Le discours de Biram Dah Abeid au 9éme sommet de Genève 21/02/2017
Biram Dah Abeid, Advocate for the abolition of slavery in Mauritania (English Translation)
Discours en français :
Prière à Dieu miséricordieux et paix sur son Prophète.
Les noirs opprimés de Mauritanie s’adressent à vous !
Je remercie l’institution du Geneva Summit, rends hommage à mes collègues ici présents, personnalités illustres, par leur concours à la défense de la dignité humaine.
Excellences, représentants de pays et d’institutions mobilisés à faire valoir les droits de la personne, je m’adresse à vous aujourd’hui en citoyen de la République islamique de Mauritanie, pays réputé pour le nombre d’esclaves dans sa population, sans doute le taux le plus élevé en comparaison du reste du monde.
Notre gouvernement s’est distingué, ces dernières décennies, par la persécution, la torture et l’emprisonnement des militants pacifiques, à cause de leur engagement en faveur de l’égalité et contre les discriminations de naissance.
Au nom de mes camarades et frères, victimes de harcèlement et de sévices corporels, je m’adresse à vous, moi l’abonné périodique aux geôles impitoyables et insalubres de mon pays, où j’ai subi, à plusieurs reprises, la persécution et les brimades, y compris des mesures de relégation en plein désert.
Je suis aussi un représentant de la communauté des « sous hommes », les hratin, dont le statut servile est consacré par des lois, issues de traités de droit, abusivement protégés et enseignés en vertu d’une lecture conservatrice et déshumanisante de l’Islam.
Je suis né paria, un legs involontaire de mes ascendants ; la société où nous avons vu le jour et qui nous refuse le minimum de considération et d’espérance, abrite la source première de ma révolte. Je lutte pour une Mauritanie sans caste ni ostracisme, respectueuse de ses citoyens ; cette Mauritanie reste introuvable, comme une promesse sans cesse différée.
J’ai fait serment de me dresser contre cette iniquité, à mon père, un homme né d’une esclave, elle-même victime de travaux forcés, objets de vente aux enchères et de châtiments corporels ; dans le fardeau de cet héritage que je ne puis résilier, je puise mon engagement.
Mon géniteur Dah Abeid, déjà affranchi dans le ventre de sa mère, subira, plus tard, la privation de ses propres enfants et de sa première épouse qui appartenaient à leur maître. L’exemple vous donne une idée du droit de propriété et des transactions commerciales qui s’exerçaient, alors, dans ma société, sur des êtres humains : fœtus, enfants et majeurs, se retrouvent pris dans la nasse d’une reproduction endogamique qui transmet, par la mère, la déchéance et la réification à vie. Codifiées, sacralisées sous le bouclier de la religion et pleinement maintenus par un gouvernement membre des instances onusiennes, ces pratiques de racisme et d’exploitation violente, malgré la déclaration universelle des droits de l’homme. L’Etat de Mauritanie subventionne la diffusion de ce savoir de la honte, auprès de ses magistrats et dans les écoles religieuses qui les forment.
Mon combat pour l’éradication de l’esclavage et de ses conséquences sociales, ainsi que l’avènement de l’Etat de droit, a été fortement nourri, de ma cohabitation forcée, dès la tendre enfance, avec l’oppression subie par les serviteurs ; le spectacle de l’infériorité raciale se déroulait sous mes yeux, meublait mes interrogations et comprimait mon avenir. Le racisme officieux, dans l’appareil d’Etat et l’opinion, endeuille une grande partie de mes compatriotes ; il retarde l’autodétermination de mes congénères noirs de Mauritanie et autorise l’usurpation de leur désir de bonheur.
Après des siècles de travail sans rémunération et d’une existence infâme, nous croupissons, depuis des décennies sous le joug d’un club de militaires qui se relayent au pouvoir, nous subjuguent et compromettent notre aspiration, par le putsch, la rapine et la diplomatie de la dissimulation.
Honorable assemblée, les tenants et profiteurs de la tyrannie ainsi décrite ont dressé et dressent toujours des obstacles sur notre chemin vers l’accession aux services universels de base. En plus des emprisonnements, des vexations et des coups et blessures, nous endurons la privation de toute activité professionnelle, de gagne-pain, la diabolisation par les media du système d’hégémonie tribale, l’excommunication religieuse, autant que le déni nos droits constitutionnels, tels les libertés d’association, de réunions, de manifestation et d’expression.
Notre organisation, Ira-Mauritanie, est frappée d’interdiction depuis sa naissance, en 2008, nos manifestations et réunions non-violentes sont assimilées, par les juges dociles, à des rebellions « armées ou non armées »; de ce fait, plusieurs dizaines de nos membres -dirigeants et militants – furent condamnés, jusqu’à 15 ans de prison, suite à des accusations fantaisistes, souvent abandonnées sans motivation écrite; certains restent en prison où ils purgent un reliquat de peine. De nombreux simulacres de procès jalonnent notre marche ardue face aux promoteurs de l’ordre esclavagiste et suprématiste. Les armes interchangeables du takfir, de la stigmatisation par l’impiété et du crime d’apostasie sont largement utilisées contre nous, pour susciter la haine de nos concitoyens et coreligionnaires.
Pour le troisième emprisonnement consécutif dans ma carrière d’activiste, le 11 Novembre 2014, j’ai été interpellé, dans la ville de Rosso (sud-ouest de la Mauritanie), par le commandant de la gendarmerie Brahim ould Brahim,le colonel de la garde nationale Mohamadou Ould Sid’ Elemine, ainsi que le Directeur régional de la police Essevir Ould Ahmed Tolba, tous les trois d’extraction esclavagiste, donc membres de l’ethnie dominante. Le motif de mon arrestation est ma sympathie à l’endroit d’un groupe de trente personnes, ayant marché à peu près 300 km, de la ville de Boghé, à celle de Rosso, pour exiger que des paysans, d’ascendance servile, profitent, enfin, du fruit de leur labeur. Pareille solidarité avec les marcheurs m’a valu, l’arrestation, la torture, le bannissement, la privation des soins médicaux et la condamnation à deux ans de prison ferme ; mes amis d’infortune et moi virent toutes nos facultés restreintes ou annulées, sous la contrainte.
Un régime de déportation loin de nos juges naturels et légaux, de nos médecins, de nos avocats et de nos familles nous a été appliqué.
Nous menons un effort de Sisyphe, devant un pouvoir qui méprise le droit national volontairement édicté et le droit international qu’il a souverainement ratifié. En Mauritanie, la loi enracine et promeut la raison du plus fort. Elle ne poursuit d’autre finalité que figer l’ordre social né de l’inégalité ethnique et en préserver les assises.
Hélas, le pire réside ailleurs : une campagne violente dans les médias d’Etat et de la domination et les mosquées, a fini par produire, contre ma personne, une rhétorique rodée de la haine, un véritable acharnement qui prépare l’homicide : insulté, vitupéré, voué à servir de cobaye à un apprenti-jihadiste, je suis toujours livré à la vindicte, par le chef de l’Etat lui même, ses ministres, ses laudateurs, lesquels monopolisent les écrans des télévisions, les ondes des radios et les pages des journaux.
De mon lieu de détention, le cynisme des geôliers les poussait à me faire écouter et voir les attaques les plus blessantes, envers mes amis et moi. Comble de l’affliction, mes enfants et proches contemplaient le déferlement, sans pouvoir n’y soustraire ni réagir.
Permettez-moi, chers amis, de partager avec vous cette histoire, qui fut l’un des actes fondateurs de ma conscience engagée : J’avais 8 ans et ma mère, comme à son habitude, accueillit, dans notre domicile, un serviteur marron, du nom de Mohamed ; il endurait la faim et se couvrait de guenilles, bien que de corpulence imposante. Nourri et doté de nouveaux vêtements, l’esclave – qui avait fugué la veille – dormit, profondément mais, son maitre vint à ses trousses, et le tira du sommeil, par des coups de gourdin ; l’esclave ne réagissait et se soumettait, religieusement, aux injonctions de son propriétaire, violent et impitoyable. Je demandais à ma mère « pourquoi Mohamed, costaud qu’il est, ne se défend-il pas face à Tah – le maitre – plus petit et si chétif ? Elle me répondit « Mohamed est un esclave, il est enchainé ». Je répliquais « je ne vois pas de chaines ». Elle objecta, sur le ton, posé, de la pédagogie : « ce sont des chaines dans la tête, des attaches religieuses pas en métal ; mon fils, l’enseignement de la dévotion stipule que l’esclave doit obéir en tous lieux et en toutes circonstances à son maitre, faute de quoi Dieu le brulera dans le feu éternel. »
Mon père, témoin de la scène, me tira de coté pour m’avertir :
Tu sais pourquoi je t’ai mis à l’école »?
Non réponds-je.
Je t’ai mis à l’école pour que tu acquiers des connaissances religieuses et d’autres, avec la mission de mener une offensive intellectuelle et religieuse contre l’esclavage ; tes actes compléteront ma résistance mentale, matérielle et physique contre ce cancer social.
Depuis l’incident chargé de sens, je me nourris du fameux serment de poursuivre la lutte ; la persistance des crimes d’esclavage, l’espoir que notre condition d’opprimé en mouvement suscite le soutien de beaucoup de personnes, d’Ong, d’institutions et d’Etats démocratiques, nous procurent davantage de constance et de confiance.
Ces leviers représentent, pour nous, le ferment continuel de notre vocation.
Nous espérons, hélas sans trop en connaître d’illustration historique, que la victoire du contrat sur l’arbitraire et de la dignité sur la brutalité, se réalise dans la paix et la sécurité, au bénéfice, commun, des anciens opprimés et de leurs anciens oppresseurs.
Genève 21 Février 2017
Vidéo : Le discours du président Biram Dah Abeid au 9éme sommet de Genève 21/02/2017 : https://www.youtube.com/watch?v=CrgCeNlsyL8&feature=youtu.be&app=desktop