Mauritanie : tuer un noir sous la torture et maquiller le crime en accident
« Le négrocide étant une chronique de toute banalité en Mauritanie, ses auteurs s’assurent toujours l’impunité »…déclaration
Mode opératoire
I. La capture
Mohamed Brahim, né en 1981 à El Mina – quartier de la capitale Nouakchott – a été arrêté le 11 juin 2018, à 23h environ, au domicile d’une connaissance, par 5 agents en civil, dont l’un vêtu d’une gandoura ; les assaillants l’ont violemment molesté en public, le plus costaud d’entre eux, l’ayant ceinturé au dos, tandis que les autres le rouaient de coups. Déshabillé à l’exception d’un slip, le jeune hurlait de douleur et protestait de sa bonne moralité. Plusieurs personnes assistaient à la scène ; après l’avoir ramolli, les tortionnaires rhabillent le susdit et l’accompagnent chez son hébergeur. Ensuite, ils le conduisent au Commissariat spécial communément appelé « commissariat anti-drogue ». L’intervention se déroule dans le bidonville insalubre de Kebet Elmarbat.
La famille d’accueil témoigne, devant notre caméra que deux hommes en civil sont entrés dans la demeure, entre 23h et 00h ; sans saluer, ils ont commencé la perquisition du logis, de fond en comble. Le père de la famille Kardidi, logeur du présumé délinquant, demandait, à voix haute, « pour quelles raisons fouillez-vous chez nous, sans nous expliquer pourquoi ? » L’un des agents répond, à l’épouse Vatimetou, « maman, pardonne-nous » et poursuit sa tâche. Les autres policiers se rapprochent et Mohamed Ould Brahim, à présent habillé, sans menottes au milieu des quatre, rassure : « ne vous inquiétez pas, ce sont mes amis ». Las de chercher en vain, les fouilleurs rapportent, à leur chef, « nous n’avons rien trouvé ». Les six hommes s’éloignent aussitôt, cernant leur prise, qu’ils prennent le soin d’entraver, mains derrière le dos, juste avant de le jeter dans leur véhicule.
Il importe de retenir, à ce stade du récit, que Mohamed Ould Brahim est Hartani, donc descendant d’anciens esclaves, le groupe le plus discriminé de Mauritanie.
II. Meurtre à huis clos
Vatimetou, épouse Kardidi et logeuse de la victime, déclare qu’à 5h du matin, soit six heures de temps après la fin de la perquisition, les policiers reviennent chez elle, à l’aube, manifestement fébriles ; ils lui demandent :
– Est ce que Mohamed Ould Brahim prenait des médicaments ? Souffrait d’une maladie ?
Invariablement, elle répondit « non ». Les policiers repartirent sans lui consentir d’explication.
Entre 16h et 17, toujours le 12 juin les policiers, maintenant en uniforme, reviennent chez la famille Kardidi ; ils embarquent Vatimetou et l’emmènent au Cspj. Le commissaire lui demande :
– Où se trouve la famille de Mohamed Ould Brahim ? » Elle répond ne pas la connaître.
– Est-ce que Mohamed Ould Brahim, utilisait des médicaments ? Non, répète-t-elle.
Vatimetou rentre chez elle.
III. Le camouflage
Au terme de ses recherches, la police réussit à débusquer le père de Mohamed, le dénommé Brahim Ould Matala. Le commissaire de la police anti-drogue Abdel Fatah lui précise : « Mohamed est un dealer, mort d’une crise cardiaque, pendant sa garde à vue, la nuit du 11 au 12 juin, alors qu’il était rattaché par menottes à un autre détenu. Ensuite, il désigne un l’homme en civil, par la qualité de procureur de la République mais ce dernier gardait le silence. Tous deux confirment vouloir remettre, au père, la dépouille de son enfant, transférée à la morgue du Centre hospitalier national (Chn).
A la nouvelle, Brahim Ould Matala réagit par le refus catégorique d’emporter le corps, exigeant des explications, une autopsie et l’ouverture d’une enquête. Le père de la victime suivait les conseils d’un ex-gendarme à la retraite, Sid’Ahmed Ould Semesdi.
Dépité, Ould Matala se dirigea chez le président d’IRA-Mauritanie qui se saisit de l’affaire et organisa la conférence de presse, dans la nuit du 13 au 14 juin, en présence de la mère et de la sœur de la victime. Curieusement, le père, pourtant prévu, ne vient. Le lendemain, il confesse que les autorités lui ont envoyé ses ex-maîtres, dignitaires de la tribu Tajakant ; ils lui proposèrent de leur accorder procuration pour traiter l’affaire, à sa place. Il déclina l’offre ; alors, la police interpelle l’ex-gendarme et l’accuse d’avoir incité le père du défunt à porter plainte contre les forces de l’ordre. Ould Semesdi est sommé d’infléchir la position du père, sous peine de subir des représailles. Aussi, réussit-il, sans trop d’effort, à convaincre Brahim Ould Matala, de procéder à l’inhumation et renoncer aux prétentions judiciaires. Plusieurs témoins visuels attestent, ironie et cruauté du sort, la participation des tortionnaires présumés à l’enterrement hâtif de feu Mohamed Ould Brahim, allant jusqu’à en superviser le détail.
IV. Du mensonge défensif
A l’issue de la réunion hebdomadaire du gouvernement, en date du 14 juin, Monsieur Ahmedou Ould Abdallah, Ministre de l’Intérieur et de la décentralisation, expose sa version. Après avoir insinué que le jeune serait trépassé pendant l’interpellation, Ahmed Ould Abdallah, narquois et dénué de compassion, jette l’opprobre sur le disparu et décoche, à sa mère, des sarcasmes empreints de dérision. Ainsi, argue-t-il : «… les faits se sont déroulés dans la nuit de lundi à mardi, et la famille de la victime avait été informée mardi du décès du jeune homme, quelques heures après son arrestation. Le père de la victime s’est occupé de son enterrement le jour même. Il n’y a pas eu l’ouverture d’enquête à propos de cette affaire.
Ahmedou Ould Abdallah, en principe chef de toutes les polices de la république, se dérobe à sa responsabilité d’investigation, sur un cas d’homicide, présumé commis en la circonstance aggravante de racisme et de sévices. Afin de couvrir le meurtre, il fallait lui trouver une couverture, même rétroactive ; ainsi, la victime fut-elle présentée sous les traits du « dealer de drogues». Mohamed Brahim, né d’extraction humble, descend d’anciens esclaves. Comme des milliers de jeunes de sa condition, il gagnait sa vie grâce au transport par charrette ; l’exploitation des ânes de trait lui rapportait de quoi se nourrir.
V. Une bavure de plus
Le négrocide étant une chronique de toute banalité en Mauritanie, ses auteurs s’assurent toujours l’impunité ; en voici, trois signes caractéristiques:
1. D’après la thèse finale de la police, de longues heures après l’arrestation et la perquisition, le prévenu prend peur et panique, soudain, au point de subir une crise cardiaque…
2. Le Ministre, pour sa part, allègue le décès lors de l’interpellation mais récuse la pertinence de l’enquête….
3. Le Procureur de la république, de l’aveu même du gouvernement, ne s’est pas rendu sur les lieux de « l’accident ».
VI. Observations
1. L’usage de la contrainte corporelle, dans les commissariats de police en Mauritanie, bénéficie d’une solide immunité où jouent les réflexes de solidarité ethnique et de tribalisme, surtout si la victime – ressortissant ou étranger – est un noir d’ascendance subsaharienne. Aussi, convient-il, de relever l’incompétence du Mécanisme national pour la prévention de la torture et la vacuité des lois relatives à la discrimination. Comme d’habitude, le gouvernement, pour les nécessités de l’affichage trompeur auprès des partenaires du pays, souscrit à des formules de promotion de la dignité humaine, les copie à volonté mais se garde de les mettre en œuvre. Le calcul courant consiste à faire semblant afin d’atténuer la pression de la diplomatie, favoriser la captation de l’aide publique au développement et attirer les investisseurs. Dans le cadre du détournement des programmes et projets sous financement extérieur, le déni et la contrefaçon tiennent lieu de doctrine de la survie. Neutraliser le contrôle démocratique, grâce à la combinaison de la mauvaise foi et de la fraude, permet de reproduire la domination, du moins en retarder l’inéluctable déclin.
2. Au terme de trois jours d’examen du rapport périodique de la Mauritanie, le Comité contre la torture (Onu), souligne dans ses « observations finales », « le cas de Mohamed Ould Brahim Maatalla, décédé d’un arrêt cardiaque après avoir été arrêté par la police. Il s’inquiète également des allégations faisant état de l’absence d’autopsies dans les cas de décès en détention, faute de médecins légistes, de mauvais traitements administrés en prison, comme le menottage et la pratique d’enchainements serrés lors des transferts, ainsi que du recours de manière régulière aux fouilles des cavités corporelles (art. 2, 11, 12, 13 et 16) »
3. Durant les débats des 24 et 25 juillet 2018 à Genève, la délégation de la Mauritanie agitait une autopsie sans jamais l’avoir produite, encore moins prouvé sa conformité au Protocole du Minnesota.
4. En conséquence et au regard des éléments d’information recoupés par nos soins, il appert que Mohamed Ould Brahim a été tué, sous la contrainte physique, à l’âge de 37 ans, par des agents de l’Etat, dans l’exercice de leur fonction. De toute vraisemblance, il s’agirait d’un homicide involontaire, non d’un assassinat mais, en pratique, la distinction s’avère vaine. En effet, la Mauritanie ne juge les policiers et militaires, auteurs d’attentat sur la vie de civils Hratine et négro-africains. Les tribunaux se déclarent toujours incompétents.
5. Ainsi, avec l’accord de la famille du défunt et l’assistance d’un collectif d’avocats, une nouvelle plainte est en voie de transmission à la chambre criminelle de Nouakchott ; selon la décision, suivrait le dépôt d’une requête en compétence universelle, auprès de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (Cadhp).
Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie (Ira) Nouakchott, le 15 octobre 2018