d’argent du programme, soit sous la forme d’un versement unique soit d’un petit versement mensuel. Mais l’aide financière apportée aux survivants a été totalement insuffisante pour répondre à tous leurs besoins. Les survivants n’ont pas reçu de soutien systématique, et le programme ne prévoyait pas d’autres formes d’assistance dont ils avaient en général besoin, comme des interventions psychosociales, une formation professionnelle ou une assistance juridique. Ce programme ne disposait pas des ressources nécessaires pour lutter correctement contre l’esclavage et n’avait que peu de moyens pour le travail de proximité visant à suivre et identifier les victimes de manière systématique et généralisée. De plus, il n’était destiné qu’aux « séquelles » de l’esclavage et non à l’esclavage lui-même.
En mars 2013, le PESE a été dissous et remplacé par l’Agence Nationale de Lutte contre les Séquelles de l’Esclavage, de l’Insertion et de Lutte contre la Pauvreté, également appelée Tadamoun, pour lutter contre les séquelles de l’esclavage, la pauvreté et favoriser l’intégration des esclaves libérés. Mais il semble qu’une approche similaire à celle du PESE a été appliquée jusque-là, avec peu d’informations disponibles sur les plans de l’agence et des efforts insuffisants entrepris pour consulter ou collaborer avec les organisations de la société civile œuvrant pour mettre fin à l’esclavage.
En dépit du fait que le gouvernement mauritanien ait ratifié les conventions internationales et régionales sur les droits de l’homme citées précédemment, ce rapport démontre l’incapacité délibérée et systématique du gouvernement à protéger ses citoyens de l’esclavage en enfreignant gravement ses propres lois et les lois régionales et internationales sur les droits de l’homme. Boubacar Messaoud, président de SOS-Esclaves, a affirmé qu’ « une plus forte pression est nécessaire pour suivre ces affaires et veiller à ce que justice soit rendue ».10 Ce rapport espère donc permettre aux défenseurs des droits de l’homme de mieux comprendre le système judiciaire mauritanien et son incapacité à les soutenir dans leurs efforts de lutte.
1.3 Répression des défenseurs des droits de l’homme anti- esclavage en Mauritanie
Outre son incapacité juridique à tenir son engagement pour l’éradication de l’esclavage, le gouvernement mauritanien ne coopère pas avec la société civile à ce sujet. À l’inverse, le gouvernement etouffe activement les voix d’anciens esclaves et de défenseurs des droits de l’homme. Parmi les organisations de protection des droits de l’homme qui ont été affectées par les tentatives gouvernementales de suppression des partisans anti- esclavage, on trouve SOS-Esclaves et l’IRA, les groupes qui ont fourni les affaires utilisées dans ce rapport. Ces associations sont depuis longtemps au premier rang de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie. Elles cherchent à exposer la réalité des pratiques, à changer les mentalités et à défendre les droits de ceux qui cherchent à échapper à l’esclavage. Elles travaillent également pour mettre fin à la discrimination rencontrée par les personnes d’ascendance d’esclaves.
SOS-Esclaves a été créée en 1995 puis déclarée illégale en 1998 avant d’obtenir une reconnaissance officielle en 2005 grâce à la pression de la communauté internationale. En 2009, Boubacar Messaoud, président de SOS-Esclaves, a reçu le Prix international de la lutte contre l’esclavage et en décembre 2010 SOS-Esclaves a reçu le Prix des droits de l’homme de la République française pour son engagement dans la lutte contre l’esclavage. L’IRA, par ailleurs, tente sans succès d’être officiellement enregistrée depuis sa création en 2008. À ce jour, elle est confrontée à un refus systématique et infondé des autorités, malgré le Prix Weimar des droits de l’homme décerné au président de l’IRA en 2011 pour son travail contre l’esclavage, ainsi
que le Prix des Nations Unies des droits de l’homme en 2013 et le Prix Front Line Defenders pour la défense des droits de l’homme.
En novembre 2014, Ould Abeid a été arrêté avec Brahim Bilal Ramdane, vice-président de l’IRA, et Djiby Sow, président de l’association civique Kawtal Ngam Yellitaare, au titre de la loi anti-terrorisme pour « appartenance à une organisation non reconnue, ayant mené à un rassemblement non autorisé et actes violents à l’encontre de la police ».11 Les activistes avaient organisé un convoi anti-esclavage et parcouraient le pays pour organiser des ateliers sur les efforts anti-esclavage et les droits fonciers et discuter des pratiques d’exploitation telles que les déportations et les expropriations de terres.12 Tous trois ont par la suite été condamnés à une peine de deux ans d’emprisonnement en janvier 2015. L’IRA a publié un communiqué de presse dénonçant la condamnation, affirmant que le verdict « était plus politique que légal ».13
Cette condamnation a également soulevé l’indignation des organisations internationales des droits de l’homme. Fatimata Mbaye, présidente de l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH) et ancienne vice-présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), a déclaré :
« ce verdict montre une fois de plus que la volonté politique de régler les litiges fonciers, l’esclavage et le passif humanitaire est plus que biaisée et dénote d’un manque de courage pour résoudre de manière définitive la question de l’esclavage considérée pourtant comme crime contre l’humanité dans la constitution mauritanienne. »14
Ce verdict a également indigné la communauté anti- esclavage de Mauritanie. En juin 2015, plus de 100 membres de l’IRA se sont rassemblés dans une démonstration pacifique pour demander la libération des activistes. La police a débarqué avec de grandes quantités de gaz lacrymogène et a utilisé des matraques pour frapper les manifestants et stopper la protestation. Vingt-trois manifestants ont été arrêtés.15 Les condamnations ont par la suite été confirmées par un tribunal mauritanien en août 2015.16
Le gouvernement de Mauritanie a déclaré son intention de réprimer la pratique de l’esclavage et a signé plusieurs traités internationaux à cet effet. De récents événements reflètent pourtant une crise accrue et des efforts abusifs du gouvernement pour forcer au silence les personnes qui dénoncent l’esclavage. Dans la plupart des cas, ce sont les organisations telles que SOS-Esclaves et l’IRA qui recherchent les victimes d’esclavage et les aident à intenter des procès en vertu de la loi de 2007. Ces récentes arrestations et condamnations des leaders du mouvement anti-esclavage, suivies d’une répression violente de manifestations pacifiques, renforcent l’incapacité du système judiciaire pénal et permettent à l’esclavage de subsister en Mauritanie.
1.4 La loi anti-esclavage de 2015 en Mauritanie
En 2010, la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage de 2008 à 2014, Gulnara Shahinian, a publié un ensemble de recommandations demandant au gouvernement mauritanien d’adopter une stratégie nationale pour lutter contre l’esclavage et modifier la loi anti-esclavage de 2007.17 En réponse, en mars 2014, le gouvernement mauritanien a publié une feuille de route décrivant une série de mesures concrètes à prendre pour suivre les recommandations de la Rapporteuse spéciale.18 En avril 2015, un projet de loi modifiant la loi de 2007 a été introduit par le Premier ministre qui incorporait quelques éléments des recommandations de 2010 et de la feuille de route. Le projet de loi a été adopté en août 2015(19) et remplace la loi de 2007.
La nouvelle loi est une étape positive. Dans ses 26 articles, elle fait de l’esclavage un crime contre l’humanité20 et transfère l’acte d’esclavage du rang de « délit » à celui de « crime », ce qui alourdit les peines d’emprisonnement entre 10 et 20 ans pour refléter le nouveau statut de « crime ». Elle fournit des définitions plus précises de l’esclavage, notamment le « placement », qui inclut des situations où une femme est promise en mariage à un homme ou donné à un autre homme au décès de son mari, la « servitude » et la « servitude sous contrat ». La loi de 2015 crée des tribunaux spéciaux dans chaque région pour prendre en charge les affaires d’esclavage, bien que la mise en œuvre exacte de ce système n’ait pas encore été discutée. Le rôle des juges est précisé et impose que tous les droits des victimes soient protégés, même en cas d’opposition au jugement ou d’appel. Peut-être plus important encore, la nouvelle loi permet aux organisations des droits de l’homme légalement enregistrées en Mauritanie depuis cinq ans de représenter des victimes devant les tribunaux.21 Cette disposition est particulièrement importante dans les cas où les victimes peuvent être réticentes à déposer plainte en raison d’une dépendance psychologique ou économique envers leurs maîtres, bien que l’obligation d’enregistrement légal interdise à des groupes comme l’IRA de les représenter.
Bien que les dispositions de la loi de 2015 soient positives, bon nombre de dispositions qui auraient renforcé la loi et conféré des droits et une assistance plus importants
aux victimes ne sont toujours pas incluses. La Rapporteuse spéciale avait appelé à l’inclusion d’une cause d’action au civil, ce qui aurait permis aux victimes d’intenter un procès sans impliquer la police et les procureurs. Elle avait également conseillé d’interdire l’esclavage basé sur l’ethnicité ou la caste, ainsi que toutes les formes d’esclavage moderne, selon une liste plus exhaustive que celle définie dans la nouvelle législation. Elle avait également appelé à une plus grande assistance aux victimes, incluant des plans spécifiques d’indemnisation et de réintégration dans la société, ainsi qu’une assistance médicale, psychologique et matérielle.22 Au-delà des inquiétudes soulevées par la Rapporteuse spéciale, d’autres problèmes persistent tels que l’absence de rétroactivité de l’amendement ; on ne sait pas comment se dérouleront les procès en cours ouverts au titre de la loi de 2007.
En outre, la Rapporteuse spéciale a demandé un renforcement du rôle de l’agence indépendante Tadamoun pour superviser l’application et la mise en œuvre de la loi anti-esclavage.23 L’agence Tadamoun doit assurer une formation de la police et des autorités administratives et judiciaires au niveau national sur la nouvelle loi afin de veiller à ce qu’elles fassent le suivi des affaires d’esclavage qui sont portées à leur connaissance de manière efficace ; former la police, les procureurs et les autorités judiciaires à la prise en charge des victimes de pratiques d’esclavage, en particulier comment créer un environnement sécurisé, de soutien et adapté au genre pour que les victimes fassent appel à des services juridiques ; et créer un fonds spécifique aux esclaves et anciens esclaves pour faciliter l’accès à la justice, l’autonomisation juridique et l’aide humanitaire (incluant des abris d’urgence et des dispositions pour les personnes fuyant leur condition d’esclave).
Bien que le gouvernement mauritanien ait pris des mesures positives en publiant la feuille de route et en votant la nouvelle législation, l’absence de certaines des dispositions énumérées reste problématique. Les activistes anti-esclavage et la communauté internationale de protection des droits de l’homme avaient espéré que les amendements de la loi de 2007 impliqueraient des changements radicaux qui supprimeraient l’incapacité systématique de la police, des procureurs et des juges impliqués dans la procédure pénale, et contiendraient des mesures spécifiques en faveur des victimes d’esclavage et de leur réintégration. Bien que la nouvelle loi contienne quelques nouvelles mesures positives, l’incapacité à mettre en œuvre la précédente législation anti-esclavage laisse bon nombre d’activistes très sceptiques quant à l’engagement du gouvernement dans l’application de ces nouvelles dispositions.
2 Comprendre les systèmes administratif et judiciaire de Mauritanie
2.1 Le système administratif
Une rapide description de l’organisation administrative de la Mauritanie est nécessaire pour comprendre la portée de la loi anti-esclavage de 2007 et sa successeuse, la loi anti- esclavage de 2015. La Mauritanie est divisée en 13 régions appelées wilaya. Chaque wilaya est placée sous l’autorité d’un gouverneur, appelé wali. Le wali est un représentant du gouvernement central et agent de l’État et rend compte au Ministre de l’Intérieur. Le rôle du wali est de superviser la mise en œuvre des décrets du gouvernement central dans la région, d’informer le gouvernement central des avancées dans la région, et de gérer les secteurs de l’éducation, la santé et la prestation de services.24
Les 13 wilayas sont divisées en départements appelés moughataa, gérés par un préfet appelé hakem. Actuellement la Mauritanie compte 54 moughataa.25 Le hakem est également un représentant du gouvernement central à qui il rend compte de l’application des décrets du wali de la région. Le hakem est principalement responsable de la sécurité du département et de services généraux du département. Certains départements sont divisés en arrondissements, chacun géré par un chef d’arrondissement. Bien que les arrondissements existent depuis l’époque coloniale, une ordonnance de 1990 visait à supprimer les arrondissements, mais celle-ci n’a pas été appliquée et les arrondissements, aujourd’hui au nombre de 13, perdurent. Les chefs d’arrondissement sont chargés des affaires à un niveau très local.26
Dans les années 1980, la Mauritanie a entamé un processus de décentralisation qui incluait une disposition dans la Constitution de 1991 créant des « collectivités territoriales » appelées communes, censées être gérées par des conseils élus.27 Il existe aujourd’hui 216 communes.28 Les communes gèrent les affaires au niveau local également, et fonctionnent en parallèle du système administratif des régions, départements et arrondissements. Les responsabilités de chaque système ne sont pas très claires et il n’existe « aucun cadre de référence précisant les qualifications et responsabilités du gouvernement local ».29
2.2 Le système judiciaire
2.2.1 Acteurs
Police judiciaire
Les principaux acteurs du système judiciaire sont la police judiciaire, qui reçoit en premier les avis d’accusation d’esclavage. L’article 19 du Code de procédure pénale détaille les membres de la police judiciaire, qui inclut les walis, les hakems, les chefs, les officiers de police, la gendarmerie, la garde nationale et les unités mobiles de l’armée nationale. La police judiciaire est principalement chargée de procéder aux premières étapes d’une enquête : recueillir les plaintes et les dénonciations, enregistrer les infractions, rassembler des preuves et poursuivre les criminels. Elle est dans l’obligation d’informer le procureur de la République des crimes et délits dont elle a connaissance, et doit remettre toutes les preuves et fournir un énoncé des faits.
Le Parquet
Le Parquet est composé de trois niveaux : le procureur de la République travaille avec les tribunaux de première instance au niveau de la wilaya, le procureur général près la cour d’appel représente l’État devant la Cour d’appel, et le procureur général près la cour suprême représente l’État devant la Cour suprême. Le rôle du Parquet au niveau de la wilaya est primordial car les victimes d’esclavage auront sans doute affaire avec lui. L’article 36 du Code de procédure pénale explique que le Parquet reçoit les dénonciations, les plaintes et les procès-verbaux, souvent transmis par la police judiciaire. Il fait état des dénonciations et procès-verbaux aux autorités d’investigation, demande l’ouverture d’une information et dirige les activités de la police judiciaire dans ce cadre.30 Le Parquet peut décider qu’une affaire ne doit pas passer en justice, auquel cas il doit en informer la partie civile dans les huit jours suivant sa décision et informer la partie civile de son droit d’ouvrir une procédure civile.31
Juges d’instruction
Le juge d’instruction siège au quartier général de la wilaya et joue un rôle très spécifique dans le processus judiciaire. Avant qu’une affaire d’esclavage passe en justice, le juge d’instruction mène sa propre enquête afin de déterminer si les faits constituent une infraction à la loi pénale.32 Le juge d’instruction peut avoir à enquêter sur une affaire à la demande du procureur de la République ou d’une partie civile,33 ou peut ouvrir une enquête à sa discrétion si aucun procureur n’est disponible.34 Si le juge d’instruction décide que les faits ne justifient pas une accusation, le suspect est relâché.35 S’il décide que les faits constituent une infraction à la loi pénale, le procureur de la République transmettra l’affaire au tribunal criminel pour entamer un procès.36 La décision du juge d’instruction peut faire l’objet d’un appel du procureur de la République, du procureur près la Cour d’appel, de la partie civile ou de la personne accusée.37
Parties civiles
Toute personne affirmant être victime d’une infraction pénale peut se porter partie civile sur déclaration à un officier de la police judiciaire38 ou devant un juge d’instruction.39 Devant un juge d’instruction, la partie civile a droit à un avocat,40 et peut demander que des témoins, des experts et des preuves supplémentaires soient inclus dans l’enquête. La partie civile doit être informée de toute décision dont elle peut faire appel dans les 24 heures suivant la décision.41
Devant le tribunal criminel, la partie civile est en droit d’obtenir une copie de toutes les preuves,42 d’interroger l’accusé et les témoins,43 et de faire une déclaration finale.44
Défendeurs
Le défendeur d’une affaire pénale est initialement un suspect faisant l’objet d’une enquête de la police judiciaire. La police judiciaire peut maintenir un suspect en garde à vue pendant 48 heures, mais doit le justifier au juge.45 Si le juge d’instruction l’estime nécessaire, il peut placer le défendeur sous contrôle judiciaire pendant deux mois, renouvelable cinq fois.46 Le juge d’instruction peut également placer le défendeur en détention préventive si nécessaire pendant six mois, renouvelable une fois.47 La demande peut être faite par le procureur de la République
également.48 Le défendeur peut également être mis en liberté sous caution, mais devra quand même comparaître à toutes les procédures.49
2.2.2 Organisation des tribunaux
Les tribunaux de Mauritanie sont régis par le Code de procédure pénale et par l’Ordonnance n° 2007-012 du 8 février 2007, qui crée les tribunaux de première instance, les Cours d’appel et une Cour suprême.50
Tribunal criminel (siégeant dans les tribunaux des wilayas) Il existe des tribunaux de wilaya basés dans chacune des 13 régions, chargés des affaires civiles, administratives, commerciales et pénales.51 Les Cours pénales siègent dans les tribunaux des wilayas et sont composées de trois juges et deux jurés.52 Les affaires sont présentées à la Cour criminelle par le juge d’instruction ou le procureur de la République pour les infractions de niveau inférieur.53
Les Cours d’appel
Actuellement il existe trois cours d’appel basées à Kiffa, Nouadhibou et Nouakchott, chacune d’entre elles couvrant plusieurs wilaya. Les Cours d’appel disposent de cinq juges pour les affaires pénales.54
La Cour suprême
La Cour suprême est la plus haute cour du pays et « a compétence pour examiner les appels des décisions des Cours d’appel ou des décisions en premier et dernier recours des tribunaux de première instance.55
Le Président de la Cour suprême est nommé par le Président de la République pour un mandat renouvelable de cinq ans. La Cour suprême est divisée en cinq chambres dont une est dédiée aux affaires pénales. Les affaires criminelles sont entendues par cinq juges, et l’Article 28 de l’Ordonnance 2007-012 exige que toutes les décisions soient publiées dans des bulletins périodiques.56
3 Incapacité des autorités responsables à appliquer la législation anti-esclavage
Considérant l’ampleur du territoire mauritanien, en particulier certaines régions, et le fait que bon nombre d’affaires d’esclavage se situent dans des zones rurales reculées, les forces de police locales sont bien plus à même de découvrir ou d’être informées des cas d’esclavage que les quelques gouverneurs, préfets ou chefs d’arrondissement. Cela signifie que l’application de la loi anti-esclavage de 2007 dépend majoritairement, du moins au départ, de la police. Dans la plupart des cas, c’est à la police de réagir en premier à une situation d’esclavage ou similaire, par exemple en libérant et protégeant la victime, en enregistrant la plainte et en menant une enquête préliminaire.57 La police est également chargée d’informer le procureur de la République de la région.58
L’Article 20 du Code de procédure pénale mauritanien stipule :
« Les officiers de police judiciaire sont chargés de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs ; ils reçoivent les plaintes et dénonciations ; ils procèdent à des enquêtes préliminaires dans les conditions prévues par les articles 67 à 70 tant qu’une information n’est pas ouverte. »59
L’Article 22 du Code détaille encore les responsabilités de la police judiciaire :
« Les officiers de police judiciaire sont tenus d’informer sans délai le procureur de la République des crimes, délits et contraventions dont ils ont connaissance. Dès la clôture de leurs opérations, ils doivent lui faire parvenir directement l’original ainsi qu’une copie certifiée conforme des procès-verbaux qu’ils ont dressés et tous les documents récupérés ; les objets saisis sont mis à sa disposition. Les procès-verbaux doivent énoncer la qualité d’officier de police judiciaire de leur rédacteur. »60
L’Article 19 du Code stipule exactement qui a qualité d’officier de « police judiciaire », à savoir les walis, hakems et chefs d’arrondissement.61 Ainsi, les autorités administratives sont conjointement chargées de donner suite aux crimes qui sont portés à leur connaissance et sont tenues de les signaler au procureur. Ce point est renforcé dans l’Article 12 de la loi de 2007, qui stipule :
« Tout wali, hakem, chef d’arrondissement, officier ou agent de police judiciaire qui ne donne pas suite aux dénonciations de pratiques esclavagistes qui sont portées à sa connaissance est puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de deux cent mille ouguiyas (200.000 UM) à cinq cent mille ouguiyas (500.000 UM). »62
Une disposition quasi équivalente apparaît dans la loi de 2015, qui fait passer l’amende de 500 000 à 1 million UM.63
Néanmoins, un facteur majeur de la persistance de l’esclavage et des pratiques analogues en Mauritanie est l’incapacité permanente de la police, des procureurs et du système judiciaire à répondre de façon appropriée aux cas d’exploitation signalés, qu’il s’agisse d’identifier et rechercher les victimes ou de poursuivre et punir les auteurs. La section qui suit décrit brièvement quelques- unes des lacunes récurrentes de la réponse officielle, en s’appuyant sur des études de cas fournies par SOS- Esclaves et l’IRA dans leur travail avec les victimes. Celles-ci sont déjà apparues dans un rapport publié par Anti-Slavery International (ASI), la Society for Threatened Peoples (STP) et l’Organisation des nations et peuples non représentés (UNPO).64 Bien que servant d’exemples aux obstacles présents dans le système judiciaire mauritanien, elles représentent une petite proportion des cas. Bon nombre d’autres cas non inclus ici sont également caractérisés par les mêmes difficultés et obstructions.
3.1 Police et autorités administratives
L’une des premières étapes de la prise en charge des affaires d’esclavage est l’identification des victimes par les autorités administratives et la police car elles sont en première ligne pour réagir aux plaintes pour esclavage. Toutefois, il est fréquent que les affaires d’esclavage soient tout d’abord détectées par des défenseurs des droits de l’homme au lieu des fonctionnaires, qui ne prennent en charge l’affaire en général que si une pression durable est exercée à leur encontre. Malgré la peine d’emprisonnement et l’amende encourues, les wali, hakem, chefs d’arrondissement et la police judiciaire n’enquêtent bien souvent pas sur les affaires d’esclavage qui sont portées à leur attention, et dans bon nombre de cas elles intimident les victimes pour les contraindre au silence.
• Hanna S. et ses deux enfants (novembre 2007) : cette affaire a été rapportée par la victime avec l’aide de SOS-Esclaves. D’après son témoignage à la police, la victime est née esclave et détenue par la famille de son maître pour s’occuper des chameaux avant de parvenir à s’échapper, mais sans ses deux enfants. Pourtant, au lieu d’ouvrir une information préliminaire, le hakem et la police de la wilaya ont menacé la victime et l’ont intimidé pour qu’elle retire ses allégations. Les actions du hakem et de la police de la wilaya sont clairement en violation de leurs obligations en tant qu’autorités administratives au titre de l’article 12 de la loi de 2007.65
En plus de ne pas rechercher les victimes, la police et les autorités administratives refusent souvent d’enquêter sur des affaires d’esclavage signalées ou d’en informer les procureurs. Un grand nombre d’affaires documentées ont démontré des situations dans lesquelles la police et les autorités administratives, malgré l’alerte de cas d’esclavage suspectés, ont choisi de ne pas enquêter ou informer les procureurs.
• Mbarka L. (Septembre 2011) : Mbarka L., âgée de 20 ans lorsque son dossier a été ouvert, était esclave d’une famille de la tribu Touabir tandis que ses deux frères cadets étaient esclaves d’un proche de la famille. Après s’être échappée, elle a déposé une plainte contre ses anciens maîtres avec l’aide de l’IRA. Cependant, la police et le procureur de Kaedi ont nié avoir compétence en la matière car Mbidane, le lieu où Mbarkahad était esclave, relevait de l’autorité de la région de Brakna. Pourtant, lorsque les activistes de l’IRA ont par la suite contacté le gouverneur adjoint de Brakna, il a également affirmé ne pas avoir compétence en la matière et les a orientés vers le préfet d’Aleg, l’un des départements régionaux. Le préfet d’Aleg a finalement ordonné au chef d’arrondissement de Male (une commune d’Aleg) d’envoyer la police chez la famille du maître à Mbidane.
Pendant cette période, Mbarka a fait l’objet d’intimidations par les proches de ses maîtres pour retirer ses allégations et, devant son refus, a été sexuellement agressée puis dénoncée aux autorités pour fornication et désobéissance aux parents : des crimes punis de flagellation, lapidation et emprisonnement par la Sharia. Elle a été arrêtée et les charges ont été enregistrées par les fonctionnaires. Mbarka a finalement été relâchée suite aux pressions exercées par l’IRA et SOS-Esclaves, mais les charges à son encontre sont toujours en cours. Sa plainte pour esclavage n’a pas abouti et bien que l’un de ses frères soit parvenu à s’échapper, le plus jeune reste esclave. Les autorités n’ont pris aucune mesure pour cette affaire non plus.66
• Mohamed Lemine et sa famille (janvier 2012) : Mohamed Lemine était âgé d’environ 15 ans lorsqu’il a signalé le cas de sa famille à la police de la région Hodh El Gharbi après s’être échappé. D’après son témoignage, ses maîtres présumés détenaient toujours ses sept frères et sœurs et sa mère en esclavage, aucun des enfants n’étant scolarisé. Ces faits ont été confirmés par le père qui a affirmé que la famille des maîtres l’avait autorisé à « épouser » sa femme uniquement si elle et leurs enfants restaient sous leur contrôle.
Le père a également déposé plainte contre les maîtres présumés pour exploitation de sa famille. Toutefois, la police a rejeté la plainte et les membres de l’IRA tentant d’aider le garçon auraient été arrêtés et torturés. L’affaire a apparemment été transmise au juge d’instruction. La famille des maîtres a par la suite été placée sous surveillance judiciaire et les enfants de Mbarek lui ont été rendus, mais aucune plainte n’a abouti.67
Ces exemples reflètent le refus systématique de la police et des autorités administratives d’identifier, de reconnaître ou de réagir à face des cas d’esclavage, ce qui implique qu’une majorité de cas signalés n’aboutissent jamais à un procès. Comme le montrent les études de cas précédentes, les victimes d’esclavage et leurs défenseurs peuvent être intimidés ou harcelés par des fonctionnaires de police pour les forcer à retirer leurs accusations.
3.2 Procureurs
L’Article 36 du Code de procédure pénale établit le principe de poursuite discrétionnaire. Cela signifie que le procureur de la république est libre de décider ou non de donner suite à une plainte pour esclavage. Toutefois, le procureur de la République doit vérifier si la plainte est fondée, et pour cela il doit ouvrir une information. Cependant, la non- application de la loi anti-esclavage de 2007 n’est pas seulement due au refus d’enquêter sur les allégations d’esclavage de la part des autorités administratives et de la police, elle est également due au refus des autorités de poursuivre les le maître d’esclaves.
Plusieurs affaires documentées démontrent que le procureur se contente souvent de rejeter la plainte ou de clore le dossier sans motif recevable. La nature superficielle de la plupart des enquêtes en est la preuve. Celles-ci sont en général limitées à un interrogatoire des victimes et des maîtres présumés, souvent en même temps. Ceci met une pression considérable sur les victimes, qui sont extrêmement vulnérables, pour modifier leurs témoignages.
De plus, les défenseurs des droits de l’homme et leurs représentants légaux rapportent fréquemment que l’on accorde plus de crédit à la parole des Maures blancs qu’à celle des personnes vivant en condition d’esclavage. Peu d’enquêtes cherchent des témoins ou des preuves corroborantes. Cela signifie que les familles esclavagistes puissantes ou bien placées peuvent manipuler les procédures légales et permettre à leur témoignage de prendre le pas sur des allégations crédibles, en particulier lorsque les victimes elles-mêmes sont vulnérables et sous le contrôle de leurs maîtres.
• Fatimetou (juin 2009) : SOS-Esclaves a été contactée au sujet de Fatimetou par ses voisins qui ont signalé que la fillette était régulièrement battue, non scolarisée et à la disposition de la famille pour les tâches ménagères. Suite à la pression des représentants de SOS-Esclaves sur le préfet de Toujounine pour ordonner sa libération, la fillette, vêtue de guenilles et incapable de lire ou d’écrire, a été amenée par la maîtresse et sa nièce. L’affaire a ensuite été transférée au département de police pour enfants où la nièce a admis que Fatimetou avait été donnée à la famille en « cadeau », et la maîtresse a confirmé que la fillette lui appartenait.
L’affaire a donc été transférée au procureur, la maîtresse mise en garde à vue et Fatimetou confiée à un activiste des droits de l’homme. Pourtant, lors de l’audience quatre jours plus tard, une femme noire vêtue de guenilles, accompagnée de quatre Maures blancs amis de la famille, a affirmé qu’elle était la grand-mère de l’enfant, que son père était inconnu et que la mère de l’enfant était dans l’impossibilité d’être présente à l’audience. Sur la base de ces preuves, le procureur adjoint a décidé de clore l’affaire et de remettre Fatimetou à sa grand-mère présumée, malgré le fait que Fatimetou ait affirmé ne pas connaître cette femme et connaître son père. La maîtresse a finalement été relâchée et Fatimetou a été récupérée par l’un des Maures blancs. D’après SOS-Esclaves, le procureur adjoint leur a interdit de poursuivre l’enquête sur ce dossier.68
Le manque d’investigations rigoureuses n’est qu’une partie de l’incapacité des autorités chargées des poursuite à faire appliquer la loi anti-esclavage de 2007. Il est courant que les procureurs reclassent les cas d’esclavage sous d’autres charges, comme par exemple un conflit de travail ou une exploitation de mineurs – des définitions qui ne reflètent pas l’ampleur de la coercition et des violations des droits de l’homme engendrées – ce qui implique que judiciairement parlant, ces cas ne sont pas des affaires d’esclavage. La plupart du temps, les victimes sont encouragées à trouver un accord à l’amiable.
• Salma et Oum El Issa (décembre 2010) : des représentants de l’IRA ont alerté la police et les autorités administratives à Arafat, un département de Nouakchott, de l’esclavage présumée de deux fillettes (9 et 15 ans) par une employée gouvernementale. Cette dernière a été arrêtée suite à la pression exercée par les défenseurs des droits de l’homme et poursuivie uniquement pour exploitation d’enfant – un crime inférieur à celui d’esclavage. Les mères des deux fillettes ont également été poursuivies au même motif car elles avaient reçu de l’argent pour que leurs filles travaillent comme domestiques. Les trois femmes ont été condamnées le 16 janvier 2011. La maîtresse a reçu une peine de six mois d’emprisonnement et les mères ont reçu une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis.
Cependant, la maîtresse a été relâchée neuf jours plus tard lorsque la Chambre d’appel a décrété que son mandat de détention n’était pas valide. Les trois femmes ont par la suite été acquittées par la Cour d’appel de Nouakchott le 21 mars 2011. Les activistes impliqués dans l’affaire ont signalé de multiples violations de la loi et accusé les autorités de tenter de dissimuler la réalité de l’esclavage.69
En conclusion, les procureurs peuvent empêcher que les affaires soient transmises au juge d’instruction. D’après l’article 36 du Code de procédure pénale de Mauritanie, le procureur est tenu d’informer le demandeur de la décision de poursuivre ou non l’affaire sous huitaine : dans les cas où il est estimé que les preuves ne sont pas suffisantes pour ouvrir un dossier, l’Article 36 oblige également le procureur à informer le demandeur de son droit à ouvrir un procès civil auprès du juge d’instruction. Toutefois, des études de cas documentés montrent que les procureurs ne prennent pas les mesures nécessaires pour que des allégations crédibles fassent l’objet d’une information.
• Mbarka E. (mars 2011) : la victime a signalé son cas à la police avec l’aide de l’IRA. D’après son témoignage, elle a été sexuellement agressée et violée régulièrement par son maître et son fils. Elle a ainsi eu deux filles considérées également comme des esclaves de la famille. La mère de Mbarka était aussi esclave. Accompagnée de l’IRA, Mbarka s’est rendue aux autorités administratives de Toujounine (Nouakchott) le 6 mars 2011 et a déposé plainte contre son maître devant le département pour enfants. Un rapport a ensuite été envoyé au procureur. Fin octobre 2011, malgré de multiples demandes concernant le statut de son dossier et des courriers des membres de l’IRA au procureur, aucune mesure n’a été prise.70
Le refus des procureurs à enquêter et traiter les plaintes pour esclavage crée un obstacle supplémentaire pour les 11 victimes qui souhaitent être protégées et obtenir réparation, ce qui implique que la majorité des affaires enregistrées par la police et les autorités administratives n’aboutissent jamais à un procès.
3.3 Le pouvoir judiciaire
Il faut souligner qu’il est extrêmement rare qu’une plainte pour esclavage aboutisse à un procès. Comme démontré précédemment, la majorité des affaires sont déboutées sans enquête appropriée de la police ou sont bloquées au stade de l’investigation par le procureur. Toutefois, si exceptionnellement une plainte pour esclavage aboutit à un procès, les procédures et délais ne sont en général pas respectés. Là encore, des retards inexpliqués dans les procédures indiquent un refus d’exposer les le maître d’esclaves à une responsabilité pénale.
Bien que le droit procédural mauritanien n’impose pas de délai spécifique au juge d’instruction pour mener des investigations, il requiert que ce dernier prenne toutes les mesures nécessaires pour déterminer la vérité.71 De plus, l’Article 15 de la loi de 2007 stipule que « Dès que l’information est portée à sa connaissance et sous peine d’être pris à partie, tout juge compétent doit prendre d’urgence, sans préjudicier au fond, toutes les mesures conservatoires appropriées à l’encontre des infractions prévues par la présente loi ». Une disposition similaire existe dans l’article 21 de la loi de 2015. Dans la quasi-totalité des affaires d’esclavage, les demandeurs ont précisément identifié les maître d’esclaves présumés ainsi que l’endroit où ils se trouvent, donc les délais d’investigation interminables ne peuvent donc pas être expliqués par des difficultés dans les recherches de preuves incriminantes ou disculpantes. Pourtant, il est fréquent d’attendre très longtemps sans aucun signe de la justice.
Dans certains cas, les juges instructeurs peuvent ne pas suivre des affaires qui leurs sont adressées par le procureur, refusant d’enquêter sur une affaire sans donner une explication appropriée malgré le fait que le procureur ait jugé les preuves suffisantes pour ouvrir un dossier. De nombreux défenseurs des droits de l’homme pensent que la clôture inexpliquée de ces dossiers est souvent le fruit de relations politiques de la famille du maître ou de liens étroits avec les membres du système judiciaire.
• Oueichetou (août 2011) : Oueichetou avait à peine 10 ans lorsque des membres de l’IRA ont été alertés par des voisins ayant vu la maîtresse battre la fillette. Les allégations de maltraitance et d’exploitation ont été corroborées par son témoignage et son allure, incitant l’IRA à porter plainte auprès du département de police pour enfants le 1er août 2011. Cependant, lorsque la police s’est rendue au domicile de la maîtresse, Oueichetou est restée introuvable. D’après les membres de l’IRA, la maîtresse
avait été informée par son cousin, policier, ce qui lui a permis de cacher la fillette avant l’arrivée de la police
Bien que la maîtresse ait nié toute connaissance de la fillette, elle a été placée en garde à vue et accusée du crime d’esclavage. Pourtant, le 4 août, le juge d’instruction a ordonné sa libération immédiate. Aucune enquête n’a été fournie pour justifier cette décision, bien que les activistes pensent qu’il a subi des pressions pour clore l’affaire alors qu’un cousin de la maîtresse jouissant de relations politiques puissantes aurait tenté de la libérer de force. Aucune investigation n’a eu lieu pour retrouver Oueichetou et l’affaire a été classée. De plus, 10 membres de l’IRA opposés à cette décision auraient été arrêtés, détenus et torturés.72
Un autre problème extrêmement courant est l’incapacité des juges à observer la procédure, ce qui implique que les demandeurs n’ont pas la pleine possibilité de présenter leur affaire en raison de délais inadaptés, de perturbations et autres violations.
• Moima, Houeija et Salka (mars 2011) : le cas de Moima, Houeija et Salka, alors âgées de 17, 14 et 10 ans respectivement, a été signalé par plusieurs organisations de protection des droits de l’homme à la police de Nouakchott le 23 mars 2011. Suite à des pressions exercées par ces groupes, sans lesquelles l’affaire n’aurait probablement pas progressé, six personnes ont été accusées du crime d’esclavage et l’affaire a été transférée à la Cour criminelle de Nouakchott – la première fois que la loi anti-esclavage de 2007 a été directement invoquée par un tribunal.
Toutefois, l’affaire a été caractérisée par de nombreuses irrégularités, avec un procès tenu seulement trois jours après la comparution des défendeurs : ainsi, ni les avocats du parquet ni les avocats de la partie civile n’ont eu suffisamment de temps pour se préparer. Les membres du clan de l’accusé auraient rempli la salle d’audience et interrompu en permanence la procédure. Le verdict, acquittant tous les accusés, a été rendu dans l’après-midi en l’absence de la partie civile, en violation des articles 263 et 513 du Code de procédure pénale mauritanien. L’AFCF a fait appel de la décision et l’affaire est entre les mains de la Chambre d’appel depuis lors.73
Dans ces rares cas où le juge d’instruction confirme les charges contre le maître d’esclaves et confie dument l’affaire aux tribunaux criminels, l’affaire peut être suspendue indéfiniment au stade du procès. Souvent cela est dû à une incapacité présumée à retrouver le maître d’esclaves en question après qu’il ait été, bien souvent, libéré sous caution après son arrestation.
• Rabi’a et ses six frères et sœurs (août 2011) : cette affaire implique sept frères et sœurs âgés entre 11 et 26 ans ainsi que leur mère, elle-même esclave, bien que seulement trois des frères et sœurs aient déposé plainte.
D’après SOS-Esclaves, les enfants ont été les esclaves de deux familles différentes, dont une maîtresse ayant admis « être propriétaire » des enfants en la présence du procureur. L’affaire ayant été envoyée au juge d’instruction, les charges ont été retenues et transmises à la Cour criminelle le 15 septembre 2011. Cependant, la décision du juge d’instruction a fait l’objet d’un appel par la maîtresse tout d’abord auprès de la Cour d’appel puis de la Cour suprême, où la décision a été maintenue dans les deux cas.
Néanmoins, après son renvoi à la Cour criminelle de Nouadhibou, l’affaire attend son procès depuis août 2013. De plus, alors que les victimes avaient été informés à l’origine que la maîtresse avait été arrêtée et placée en détention jusqu’au verdict du procès, des recherches ont révélé qu’elle avait en fait été libérée sous caution.74 Depuis sa libération, l’accusée a disparu et c’est entre autres cette incapacité à la retrouver qui motive le retard de l’audience.
En conclusion, même si une condamnation de la Cour criminelle pour crime d’esclavage est rendue (comme tel a été le cas pour une seule affaire au titre de la loi de 2007), la sentence n’est pas correctement appliquée et les appels contre une sentence trop clémente ne sont pas traités avec diligence et efficacité.
• Said et Yarg (novembre 2011) : lors de la seule et unique poursuite au titre de la loi anti-esclavage de 2007, Ahmed OuldHassine a été déclaré coupable d’esclavage sur deux jeunes frères, Said et Yarg. Le maître a été condamné à deux ans d’emprisonnement et à verser une compensation de 1,35 million MRO, soit environ 4 700 USD, une peine bien inférieure aux 5 à 10 ans de prison prévus par la loi de 2007.
Toutefois, le procureur de la République n’a pas fait appel immédiatement contre cette sentence trop clémente ; il a fait appel seulement après que l’avocat représentant Said et Yarg soit intervenu. De plus, moins de quatre mois après avoir fait appel de sa propre condamnation, le 26 mars 2012 le maître d’esclaves condamné a été libéré sous caution par la Chambre criminelle de la Cour suprême pour la somme de 200 000 MRO (680 USD). À aucun moment l’avocat des enfants n’a été informé de la demande de libération sous caution, malgré les risques potentiels pour les enfants, ce en violation du Code de
procédure pénale.75 Comme dans l’exemple précédent, depuis sa libération sous caution, le maître d’esclaves a disparu et c’est cette incapacité à le retrouver qui motive le fait que l’appel est suspendu depuis décembre 2011.
Dans le cas de Said et Yarg, l’appel est important en Mauritanie car le résultat final pourrait potentiellement modifier le paysage juridique pour les victimes et les avocats travaillant sur des affaires anti-esclavage. Lors d’un entretien avec MRG, Maître Elid Mohameden, l’avocat mauritanien représentant Said et Yarg, a discuté des effets potentiels d’un résultat positif ou négatif pour ses clients. Si l’appel était rendu en faveur des garçons, il affirme que :
« Cela serait une avancée significative ; cela montrerait que la mentalité du système judiciaire a évolué. Cela donnerait aux personnes subissant l’esclavage l’espoir et la confiance nécessaires pour agir contre leurs maîtres. Ce serait également un encouragement pour les personnes qui luttent pour les droits de l’homme. »76
Si l’appel est rendu en faveur du maître, en particulier après l’adoption récente de ce qui est censé être une loi anti-esclavage renforcée, « ce serait désastreux pour les esclaves. Ce serait comme leur dire : vous ne serez pas bien accueillis devant un juge et vous n’aurez aucun droit si vous tentez de vous échapper ». Cela ruinerait non seulement le travail des activistes mais renforcerait également le sentiment d’impunité des maîtres d’esclaves.77
Le fait que l’affaire de Said et Yarg ait abouti à une condamnation, nonobstant la sentence trop clémente et le délai d’audience de l’appel contre la sentence, donne un léger espoir que, à l’avenir, avec un engagement suffisant des autorités, du système judiciaire et des autres intervenants, les barrières actuelles décrites précédemment entre les victimes et la justice pourraient être surmontées. Le déroulement correct de l’appel, en particulier la localisation de le maître d’esclaves, le respect du calendrier de l’audience et une sentence conforme aux sanctions prévues par la loi de 2007, représente une opportunité pour les autorités mauritaniennes de montrer à leur peuple et à la communauté internationale des droits de l’homme qu’elles envisagent sérieusement de mettre fin à la pratique de l’esclavage en Mauritanie.
Toutefois, pour l’heure, comme le démontrent les cas décrits dans ce rapport, les affaires d’esclavage signalées sont fréquemment entravées à tous les stades du système judiciaire par la police, les procureurs et le pouvoir judiciaire, et un grand nombre d’entre elles ne font même pas l’objet d’une enquête ou sont classées sans suite par le parquet pour éviter les peines d’emprisonnement. Certaines sont reclassées pour des délits inférieurs tels que
des conflits de travail, qui aboutissent à une amende légère ou un acquittement, tandis que d’autres sont bloquées au stade de l’action en justice ou de l’appel, ainsi les affaires demeurent non résolues.
Ces lacunes perdurent et sont indéniables dans les procédures plus récentes, telles que l’affaire d’Issa Ould Hamada, un jeune garçon de 10 ans esclave depuis son plus jeune âge dans un hameau près de Bassikounou avant de parvenir à s’échapper et demander de l’aide en mars 2015. La police a arrêté son maître et l’a enfermé pendant plusieurs mois. Puis, sans en informer l’avocat ou le tuteur de l’enfant, le Tribunal criminel a organisé une audience. Les charges d’esclavage, supposées impliquer une peine de 5 à 10 ans d’emprisonnement, ont été requalifiées par « obtention des services d’un enfant non rémunéré » et le maître d’esclaves a été condamné à 3 mois de prison, peine qu’il avait déjà purgée en détention provisoire. Il a donc été immédiatement relâché.78
D’autres exemples récents illustrent des problèmes similaires de procédures reportées et de refus de punir des maîtres d’esclaves. Parmi eux, une affaire rapportée aux autorités à Zouerat par un proche de Mint M’boirik Choueida et ses huit enfants, tous apparemment esclaves. Pour des raisons de sécurité, l’armée est intervenue pour appréhender les maîtres d’esclaves et secourir les victimes. Cependant, après que les accusés aient été envoyés en prison dans l’attente du procès et que leur demande de
libération provisoire ait été rejetée par le juge, leurs avocats ont interjeté appel et ont pu obtenir leur libération jusqu’au procès. Cette décision a ensuite été transmise par le procureur à la Cour suprême et demeure dans l’attente d’une décision avant que le procès pénal réel puisse s’ouvrir.79 Une autre affaire, également signalée en mars 2013 et concernant Seh Ould Moussé, 23 ans, a rencontré des problèmes similaires car les accusés, ayant été initialement placés en détention, ont obtenu leur libération avant le procès. Cette décision a également été transmise à la Cour suprême pour validation avant l’ouverture du procès.80 Ces deux affaires démontrent une capacité évidente des accusés à échapper à la justice indéfiniment en raison de retards dans les procédures.
Les affaires mentionnées dans ce rapport ne constituent en aucun cas une liste exhaustive des dernières affaires d’esclavage, mais elles illustrent en revanche des problèmes et obstacles récurrents au sein du système judiciaire de Mauritanie qui a maintes fois affirmé que les affaires d’esclavage signalées ne sont ni ignorées ni sabotées par la suite au cours de la procédure. Par conséquent, tant que ces défaillances systématiques du système judiciaire ne seront pas réglées, il y a peu de chances pour que la nouvelle loi anti-esclavage à elle-seule apporte un changement substantiel aux victimes sans l’engagement des autorités à mettre en œuvre efficacement ses dispositions.
4 Conclusion
Le précédent gouvernement a montré une certaine volonté d’éradiquer l’esclavage lorsqu’il a adopté la loi anti-esclavage, pénalisant et sanctionnant l’esclavage et les pratiques analogues le 3 septembre 2007. Depuis lors, pourtant, le gouvernement mauritanien actuel a montré peu, pour ne pas dire aucune volonté politique de mettre en œuvre la loi et, comme le démontre ce rapport, les autorités administratives, judiciaires, de poursuite et de police sont très réticentes à faire appliquer cette loi. La plupart des affaires sont classées sans information appropriée, en violation de l’article de la loi anti-esclavage, selon laquelle les personnes qui ne donnent pas suite ou n’enquêtent pas sur un signalement d’esclavage porté à leur attention encourent une peine de prison et une amende. Cependant, étant donné que les poursuites au titre de cette disposition relèvent des mêmes autorités chargées d’intervenir dans les plaintes pour esclavage, cette disposition n’a jamais été mise en œuvre. Lorsqu’une plainte pour esclavage est transmise au procureur, il est fréquent que ce dernier reclasse l’affaire sous d’autres charges moins graves ou propose un accord a l’amiable, contournant l’application de la loi anti-esclavage. Dans d’autres cas, les plaintes sont laissées en instance au niveau du procureur ou du juge d’instruction pendant des mois ou des années sans explication.
Depuis la promulgation de la loi anti-esclavage en 2007, les charges ont permis d’ouvrir un procès pénal seulement deux fois. Dans le premier cas, la date du procès était prévue seulement trois jours après la première comparution des défendeurs pour plaider leur cause, ainsi ni les avocats du parquet ni les avocats de la partie civile n’ont eu le temps de préparer leur dossier. À l’inverse, le recours déposé contre l’acquittement de l’accusé est suspendu depuis avril 2011. Dans le second cas, le maître d’esclaves a été déclaré coupable mais relâché sous caution moins de quatre mois après sa condamnation.
Il convient de rappeler que, conformément à la loi anti-esclavage de 2007, une information ne peut être ouverte sans qu’un esclave n’ait déposé plainte. Le refus des autorités à faire appliquer la loi empêche les victimes de se manifester. En effet, dans la plupart des cas connus des organisations des droits de l’homme, les victimes d’esclavage ne souhaitent pas signaler les crimes commis à leur encontre par leurs maîtres aux autorités. Peur des représailles, méconnaissance de leurs droits, honte et stigmatisation, ainsi qu’un profond héritage de
soumission et d’endoctrinement à leurs maîtres, contraignent les victimes à se taire.
Dans l’ensemble, les personnes d’ascendance d’esclaves savent parfaitement que le système judiciaire n’est pas en leur faveur et qu’elles ne peuvent pas compter sur ces institutions pour les aider. Aucune des plaintes pour esclavage présentées dans ce rapport n’aurait été déposée sans l’aide et la pression constante des organisations mauritaniennes pour les droits de l’homme. À cet égard, il convient de noter qu’à plusieurs reprises, les défenseurs des droits de l’homme ont fait face à des actes d’intimidation, tels que violence de la police et arrestations arbitraires, lorsqu’ils ont essayé de dénoncer des situations d’esclavage. Non seulement les autorités mauritaniennes n’ont pas fait appliquer la loi anti- esclavage de 2007, mais elles essaient souvent d’empêcher le signalement d’affaires d’esclavage.
Bien que l’adoption de la nouvelle législation anti- esclavage soit la bienvenue, l’introduction de sanctions plus lourdes pour les maîtres d’esclaves et autres, notamment les fonctionnaires de justice qui ne protègent pas les victimes, n’est pas suffisante à elle seule pour mettre un terme à l’esclavage en Mauritanie sans l’engagement total des autorités aux niveaux local et national, incluant la police, les procureurs et les représentants judiciaires. Pour exploiter le potentiel de la loi anti-esclavage de 2015, les autorités doivent mettre en place une série de réformes et de mécanismes de soutien afin que ses dispositions soient pleinement et correctement appliquées.
En conclusion, dans son rapport de 2010 sur la Mauritanie, la Rapporteuse spéciale sur les formes modernes d’esclavage avait demandé au Ministre de la justice d’incorporer une cause d’action au civil pour les victimes dans la loi anti-esclavage de 2007. D’après Madame Shahinian, cela donnerait aux victimes d’esclavage et aux organisations pour les droits de l’homme agissant dans leur intérêt le droit de saisir directement les tribunaux pour un acte d’esclavage plutôt que de compter sur la police ou autres d’autorités pour engager des poursuites dans ces affaires.81 Étant donné l’incapacité évidente du système pénal exposé dans ce rapport à traduire les maîtres d’esclaves en justice et à accorder réparation à leurs victimes, cette mesure est considérée comme absolument nécessaire et constituerait un premier pas vers la longue éradication de l’esclavage en Mauritanie.
5 Recommandations
ASI, le MRG, la STP et l’UNPO recommande au Gouvernement de Mauritanie de :
• Reconnaître officiellement l’existence de l’esclavage en Mauritanie et de faire en sorte de sensibiliser la population aux pratiques d’esclavage et aux lois à ce sujet.
• Modifier l’article 23 de la loi anti-esclavage de 2015 pour que les organisations mauritaniennes pour les droits de l’homme, qu’elles soient enregistrées ou non et indépendamment de leur date de création, puissent non seulement dénoncer les violations de la loi et aider les victimes mais également agir en tant que partie civile dans les procédures pénales.
• Supprimer l’immunité dont jouissent les fonctionnaires contre les poursuites ou les procès afin d’appliquer les articles 18 et 21 de la loi anti-esclavage de 2015.
• Mettre en place, dès que possible, et fournir des ressources financières et humaines suffisantes pour les tribunaux spéciaux établis en vertu de l’article 20 de la loi de 2015 pour prendre en charge les affaires d’esclavage.
• Promulguer une législation permettant aux victimes d’esclavage et de pratiques analogues ou aux organisations pour les droits de l’homme d’agir en leur nom pour intenter une action au civil.
• Donner des ordres à la police et aux autorités chargées de poursuite concernant l’application de la législation nationale interdisant l’esclavage afin que les auteurs de cette pratique fassent l’objet d’une enquête et soient poursuivis correctement.
• Délivrer une circulaire officielle au système judiciaire concernant l’importance d’une application correcte de la législation nationale interdisant l’esclavage, incluant des procès dans des délais raisonnables et le fait que les maîtres d’esclaves reçoivent et servent des peines à la hauteur du crime commi.
• Permettre à l’Initiative de Résurgence du Mouvement Abolitionniste en Mauritanie de se déclarer en tant qu’ONG.
• Ratifier les conventions internationales sur les droits de l’homme sans réserve, incluant la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW).
• Fournir à la nouvelle agence Tadamoun, mandatée pour lutter contre l’esclavage, les ressources et pouvoirs nécessaires pour mener les actions recommandées ici.
ASI, le MRG, la STP et l’UNPO recommandent que l’agence Tadamoun : • Recueille des données détaillées sur la nature et
l’incidence de l’esclavage en Mauritanie pour permettre le suivi des efforts visant à éradiquer cette pratique.
• Dispense une formation nationale pour la police et les autorités administratives et judiciaires sur la loi de 2015 afin qu’elles donnent suite aux affaires d’esclavage portées à leur attention de manière efficace.
• Forme la police, les procureurs et les autorités judiciaires à la prise en charge des victimes de pratiques d’esclavage, en particulier comment créer un environnement sécurisé, de soutien et adapté au sexe de la victime pour que celles-ci fassent appel à des services légaux.
• Crée un fonds spécifique pour les esclaves et anciens esclaves afin de faciliter l’accès à la justice, l’autonomisation juridique et l’aide humanitaire (incluant des abris d’urgence et des dispositions pour les personnes fuyant leur condition d’esclave).
• Fournisse aux victimes d’esclavage un accès à une aide d’urgence, incluant un abri en particulier pour les femmes et les filles avec un environnement sécurisé, adapté à leur sexe et un soutien psycho-social approprié.
• Fournisse une compensation adéquate et un soutien à la réintégration des victimes d’esclavage, incluant une formation et un micro-crédit.
• Lutte contre les discriminations basées sur l’origine ou l’ethnicité dans le système d’éducation, les médias et les institutions gouvernementales, notamment par des moyens légaux et en créant des campagnes de sensibilisation pour combattre les stéréotypes racistes.
16
APPLICATION DE LA LÉGISLATION ANTI-ESCLAVAGE EN MAURITANIE : L’INCAPACITÉ PERMANENTE DU SYSTÈME JUDICIAIRE À PRÉVENIR, PROTÉGER ET PUNIR
ASI, le MRG, la STP et l’UNPO recommande à la communauté internationale de :
• Soutenir le Gouvernement de Mauritanie dans ses efforts pour éradiquer l’esclavage, incluant une assistance avec formation aux droits de l’homme, un financement aux programmes de lutte contre l’esclavage et une expertise technique.
• Veiller à ce que des procédures adaptées soient en place pour le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre des efforts internationaux et nationaux pour mettre fin à l’esclavage en Mauritanie.
• Travailler avec la société civile pour aider le Gouvernement de Mauritanie à lutter contre l’esclavage et à apporter son soutien aux personnes touchées par cette pratique.
6 Annexe : Affaires d’esclavage sélectionnées
Le tableau ci-dessous présente une sélection de 29 affaires d’esclavage et leur statut actuel dans le système judiciaire mauritanien. Bien que ces exemples ne soient en rien
exhaustifs, ils illustrent la manière dont les affaires d’esclavage sont fréquemment entravées à différents stades du signalement, de l’investigation et du procès.
Nom du plaignant
Date et lieu de signalement
Statut actuel
Mabrouka et sa famille
Octobre 2010 Région Trarza
Affaire classée par la police sans investigation.
Hanna S. et ses deux enfants
Novembre 2007 Région Trarza
Affaire classée par la police sans investigation.
Mbarka L.
Septembre 2011 Région Gorgol
Affaire classée par la police sans investigation.
Selama et Maimouna
Novembre 2011 Région Hodh El Charqui
Affaire classée par la police sans investigation.
Deybala
Septembre2011 Région Assaba
Affaire classée par le parquet – refus des poursuites.
Hanna M.
Avril 2009 Teyarett- Nouakchott
Affaire classée par le parquet – refus des poursuites.
Fatimetou
Juin 2009 Toujounine-Nouakchott
Affaire classée par le parquet – refus des poursuites.
Oueichetou
Août 2011 Arafat- Nouakchott
Affaire classée par le parquet – refus des poursuites.
Mbarik
Août 2007
Affaire classée par le parquet – refus des poursuites.
Tslim
Septembre 2011 Région Trarza
Affaire classée par le parquet – refus des poursuites.
Oum Elkhair
Juillet 2007 Région Assaba
Affaire requalifiée en conflit de travail – résolu par un accord financier.
Salem
Septembre 2011 Région Trarza
Poursuite uniquement pour voie de fait, pas pour esclavage. Le plaignant a retiré sa plainte suite aux pressions exercées par les maîtres.
Salma et Oum El Issa
Décembre 2010 Arafat-Nouakchott
Poursuite pour exploitation d’enfant, pas pour esclavage. Acquittement des maîtres présumés en janvier 2011.
Brake
Août 2007 Région Assaba
Poursuite pour trafic d’esclaves ; affaire résolue à l’amiable : une vache et un veau.
Hajjara
Septembre 2011 Région Trarza
Affaire résolue à l’amiable avec la maîtresse présumée.
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APPLICATION DE LA LÉGISLATION ANTI-ESCLAVAGE EN MAURITANIE : L’INCAPACITÉ PERMANENTE DU SYSTÈME JUDICIAIRE À PRÉVENIR, PROTÉGER ET PUNIR
Nom du plaignant
Date et lieu de signalement
Statut actuel
Mbarka M.
Juillet 2007 Région Trarza
Le maître n’a jamais été arrêté ; possible pression sur la plaignante pour la forcer à retirer sa plainte.
Mbarka K.
2008 Région Hodh El Chargui
Affaire résolue par le paiement d’une amende.
Oumelkheir et sa fille Selekha
Décembre 2007 puis avril 2012 Région Adrar
Affaire bloquée au stade des poursuites depuis avril 2012.
Mbarka E.
Mars 2011 Toujounine – Nouackchott
Affaire bloquée au stade des poursuites depuis mars 2011.
Khedeije
Mai 2010
Affaire en attente au niveau du juge d’instruction depuis mai 2010.
Moctar
Janvier 2012 Toujounine- Nouakchott
Affaire bloquée au stade des poursuites depuis janvier 2012.
Mohamed Lemine et sa famille
Janvier 2012 Région Hodh El Gharbi
Affaire pendante au niveau du juge d’instruction depuis janvier 2012.
Aza
Juillet 2010
Affaire en attente devant la Cour criminelle depuis juillet 2010.
Rabi’a et ses six frères et sœurs
Août 2011 Région Nouhadibou
Affaire en attente devant la Cour criminelle depuis août 2013.
Moima, Houeija et Salka
Mars 2011 Nouakchott
Maîtres présumés acquittés en avril 2011. L’affaire est depuis au stade de l’appel.
Said et Yarg
Avril 2011 Région Brakna
Maître condamné pour esclavage en novembre 2011 à deux ans d’emprisonnement mais relâché sous caution en mars 2012. Affaire en attente devant la Cour d’appel de Nouakchott depuis les appels interjetés par toutes les parties en décembre 2011.
Mint M’boirik Choueida et ses huit enfants
Mars 2013 Zouerat
S’étant vu refuser sa demande de libération provisoire par le juge d’instruction dans l’attente du procès, l’accusé a été relâché par la Cour d’appel. Cette décision a à son tour fait l’objet d’un appel par le procureur devant la Cour suprême où une décision est toujours attendue avant que le procès puisse être ouvert devant la cour criminelle.
Seh Ould Moussé
Mars 2013 Nouakchott
Accusé relâché sous caution par la Cour d’appel avant le procès mais cette décision a été transmise à la Cour suprême pour statuer avant l’ouverture du procès pénal.
Issa Ould Hamada
Mars 2015 Région Hodh Ech Chargui
Affaire d’esclavage requalifiée en délit inférieur d’obtention des services d’un enfant non rémunéré et accusé condamné à seulement 3 mois. Le maître a été relâché immédiatement car sa peine est censée avoir été déjà purgée en détention provisoire.
APPLICATION DE LA LÉGISLATION ANTI-ESCLAVAGE EN MAURITANIE : L’INCAPACITÉ PERMANENTE DU SYSTÈME JUDICIAIRE À PRÉVENIR, PROTÉGER ET PUNIR
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Notes
1 Gouvernement de Mauritanie, Ordonnance No. 81-234 du 9 novembre 1981 portant Abolition de l’Esclavage [Ordinance no. 81-234, of 9 Nov. 1981, on the Abolition of Slavery], Journal Officiel 496 (25 Nov. 1981).
2 Les Haratines, ou Maures noirs, descendent de groupes ethniques noirs sédentaires le long du fleuve Sénégal et ont été historiquement combattus, réduits à l’esclavage et dominés par les Arabes berbères, également appelés Beidan ou Maures blancs. Les Maures blancs constituent l’élite ethnique en Mauritanie et contrôlent l’économie, le gouvernement, l’armée et la police.
3 Voir le Conseil des droits de l’homme des NU (UNHRC), Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les formes d’esclavage moderne, incluant ses causes et conséquences, Gulnara Shahinian, 24 août 2010, A/HRC/15/20/Add.2, résumé.
4 Vettraino, F. et Mathewson, S., Mauritania’s Culture of Impunity for Slavery: Failures of the Administrative, Police and Justice Systems, Göttingen, ASI, UNPO et STPI, septembre 2013.
5 League of Nations, Convention to Suppress the Slave Trade and Slavery, 1926, Art. 1(1).
6 Gouvernement de Mauritanie, Loi No. 2007-048 du 3 septembre 2007 Portant Incrimination de l’Esclavage et Réprimant les Pratiques Esclavagistes, approuvée le 13 décembre 2007.
7 Sur la base des taux de change d’août 2015. 8 Loi sur l’esclavage No. 2007-048 du 3 septembre 2007
portant incrimination de l’esclavage et réprimant les
pratiques esclavagistes. 9 Kassataya, entretien avec Mohamed Ould Abdel Aziz,
14 septembre 2011. 10 IRIN, ‘Mauritania: anti-slavery law still tough to enforce’,
11 décembre 2012. 11 Mark, M., ‘Mauritanian activists jailed as police quash
resurgent anti-slavery protests’, The Guardian, 17 janvier
2015. 12 Ibid.; entretien avec un activiste légal international,
13 août 2015. 13 UNPO, ‘Haratin: IRA accuses justice system of obedience to
executive’, 31 juillet 2015. 14 FIDH, ‘Mauritania: Anti-slavery activists sentenced to two
years’ imprisonment’, 30 June 2015. 15 AFP, ‘Anti-slavery protesters arrested in Mauritania: NGO’,
31 juillet 2015. 16 Al Jazaeera, ‘Mauritania upholds conviction of anti-slave
activists’, 21 août 2015. 17 UNHRC, 24 août 2010, op. cit., § 105. 18 Bureau du Haut-commissariat aux droits de l’homme,
‘“A turning point in the fight against slavery” – UN experts
greets adoption of road map’, 10 mars 2014. 19 Gouvernement de Mauritanie, Projet de loi abrogeant et
remplaçant la loi n° 2007-048 du 3 septembre 2007 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes, approuvée en août 2015. Bien que la version finale du texte de loi ne fût pas disponible au moment de la rédaction, le projet de loi a été approuvée sans amendement, les dispositions du texte préliminaire sont donc supposées rester identiques.
20 Cela reflète l’amendement de 2012 à la Constitution de 1991. UNHRC, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, incluant ses causes et conséquences, Gulnara Shahinian: Follow-up on mission to Mauritania, 26 août 2014, A/HRC/27/53/Add.1.
21 Ibid. 22 UNHRC, 26 août 2014, op. cit. 23 Ibid. 24 Goedert, N., Le Livre blanc de la decentralisation en
Mauritanie, MIDEC-AECID-IEJI, novembre 2009. 25 Sahel Research Group, Trans-Saharan Elections Project,
‘The electoral system: Mauritania’, récupéré le 24 août 2015, http://sahelresearch.africa.ufl.edu/tsep/themesissues/ the-electoral-system/mauritania.
26 Goedert, op. cit., p.33. 27 Gouvernement de Mauritanie, Constitution de Mauritanie,
adoptée le 12 juillet 1991, Art. 98. 28 Goedert, op. cit., p. 33. 29 UCLG Africa and Cities Alliance, Assessing the Institutional
Environment of Local Governments in Africa, Maroc, UCLG,
septembre 2013, p. 76. 30 Gouvernement de Mauritanie, Constitution de Mauritanie,
adoptée le 12 juillet 1991,Art. 37. 31 Gouvernement de Mauritanie, Ordonnance no. 2007-036 du
17 avril 2007 portant révision de l’ordonnance no. 83-163 du 9 juillet 1983 portant institution d’un code de procédure pénale, 17 avril 2007, Art. 36.
32 Ibid., Arts 73 et 176. 33 Ibid., Art. 43. 34 Ibid., Art. 72. 35 Ibid., Art. 177.
36 Ibid., Art. 181. 37 Ibid., Arts 185–6. 38 Ibid., Art. 56. 39 Ibid., Art. 75. 40 Ibid., Art. 101. 41 Ibid., Art. 183. 42 Ibid., Art. 262. 43 Ibid., Art. 282. 44 Ibid., Art. 285. 45 Ibid., Art. 57. 46 Ibid., Art. 123. 47 Ibid., Art. 138. 48 Ibid., Art. 142. 49 Ibid., Arts 148–50. 50 Gouvernement de Mauritanie, Ordonnance no. 2007-012
portant organisation judicaire, 8 février 2007. 51 Nguimatsa Serge, Z., Researching the Legal System and
Laws of the Islamic Republic of Mauritania, Hauser Global Law School Program, août 2009, récupéré le 24 août 2015, http://www.nyulawglobal.org/globalex/Mauritania.htm#_edn78
52 Ibid., http://www.nyulawglobal.org/globalex/ Mauritania.htm#_ednref
53 Gouvernement de Mauritanie, 17 avril 2007, op. cit., Art.223. 54 Nguimatsa Serge, op. cit. 55 Ibid. 56 Gouvernement de Mauritanie, 8 février 2007, op. cit., Art. 28. 57 Gouvernement de Mauritanie, 17 avril 2007, op. cit., Arts
19–26.
20
APPLICATION DE LA LÉGISLATION ANTI-ESCLAVAGE EN MAURITANIE : L’INCAPACITÉ PERMANENTE DU SYSTÈME JUDICIAIRE À PRÉVENIR, PROTÉGER ET PUNIR
58 Il existe une Cour criminelle dans chaque région de Mauritanie. Le parquet est représenté dans ce tribunal par le procureur de la République attaché à la cour de wilaya de la région. Gouvernement de Mauritanie, 8 février 2007, op. cit., Arts 50 et 52 ; Gouvernement de Mauritanie, 17 avril 2007, op. cit., Art. 35.
59 Gouvernment de Mauritanie, 17 avril 2007, op. cit., Art. 20. 60 Ibid., Art. 22. 61 Ibid., Art. 19. 62 Gouvernement de Mauritanie, 13 décembre 2007, op. cit.,
Art. 12. 63 Gouvernement de Mauritanie, 2015. 64 Vettraino et Mathewson, op. cit. 65 Ibid., p.11. 66 Ibid., p.12. 67 Ibid., p.23. 68 Ibid., pp. 15-16. 69 Ibid., p.19. 70 Ibid., p.22. 71 Gouvernement de Mauritanie, 17 avril 2007, op. cit., Art. 73. 72 Vettraino et Mathewson, op. cit., p.16. 73 Ibid., pp.24-25. 74 Ibid., p.24. 75 Ibid., p.25. 76 MRG, Mauritanie, entretien avec l’avocat Maître Elid
Mohameden, 5 décembre 2013, récupéré le 24 août 2015, http://www.minorityvoices.org/news.php/en/1543/mauritania -interview-with-lawyer-me-elid-mohameden.
77 Ibid. 78 Information du représentant de ASI, août 2015. 79 Ibid. 80 Ibid. 81 Voir UNHRC, 24 août 2010, op. cit., § 105.
working to secure the rights of minorities and indigenous peoples
Application de la législation anti-esclavage en Mauritanie : l’incapacité permanente du système judiciaire à prévenir, protéger et punir
En dépit d’une loi anti-esclavage votée en 2007, l’esclavage reste répandu en Mauritanie, particulièrement parmi la communauté Haratine. Les personnes vivant dans des conditions d’esclavage sont régulièrement battues, intimidées, séparées de force de leurs proches et leurs droits sont bafoués de multiples façons, incluant le harcèlement sexuel. Application de la législation anti- esclavage en Mauritanie : l’incapacité permanente du système judiciaire à prévenir, protéger et punir, publication commune de l’Anti-Slavery International (ASI), du Minority Rights Group International (MRG), de la Society for Threatened Peoples (STP) et de l’Unrepresented Nations and Peoples Organization (UNPO), décrit les incapacités systématiques du système judiciaire mauritanien à fournir réparation aux victimes d’esclavage.
Bien que la législation de 2007 contient une série de dispositions pénalisant l’esclavage, avec des sanctions spécifiques pour ses auteurs, sa mise en place a dans la pratique été entravée par une incapacité permanente à identifier et poursuivre les crimes d’esclavage. Basé sur plusieurs études de cas documentées, ce rapport décrit comment les dispositions de lutte contre l’esclavage sont
régulièrement violées à tous les stades de la procédure légale, par la police, les procureurs et les représentants judiciaires qui refusent fréquemment de donner suite aux affaires d’esclavage ou de prendre des mesures légales contre les auteurs déclarés coupables. Ainsi, cette pratique abusive perdure dans un climat d’impunité.
Par conséquent, la adoption en août 2015 de la nouvelle loi anti-esclavage renforçant les dispositions de la législation précédente et élargissant ses définitions, bien qu’elle constitue un pas en avant, ne saurait solutionner les problèmes à la base de cette pratique sans l’engagement total des autorités mauritaniennes à chaque niveau. En outre, bon nombre de ces dispositions sont encore loin des recommandations des Nations Unies ou des activistes pour les droits de l’homme. Ce rapport donne donc une série de recommandations pour concrétiser l’engagement de la Mauritanie à éradiquer l’esclavage, en mettant l’accent sur une réforme légale plus poussée, une capacité accrue à appliquer la législation, une formation des fonctionnaires, une responsabilisation des organisations de la société civile et un système global de soutien aux victimes d’esclavage.
Minority Rights Group International 54 Commercial Street, London E1 6LT, United Kingdom ISBN 978-1-907919-67-1 Tel +44 (0)20 7422 4200 Fax +44 (0)20 7422 4201 Email minority.rights@mrgmail.org Website www.minorityrights.org @minorityrights www.facebook.com/minorityrights Visit the Minority Voices Newsroom for stories from minorities and indigenous peoples around the world www.minorityvoices.org
Anti-Slavery International Thomas Clarkson House, The Stableyard, Broomgrove Road, London SW9 9TL, United Kingdom Tel +44 (0)20 7501 8920 Fax +44 (0)20 7738 4110 Email info@antislavery.org Website www.antislavery.org @Anti_Slavery
Society for Threatened Peoples (GfbV) PO Box 2024 , 37010 Göttingen, Germany Tel +49 551 49 90 60 Fax +49 5 515 80 28 Email info@gfbv.de Website www.gfbv.de
Unrepresented Nations and Peoples Organization Laan van Meerdervoort 70, 2517, The Hague, The Netherlands Tel +31 (0)70 36 46 504 Email unpo@unpo.org Website www.unpo.org
Remerciements
Cette publication a été élaborée avec l’aide du Freedom Fund et du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour la lutte contre les formes modernes d’esclavage. Le contenu relève de la seule responsabilité de Minority Rights Group International, d’Anti-Slavery International, de l’Unrepresented Nations and Peoples Organization et de la Society for Threatened Peoples.
Auteurs
Rebecca Marlin, Minority Rights Group International. Sarah Mathewson, Anti-Slavery International.
Editors
Carla Clarke, Minority Rights Group International. Peter Grant, Minority Rights Group International. Johanna Green, UNPO. Hanno Schedler, Society for Threatened Peoples.
MRG remercie l’assistance de recherche substantielle fournie par Emeline Dupuis dans la préparation de ce rapport.
Anti-Slavery International
Anti-Slavery International (ASI), créée in 1839, se consacre à la lutte contre toutes formes d’esclavage dans le monde. L’esclavage, l’asservissement et le travail forcé constituent des violations des libertés individuelles, qui privent des millions de personnes de leur dignité et de leurs droits fondamentaux. ASI travaille pour mettre fin à ces abus en faisant campagne pour l’éradication de l’esclavage, en révélant au grand jour les cas actuels et en soutenant les initiatives d’organisations locales visant à libérer des personnes et à appeler à une meilleure application des lois internationales contre l’esclavage. Pour en savoir plus, rendez-vous sur www.antislavery.org.
Society for Threatened Peoples
Society for Threatened Peoples (STP) est une organisation internationale pour les droits de l’homme qui lutte au côté et au nom des minorités ethniques et religieuses et des peuples indigènes menacés et persécutés. STP possède un statut consultative auprès des Nations Unies (NU) depuis 1993 et un statut participatif au sein du Conseil de l’Europe (CDE) depuis 2005.
© ASI, MRG, STP et UNPO 2015 Tous droits réservés
Minority Rights Group International
Minority Rights Group International (MRG) est une organisation non-gouvernementale (ONG) qui agit pour protéger les droits des minorités ethniques, religieuses et linguistiques et des peuples indigènes dans le monde, et pour encourager la coopération et la compréhension entre les communautés. Nos activités sont centrées sur un plaidoyer international, une formation, des publications et un travail de proximité. Nous sommes guidés par les besoins exprimés par notre réseau partenaire mondial d’organisations, qui représentent les peuples minoritaires et indigènes.
MRG travaille avec plus de 150 organisations dans près de 50 pays. Notre Conseil directeur, qui se réunit deux fois par an, est composé de membres de 10 pays différents. MRG possède un statut de consultant auprès du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC), et un statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (ACHPR). MRG est enregistrée sous la forme d’une association caritative et société à responsabilité limitée selon le droit anglais : n° d’immatriculation de l’association caritative 282305, n° d’immatriculation de la société à responsabilité limitée 1544957.
Unrepresented Nations and Peoples Organization
Unrepresented Nations and Peoples Organization (UNPO) est une organisation internationale non violente et démocratique créée à La Haye en 1991. Ses membres sont des peuples indigènes, des minorités et des territoires non reconnus ou occupés qui se sont rassemblés pour protéger et faire valoir leurs droits, préserver leur environnement et trouver des solutions non violentes aux conflits qui les affectent. Bien que les aspirations des membres de l’UNPO diffèrent grandement, ils sont tous unis par un fait commun : ils ne sont pas correctement représentés dans les principales assemblées internationales, comme les Nations Unies. Par conséquent, leur opportunité de participer à la scène internationale est très limitée, tout comme leur capacité à avoir accès au et s’appuyer sur le soutien des organes mondiaux mandatés pour défendre leurs droits, protéger leur environnement et réduire les effets des conflits. L’UNPO agit donc pour lutter contre les conséquences de la marginalisation en faisant valoir des causes démocratiques, en fournissant des informations via des rapports, conférences et formations thématiques, et en articulant des stratégies créatives et non violentes pour veiller à ce que les voix de ses membres soient entendues sur la scène internationale.
Le contenu de cette publication peut être reproduit à des fins d’enseignement ou toute autre fin non commerciale. Il ne peut être reproduit, en tout ou partie, sous quelque forme que ce soit, à des fins commerciales sans l’autorisation expresse préalable des détenteurs des droits d’auteur. Pour en savoir plus, contacter MRG. Cette publication est répertoriée dans le catalogue de la British Library. ISBN 978-1-907919-67-1. Publiée en October 2015.
Application de la législation anti-esclavage en Mauritanie : l’incapacité permanente du système judiciaire à prévenir, protéger et punir est publié par ASI, le MRG, la STP et l’UNPO sous forme d’une contribution visant à sensibiliser le grand public au problème traité. Le texte et les opinions de l’auteur ne représentent pas nécessairement, en détail et à tous égards, l’opinion collective de ASI, le MRG, la STP et l’UNPO.
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