Mauritanie : Les lois répressives limitent l’exercice pacifique de la liberté d’expression (Human Right Watch)
Il est urgent de réformer la législation
(Genève) – Au cours de l’année 2018, les autorités mauritaniennes ont recouru à de nombreuses lois draconiennes et de portée trop large sur le terrorisme, la cybercriminalité, l’apostasie et la diffamation criminelle afin de poursuivre et d’emprisonner des défenseurs des droits humains, activistes, blogueurs et dissidents politiques, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui, lors de la publication de son Rapport mondial 2019.
L’affaire la plus récente illustrant cette tendance date de septembre, lorsqu’un tribunal a reconnu l’activiste Abdallahi Salem Ould Yali coupable d’incitation à la violence et à la haine raciale en raison de ses messages sur les médias sociaux qui critiquaient la discrimination raciale régnant dans le pays. Yali est en détention provisoire depuis son arrestation en janvier 2018.
« Les autorités mauritaniennes brandissent une collection d’outils légaux répressifs pour réduire au silence les activistes et organisations qui insistent sur le fait que l’esclavage et la discrimination ethnique sont des questions majeures auxquelles la nation doit s’attaquer », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Elles devraient réformer de toute urgence le code pénal et d’autres textes de loi afin qu’ils ne puissent pas être utilisés pour punir les actes d’expression pacifique. »
Dans la 29e édition de son Rapport mondial annuel (version intégrale en anglais 674 pages – version abrégée en français 233 pages), Human Rights Watch examine les pratiques en matière de droits humains dans plus de 100 pays au cours de l’année 2018. Kenneth Roth, le directeur exécutif, affirme dans son essai introductif que les populistes qui répandent la haine et l’intolérance dans de nombreux pays sont confrontés à une résistance croissante. De nouvelles alliances de gouvernements respectueux des droits, souvent inspirées et rejointes par des organisations de la société civile et par le public, sont en train d’accroître le prix à payer pour les abus commis par des dirigeants autocratiques. Les succès de leurs démarches illustrent la possibilité de défendre les droits humains – voire la responsabilité de le faire – y compris aux heures les plus sombres.Le 31 décembre, un tribunal a libéré Biram Dah Abeid, président de l’association anti-esclavage Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) et député du Parlement nouvellement élu, après l’avoir condamné à une peine de deux mois de prison ferme qu’il a déjà purgé à la suite de son arrestation en août 2018. Il était accusé d’avoir insulté et menacé un journaliste. Depuis sa création en 2008, les autorités refusent de traiter la demande d’enregistrement légal de l’IRA et bloquent ses tentatives d’organiser des conférences et des ateliers. Deux de ses militants ont été libérés de prison en 2018 après avoir purgé des peines de deux ans prononcées à l’issue d’un procès inique impliquant 13 membres de l’IRA.
Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir, un blogueur connu qui avait été condamné à mort pour apostasie en janvier 2014 pour un article mettant en question l’utilisation de la religion pour légitimer la discrimination d’ethnies et de castes en Mauritanie, est détenu au secret depuis novembre 2017, alors qu’une cour d’appel a commué la peine capitale prononcée contre lui en deux ans d’emprisonnement.
La Mauritanie devrait abroger une loi adoptée en avril qui a rendu obligatoire de prononcer la peine de mort dans les procès pour blasphème, a déclaré Human Rights Watch.
En août 2017, les autorités ont mis en examen l’ancien sénateur Mohamed Ould Ghadda, une figure de l’opposition, sur la base de chefs d’inculpation de corruption peu crédibles, l’accusant d’avoir accepté des pots-de-vin d’un détracteur du gouvernement, quelques jours seulement après un référendum national en faveur de la dissolution du Sénat mauritanien, à laquelle Ghadda s’était opposé. Même si Ghadda a été libéré en août, après un an de détention provisoire, il demeure sous contrôle judiciaire et restreint dans ses déplacements.
Les autorités ont refusé de reconnaître plusieurs associations, notamment « Touche pas à ma nationalité », qui se concentre sur la discrimination institutionnelle à l’égard des Mauritaniens noirs lors du processus national d’enregistrement à l’état civil. Ces refus sont rendus possibles par la loi de 1964 sur les associations, qui exige qu’elles obtiennent une autorisation pour fonctionner. Or la loi octroie au ministère de l’Intérieur le pouvoir de refuser cette autorisation pour des motifs vagues tels que « propagande antinationale » ou « exerc[ice d’]une influence fâcheuse sur l’esprit des populations ».
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