Biram Dah Abeid, un militant anti-esclavagiste (IFEX)

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Washington, 30 juin 2016. Le Secrétaire d’Etat américain John Kerry remet un prix à Biram Dah Abeid au cours de la cérémonie des Héros contre la Traite des Humains (Trafficking in Persons -TIP). REUTERS/Kevin Lamarque


Dans une conversation avec Freedom House en décembre 2013, Biram Dah Abeid parle de ce que c’était que de grandir en tant que descendant d’esclaves, dans une communauté où l’esclavage était encore pratiqué.

 


… Quand je grandissais, j’ai vu l’isolement que l’esclavage a créé autour de moi. J’ai réalisé que nous sommes dans un monde qui, moralement, nous oblige à aider les esclaves qui sont principalement mauritaniens et sont exclus du reste du monde. Il est de notre devoir de restaurer leur dignité et leur humanité .


 

Si vous deviez évoquer une image d’un militant type des droits de l’homme, il y a fort à parier que vous n’allez pas décrire un individu qui a brûlé des livres.

Pourtant, bruler les livres est l’une des façons les plus choquantes par lesquelles Biram Dah Abeid, fondateur et président de l’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA), a provoqué le débat sur l’esclavage moderne dans son pays natal la Mauritanie.

Dans un article pour The New Yorker, Alexis Okeowo décrit un moment en 2010 lorsque, en pleine prière publique qu’il dirigeait, Dah Abeid a ordonné à son garde du corps de recouvrir les textes qui interprètent de façon erronée la loi islamique.

Dah Abeid a grandi dans une famille musulmane, comme la plupart des gens en Mauritanie. Cependant, il est convaincu que beaucoup de ses compatriotes interprètent mal l’Islam pour justifier l’esclavage.

Dah Abeid et ses collègues ont également plaidé en faveur de la libération des esclaves et la mise en accusation des propriétaires d’esclaves par l’organisation des sit-in au ministère de la Justice, des visites dans les villages pour sensibiliser les gens à propos de l’esclavage et le partage d’informations avec la communauté internationale sur le sort des peuples Haratin.

Dah Abeid sait tout ce que ça implique que d’être aux échelons inférieurs de la société. Le militant est d’origine Haratin (également orthographié Haratine) – un peuple en Mauritanie qui a généralement une peau plus foncée et que l’Encyclopaedia Britannica décrit comme « Une catégorie de travailleurs distincte socialement et ethniquement ». Ironiquement, les Haratin sont aussi souvent désignés comme « des esclaves libérés ». La grand-mère paternelle de Dah Abeid était une esclave et ses parents l’ont élevé dans un village où eux-mêmes ainsi que d’autres familles Haratin exploitaient des terres agricoles appartenant aux Beydanes – une minorité privilégiée en Mauritanie et qui ont généralement une peau plus claire.

Dans un entretien en 2013 avec Freedom House, Dah Abeid parle de ce qu’il était à être élevé parmi des peuples asservis. « Quand je grandissais, j’ai vu l’isolement que l’esclavage a créé autour de moi. J’ai réalisé que nous sommes dans un monde qui, moralement, nous oblige à aider les esclaves … Il est de notre devoir de leur rendre leur dignité et leur humanité ».

L’esclavage a été officiellement aboli en Mauritanie en 1981. Mais il a fallu attendre 2007 pour que le fait de posséder un autre être humain devienne un crime. En dépit de ces lois, l’esclavage et le travail sans contrat persistent encore dans les pays de l’Afrique de l’Ouest.

Les statistiques de personnes soumises à l’esclavage en Mauritanie ne sont pas cohérentes. Dans un entretien avec Freedom House en 2013, Dah Abeid a estimé qu’environ 20% de la population nationale sont réduits en esclavage dont 80% d’entre eux sont des femmes et des enfants. En décembre 2015, la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest a cité l’Index Global de l’Esclavage qui lui parle de 4% de la population mauritanienne. Les disparités des chiffres ne sont pas surprenantes étant donné que, selon un rapport de 2014 du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage, « le gouvernement n’a pas de données définitives sur la nature et l’incidence de l’esclavage en Mauritanie ».

En tant que première personne de sa famille à aller à l’école, Dah Abeid est devenu très alerte aux profondes injustices que le peuple Haratin endure. Il a fait des études de droit et d’histoire, il a travaillé comme administrateur dans le système judiciaire et, en 2008, il a fondé l’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste, une organisation sans but lucratif qu’il décrit comme « une organisation de lutte populaire ».

Le 11 novembre 2014, Dah Abeid a été arrêté avec au moins huit autres militants anti esclavagistes. Lui et ses collègues avait visité différents villages, donnant des conférences sur la « propriété esclavage », « un système qui transforme les membres de la communauté Haratine en simples ouvriers sur leurs propres terres ancestrales », selon Front Line Defenders.

Dah Abeid a été inculpé et par la suite condamné à deux ans de prison pour « réunion illégale et rébellion », « apologie de la rébellion » et « refus d’obéir aux ordres donnés par les autorités administratives ».

Pendant leur séjour en détention, Dah Abeid et d’autres militants ont organisé une grève de la faim de trois jours réclamant, entre autres, le droit d’être visité par des parents et la fixation de la date du procès de leurs collègues enfermés dans une autre prison.

Dah Abeid et son collègue Brahim Bilal Ramdhane, vice-président de l’IRA, ont été finalement libérés en mai 2016 sur décision de la Cour Suprême de Mauritanie.

Malheureusement, leur libération a été suivie de plus de répression encore du gouvernement sur les militants anti-esclavagistes. Dans une interview avec Freedom House en juillet 2016, Dah Abeid note que la notoriété de leur cas menace le gouvernement mauritanien. « En prison, nous avons reçu beaucoup de soutien de la population et de la communauté internationale. Le gouvernement, qui n’a pas beaucoup d’intérêt pour la démocratie, est effrayée par des personnalités populaires ».

Dah Abeid est lauréat de nombreux prix internationaux prestigieux, dont le Prix des droits humains des Nations unies, le Prix de Front Lines Defenders, Le Prix James Lawson et, plus récemment, le Prix du Héros TIP du Département d’Etat américain.

 

 

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