Interview :Elhadj Fall, «On veut écarter Biram Dah Abeid de la présidentielle 2019 »
Depuis 4 mois, le député mauritanien Biram Dah Abeid est en prison à Nouakchott. Figure emblématique de la lutte contre l’esclavage, ce militant des droits de l’homme, candidat déclaré à la présidentielle d’Avril 2019 dénonce un complot qui vise à le disqualifier de la course. A Paris, nous avons rencontré Elhadj Fall, son porte-parole et membre de son staff pour l’élection présidentielle.
Propos recueillis par Prince Bafouolo
Hémicycles d’Afrique : Pour ceux qui ne le connaissent pas, qui est Biram Dah Abeid ?
ElHadj Fall : Biram Dah Abeid est un militant de l’abolition de l’esclavage, partisan de la lutte par la non-violence. Son combat a été plusieurs fois distingué, notamment, en 2013, par le « Prix des Nations-unies pour les droits de l’homme », également décerné à Martin Luther King et Nelson Mandela. Biram Dah Abeid dirige depuis 2008, l’Initiative de résurgence abolitionnisme en Mauritanie (Ira-M), une association qui s’efforce d’accélérer l’éradication de l’esclavage et des pratiques dérivées.
H.A : Une organisation qui n’a jamais été reconnue par le ministère de l’intérieur depuis sa création.
EHF : L’obstacle administratif n’a pas empêché, le charismatique défenseur des droits de l’homme et lanceur d’alerte, de fonder et mobiliser, partout dans le monde libre, des sections dont l’inventivité et le dynamisme étonnent. Aujourd’hui, l’Ira est implantée en Europe: France, Italie, Usa, Canada, Belgique, Hollande, Allemagne mais aussi dans quelques pays d’Afrique : Sénégal, Côte-d’Ivoire, Mais notre continent représente le maillon faible de la solidarité avec les descendants d’esclaves et les victimes de discrimination raciale en Mauritanie.
H.A : Justement, il semble que le combat de Biram Dah Abeid et ses compagnons trouve plus d’échos hors du continent africain.
EHF : Effectivement, avec ses compagnons de route, il bénéficie de l’écoute et de l’empathie, comme en témoigne une couverture multilingue, par la presse des nations démocratiques hors du continent. En revanche, les parlements nationaux d’Afrique et leurs déclinaisons sous-régionales, les ambassades et les lieux de pouvoir africains restent des forteresses hermétiques aux derniers chevaliers de la détermination anti-esclavagiste. Pourtant, les aspirations de l’Ira à l’équité en Mauritanie touchent l’être humain dans sa globalité mais surtout la singularité de l’homme noir. Il est bien paradoxal de constater la vigueur de cet humanisme, relayée sous d’autres cieux, pendant que les voisins, par la géographie, la culture et la communauté historique, s’en détachent, avec indifférence ou embarras.
H.A : A quoi cela est-il dû d’après vous.
EHF: J’estime que ceci est dû à notre manque de relais dans la presse africaine. Cependant au delà de ce constat, je pense que les gouvernements africains adoptent une position de neutralité complice du fait de leur difficulté interne et la solidarité qu’entretiennent nos dirigeants
H.A : Depuis le 7 Août dernier, Biram Dah Abeid est en prison suite à une plainte déposée par un journaliste local qui l’accuse de l’avoir traité d’agent de la police politique.
EHF : Alors que nous célébrons cette année l’anniversaire des 100 ans de Mandela, Biram Dah Abeid se trouve en prison, à cause de son combat pour l’égalité de droits de l’homme et contre le racisme. Depuis quand et en vertu de quelle théorie générale du droit, une parole, au demeurant provoquée dans un contexte de dissentiment personnel, constitue-t-elle un crime ? Surtout qu’il n’est un secret pour personne en Mauritanie que la personne en question s’est érigée en insulteur public contre le président Biram Dah Abeid alors qu’il était sensé l’interviewer. Derrière l’absurdité apparente, se cache une rationalité obscure : la condamnation de Biram Dah Abeid qui invaliderait sa candidature à l’élection présidentielle d’avril 2019, échéance à laquelle l’actuel Chef de l’Etat, Mohamed Ould Abdel Aziz, ne se présente, en vertu de la limitation constitutionnelle des mandats. Mais il s’est engagé à faire élire un candidat de son camp pour poursuivre son programme politique. Biram Dah Abeid demeure, à ce jour, le premier mauritanien élu député en prison. Le 1er septembre 2018, du fond de sa cellule, il recevait le nombre suffisant de suffrages pour accéder à l’Assemblée nationale, dès le premier tour de scrutin. Encore une fois, le voici en détention préventive, au mépris de l’immunité de son statut.
HA : Quelles sont les nouvelles que vous avez de lui
EHF : Nous avons eu connaissance que, le 03 décembre 2018, le juge d’instruction, supposé « indépendant », montrait l’ordonnance de renvoi devant la cour correctionnelle, à l’un des avocats membres du collectif de la défense de Biram Dah Abeid et de son co-détenu Abdallahi Houssein Messoud. Deux jours après, se produit un coup de théâtre, digne de la réputation de la Mauritanie. En effet, le ministère public refuse la décision du magistrat instructeur et exige de saisi la Cour criminelle. Toujours selon nos informations, dans la nuit du 4 décembre 2018, les gardes pénitentiaires de la prison civile de Nouakchott, l’ont contraint à un «prélèvement sanguin» dont on ignore la nature. Le prévenu a refusé ce prélèvement pour la simple raison que tout acte de cette nature s’effectue dans un lieu agréé, en présence d’avocats et de témoins, et non à l’intérieur d’une cellule.
H.A : Récemment, la députée de La France insoumise Danièle Obono a interpellé le ministre français des affaires étrangères sur la détention de Biram Dah Abeid.
EHF : Nous sommes particulièrement reconnaissants pour tous les soutiens de plusieurs personnes physiques et morales éprises de dignité. La question de la percutante députée Danièle Obono est venue à point nommé, d’autant que le ministre des affaires étrangères français avait esquivé une question posée précédemment par la députée de La France Insoumise Clémentine Autain. On espère sincèrement que la France prendra les décisions nécessaires pour sanctionner la Mauritanie par rapport à ces manquements et rejoindre le mouvement des nations qui œuvrent pour promouvoir le respect des droits humains. Les différentes déclarations de soutien, notamment de l’écrivain djiboutien Abdarahmane Waberi, du leader de «La France Insoumise» Jean Luc Mélenchon mais également de l’opposition de Mauritanie dans le Parlement, en l’occurrence la députée Coumba Dada Kane et son collègue Leid Mohameden, démontrent le degré de notoriété et l’ampleur de l’indignation que cette affaire de règlement de compte par l’instrumentalisation de la justice, suscite en Mauritanie et au delà. Dans le concert croissant des promoteurs de la liberté et de la dignité de l’homme noir, l’Afrique est encore inaudible.
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