Mauritanie : « 20 % de la population vit toujours en esclavage » (LaCroix)
Des centaines de milliers de Mauritaniens sont toujours victimes de l’esclavage, et des militants abolitionnistes sont réduits au silence malgré la criminalisation de cette pratique dans la constitution du pays depuis 2007.
Abeid Biram Dah, fondateur mauritanien de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), principal mouvement anti-esclavage du pays, a adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron, quelques jours avant sa visite en Mauritanie pour le Sommet de l’Union africaine du 2 juillet. Il y dénonce la répression contre les militants anti-esclavage.
Abeid Biram Dah, fondateur mauritanien de l’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA), principal mouvement anti-esclavage du pays. / Seyllou/AFP
La Croix : Pourquoi l’esclavage se poursuit-il en Mauritanie malgré son abolition en 1981 ?
Abeid Biram Dah : Plus ou moins 600 000 Mauritaniens, soit 20 % de la population, vivent toujours en esclavage par ascendance, alors que cette pratique a été abolie de la constitution en 1981 et même criminalisé en 2007.Cette pratique d’une autre époque se poursuit en raison des lois mauritaniennes qui sont issues d’une charte appelée le « rite malékite » de la « charia » islamique. Ce code discriminatoire est toujours placé au sein de la constitution islamique mauritanienne comme principale source de loi. De là, l’esclavage représente un enjeu économique énorme pour l’aile conservatrice au pouvoir en Mauritanie.
Les personnes noires autochtones de la Mauritanie (les communautés afro-mauritaniennes et les Haratines) sont réduites en esclavage par les descendants des conquérants arabo-berbères. Les victimes naissent expropriées et sont assujetties à des châtiments corporels. Elles n’ont pas le droit à l’éducation, ni aux pièces de l’état civil et sont susceptibles d’être cédées, ou vendus.
Les militants anti-esclavages peuvent-ils s’exprimer librement ?
A. B. D. : Les organisations de défense des droits de l’homme ou abolitionniste sont inaudibles. Tous ceux qui manifestent sont arrêtés, jugés, condamnés à des peines lourdes allant jusqu’à quinze ans, ils subissent aussi des actes de torture, d’humiliation et de tabassage systématique.
C’est dans ce cadre que les militants l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) sont constamment persécutés. Une dizaine des militants restent incarcérés en Mauritanie, sans compter 17 procès d’opinion au cours de ces dernières années.
La lutte contre l’esclavage reste à haut risque en Mauritanie
Quels sont les moyens d’action de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste ?
A. B. D. : Nous nous investissons dans la sensibilisation, qui consiste à dénoncer par voie de presse et en partenariat avec des ONG internationales des droits de l’homme comme Amnesty internationale, Human Rights Watch, etc.
Notre mobilisation se poursuit en dépit de l’arsenal répressif des autorités mauritaniennes. Nos militants ont subi plusieurs procès publics très médiatisés, au cours desquels ils ont tenu tête aux juges, aux officiers de police et ils ont pu transformer les jugements et les procès en tribune de dénonciation et de vulgarisation contre l’esclavage.
Qu’attendez-vous du président français Emmanuel Macron, invité d’honneur au sommet de l’Union africaine en Mauritanie le 2 juillet, à qui vous venez d’adresser une lettre ouverte sur les discriminations systématiques de certaines communautés ethniques dans le pays ?
A. B. D. : Nous attendons du président Emmanuel Macron qu’il réitère à son homologue mauritanien les principes sur lesquels est bâtie la France, comme pays membre permanent des Nations unies.
Qu’il rappelle surtout à la Mauritanie la base du pacte international qui lie les États du monde entier qu’est la déclaration universelle des droits de l’Homme et des peuples.
Nous voulons enfin que le président français aborde la question de la tentative d’épuration ethnique en Mauritanie entre 1986 et 1992 où des milliers de Mauritaniens noirs ont été déportés de force au Sénégal et au Mali et dépossédés de leurs biens, radiés de leurs fonctions, tués dans des assassinats collectifs organisés. Que le président français éclaire cette face sombre de l’histoire de la Mauritanie, dans la vérité et le droit.
Recueilli par Jean-Paul Musangania