Biram Dah Abeid, la mauvaise conscience de l’Afrique noire – Tribune de Elhadj Fall
Biram Dah Abeid, la mauvaise conscience de l’Afrique noire
Biram Dah Abeid est un militant de l’abolition de l’esclavage, partisan de la lutte par la non-violence.
Son combat sera distingué, à maintes reprises, notamment, en 2013, par le « Prix des Nations-Unies pour les droits de l’homme », délivré tous les cinq ans ; Martin Luther King et Nelson Mandela le précèdent sur la liste des récipiendaires.
Aujourd’hui, à l’anniversaire des 100 ans de Mandela, Biram Dah Abeid se trouve en prison, à cause de son combat pour l’égalité de droits et contre le racisme.
Biram Dah Abeid dirige l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionnisme en Mauritanie (IRA – Mauritanie), une association qui s’efforce d’accélérer l’éradication de l’esclavage et des pratiques dérivées. Son organisation n’a jamais été reconnue par le ministère de l’intérieur depuis sa création, en 2008. L’obstacle administratif n’a pas empêché, le charismatique défenseur des droits de l’homme et lanceur d’alerte, de fonder et mobiliser, partout dans le monde libre, des sections dont l’inventivité et le dynamisme étonnent. Ainsi, l’IRA se trouve-t-elle implantée, un peu en Afrique et beaucoup dans l’hémisphère Nord : France, Italie, Usa, Canada, Belgique, Hollande, Allemagne, Sénégal, Côte-d’Ivoire, Mali. Oui, notre Continent, sujet de la présente apostrophe, représente le maillon faible de la solidarité avec les descendants d’esclaves et les victimes de discrimination raciale en Mauritanie.
Hors d’Afrique, Biram Dah Abeid et ses compagnons de route bénéficient de l’écoute et de l’empathie, comme en témoigne une couverture multilingue, par la presse des nations démocratiques. A rebours, les parlements nationaux d’Afrique et leurs déclinaisons sous-régionales, les ambassades et les lieux de pouvoir africains restent des forteresses hermétiques aux derniers chevaliers de la détermination anti-esclavagiste. Pourtant, les aspirations de l’IRA à l’équité en Mauritanie touchent l’être humain dans sa globalité mais surtout la singularité de l’homme noir; il est bien paradoxal de constater la vigueur de cet humanisme, relayée sous d’autres cieux, pendant que les voisins, par la géographie, la culture et la communauté historique, s’en détachent, avec indifférence ou embarras.
L’histoire de Biram Dah Abeid, à vous relatée en ce début décembre 2018, vous permettra un aperçu ponctuel des épreuves, endurées par son mouvement depuis 2008, elles-mêmes fruit de quelques siècles de domination et d’exploitation où la barbarie le dispute au déni.
Nous avons eu connaissance que, le 03 décembre 2018, le juge d’instruction, supposé « indépendant », montrait l’ordonnance de renvoi devant la cour correctionnelle, à l’un des avocats membres du collectif de la défense de Biram Dah Abeid et de son codétenu Abdallahi Houssein Messoud. Deux jours après, se produit un coup de théâtre, digne de la réputation de la Mauritanie. En effet, le ministère public refuse la décision du magistrat instructeur et exige de saisir, plutôt, la Cour criminelle. Il convient de rappeler, ici, que le motif de la poursuite réside dans une plainte, déposée par un journaliste proche des services de renseignements généraux, lequel accuse Biram Dah Abeid, de l’avoir traité d’agent de la police politique. Depuis quand et en vertu de quelle théorie générale du droit, une parole, au demeurant provoquée dans un contexte de dissentiment personnel, constitue-t-elle un crime ? Surtout qu’il n’est un secret pour personne en Mauritanie que la personne en question s’est érigée en insulteur public contre le président Biram Dah Abeid alors qu’il était sensé l’interviewer. Derrière l’absurdité apparente, perce une rationalité obscure : la condamnation de Biram Dah Abeid invaliderait sa candidature à l’élection présidentielle d’avril 2019, échéance à laquelle l’actuel Chef de l’Etat, Mohamed Ould Abdel Aziz, ne se présente, en vertu de la limitation constitutionnelle des mandats. Mais s’est il engagé nonobstant à faire élire un candidat de son camp pour poursuivre son programme politique. Biram Dah Abeid demeure, à ce jour, le premier mauritanien élu député, en prison ; le 1er septembre, du fonds de sa cellule, il recevait le nombre suffisants de suffrages, pour accéder, à l’Assemblée nationale, dès le premier tour de scrutin. Cependant, le voici toujours en détention préventive, au mépris de l’immunité de son état.
Dans la nuit du 4 décembre 2018, au prétexte de «prélèvement sanguin», sans doute aux fins inavouées lui injecter une dose d’un produit létal dans le corps, les gardes pénitentiaires de la prison civile de Nouakchott, le somment d’obtempérer à l’examen médical. Le prévenu refuse au motif que tout acte de cette nature s’effectue dans un lieu agréé, en présence d’avocats et de témoins, point à l’intérieur d’une cellule insalubre.
Les différentes déclarations de soutien, notamment de l’écrivain djiboutien Abdarahmane Waberi, du leader de «La France Insoumise» Jean Luc Mélenchon mais également de l’opposition de Mauritanie dans le Parlement, en l’occurrence la députée Coumba Dada Kane et son collègue Leid Mohameden, démontrent le degré de notoriété et l’ampleur de l’indignation que cette de affaire de règlement de compte par l’instrumentalisation de la justice, suscite en Mauritanie et au delà.
Dans le concert croissant des promoteurs de la liberté et de la dignité de l’homme noir, l’Afrique est encore inaudible….
Elhadj Fall
Membre du staff du candidat Biram Dah Abeid aux élections présidentielles de 2019 et porte-parole.
Paris, France, le 7 décembre 2018.
Liens connexes
http://biramdahabeid.org/archives/5883
https://www.humanite.fr/liberte-pour-biram-dah-abeid-664409