Mauritanie : les détentions arbitraires de défenseur·es des droits des personnes migrantes doivent cesser ! (FIDH)

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Au cours des six derniers mois, de nombreux·ses défenseur·es des droits des personnes migrantes et anti-esclavage ont été arbitrairement arrêté·es et détenu·es en Mauritanie, dénotant une tendance globale à la fermeture de l’espace civique dans le pays. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur·es des droits humains, et l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH Mauritanie) condamnent fermement cette vague d’arrestations et appellent les autorités mauritaniennes à mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontre des défenseur·es des personnes migrantes, libérer toutes celles et ceux encore arbitrairement détenu·es, et respecter leur obligation internationale de protéger les défenseur·es des droits humains.
Paris-Genève, 17 novembre 2025 – Plusieurs membres de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) sont actuellement arbitrairement poursuivi·es ou détenu·es en raison de leurs activités de défense des droits des migrant·es ouest-africain·es.Mme Warda Ahmed Souleymane, journaliste, militante anti-esclavagiste et membre de la commission de communication de l’IRA, a été arrêtée par les autorités mauritaniennes au soir du 31 octobre 2025. Cinq policiers en civil, dont deux connus de la défenseure, sont venus à son domicile à bord de deux voitures Toyota (Hillux et Rav4) pour l’interpeller, avant de l’emmener au commissariat chargé de la cybercriminalité à Nouakchott. Les 7 et 8 novembre 2025, elle a été présentée au parquet du tribunal de Nouakchott Ouest, qui l’a aussitôt renvoyée chez le juge d’instruction chargé du pôle anti-terroriste et de la sûreté de l’État avec une demande de dépôt à la prison. Le juge d’instruction l’a inculpée d’« appel à un soulèvement », « diffusion de fausses nouvelles par la voix électronique » et mise sous contrôle judiciaire. La poursuite de Mme Warda Ahmed Souleymane semble avoir un lien avec sa participation en tant que déléguée de l’IRA à la 85ᵉ session de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) tenue à Banjul, en Gambie, du 21 au 30 octobre 2025. Au cours d’un panel organisé par le Forum des ONG, consacré à la discrimination raciale et à l’apartheid, celle-ci a dénoncé « la discrimination raciale contre les populations noires mauritaniennes » et « appelé, de manière pacifique, les citoyens mauritaniens à une prise de conscience civique ». À son retour de Banjul le 20 octobre 2025, des organisations de la société civile proches du gouvernement mauritanien l’auraient, via des messages vocaux sur WhatsApp, insultée, dénoncée et encouragé les autorités à l’arrêter et lui retirer son passeport. L’Observatoire et l’AMDH rappellent que ce n’est pas la première arrestation de Mme Warda Ahmed Souleymanbe par les autorités mauritaniennes. Le 1er avril 2025, elle avait été arrêtée avant d’être libérée le 17 avril.M. Youssouf Camara, lanceur d’alerte et militant de l’IRA a été arrêté à son domicile le 17 septembre 2025 par des policiers en tenue civile sans mandat. Le 23 septembre 2025, il a été déposé à la prison civile de Nouakchott, après avoir passé six jours en détention au secret. Il a été auditionné le 8 octobre 2025 par un juge d’instruction du Cabinet n°1 du tribunal de Nouakchott qui l’a poursuivi pour « incitation à la haine et à la violence », « utilisation abusive des bases de données » et « discrimination »… conformément aux dispositions des articles 2, 3, 11, 12, 13 14 15 et 17 de la loi 2018-025 sur la discrimination de 2018 et aux 2, 3 et 7, 22, 23 et 24 de la loi n° 2016-007 du 20 janvier 2016 relative à la cybercriminalité.

Le 13 octobre 2025, il a été interrogé sur le fond, le dossier a été aussitôt envoyé au parquet pour avis de clôture et la défense a introduit une demande de non-lieu. M. Camara risque d’un à trois ans d’emprisonnement. L’arrestation de M. Camara semble liée à son travail de dénonciation des maltraitances des migrant·es ouest-africain·es par les forces de sécurité mauritaniennes. À la veille de son arrestation, à l’occasion d’une assemblée de militant·es, il avait dénoncé, dans une vidéo publiée sur Tiktok, les brutalités policières et les arrestations et détentions au faciès.

M. Ablaye Ba, premier responsable de la commission migrations à l’IRA, a été arrêté le 26 avril 2025 par les forces de l’ordre mauritaniennes. Il est poursuivi pour « incitation et de propagation de la haine », « utilisation abusive des bases de données », et « discrimination ». M. Ba a comparu devant le juge d’instruction du premier cabinet du pôle anti-terroriste à Nouakchott le 5 juin 2025, audience à l’issue de laquelle il a été condamné à un an de prison dont six mois ferme et à une amende de 200 000 ouguiyas (environ 4 300 Euros) pour « utilisation abusive des bases de données » et « discrimination ». Il a fait appel de cette décision. Entre temps, M. Ba a obtenu une liberté provisoire sur une décision en référé du tribunal correctionnel de Nouakchott, le 1er octobre 2025, après avoir purgé cinq de ses six mois de prison. Le parquet, s’étant pourvu contre cette mesure, a obtenu l’annulation de l’ordonnance de liberté provisoire. Le 2 octobre 2025, soit le lendemain de sa libération, la police a démarré ses recherches et le 8 octobre 2025, M. Ba a été de nouveau arrêté et déposé à la prison civile de Nouakchott. Le 29 octobre, il a été libéré après avoir purgé l’intégralité de sa peine.

En avril 2025, en plus de Mme Warda Ahmed Souleymane, trois autres militant·es de l’IRA avaient été arbitrairement arrêté·es avant d’être plus tard libéré·es. Certain·es d’entre eux·elles avaient dénoncé des arrestations brutales et le harcèlement constant à l’encontre des personnes migrantes. M. Mohamed Samba Meyssara, responsable de la commission recensement de l’IRA et M. Mohamed Lemine Ahmed Salah, responsable du bureau de Boutilimit de l’IRA, ont été respectivement arrêtés les 8 et 17 avril 2025 et libérés les 17 et 24 avril, respectivement. D’autres membres, tel·les que M. Habib Fall, Mme Ahmed Khouma Chamekh et M. Mohamed Daoud Boushab ont également été victimes d’arrestations arbitraires respectivement le 8 mai, 31 juillet et 4 août 2025. Les deux premiers ont été libéré·es respectivement le 11 mai et 28 août 2025. M. Mohamed Daoud Boushab, arrêté en raison de son assistance à une victime d’expropriation, a été libéré le 13 octobre 2025.

L’Observatoire et l’AMDH constatent que l’espace civique en Mauritanie est de plus en plus restreint. Ces arrestations s’inscrivent dans une dynamique et tradition de répression des voix dissidentes dans le pays, notamment celles des défenseur·es et organisations qui militent contre l’esclavage par ascendance et pour le respect des droits des migrant·es ouest-africain·es. En mars 2025, dans le sillage du renforcement du partenariat entre la Mauritanie et l’Union européenne en matière de contrôle du flux migratoire, la Mauritanie a lancé une vaste opération d’expulsion de centaines de ressortissant·es ouest-africain·es, surtout en provenance du Mali et du Sénégal, « en situation irrégulière ». Plusieurs d’entre eux et elles ont été brutalement arrêté·es et arbitrairement détenu·es. Ces rafles et arrestations arbitraires, constituant des violations graves des droits fondamentaux, et notamment de la dignité humaine, ont été dénoncées par des associations de défense des droits humains.

L’Observatoire et l’AMDH constatent par ailleurs que la Mauritanie dispose d’un cadre légal restrictif, terreau fertile aux violations des droits et libertés fondamentales des défenseur·es, notamment les libertés d’expression, d’opinion, et de presse. La Loi n°2021-021 portant protection des symboles nationaux et incrimination des atteintes à l’autorité de l’État et à l’honneur du citoyen réprime les actes commis « en utilisant les techniques de l’information, de la communication numérique, les plates-formes de communication sociale en vue de porter atteinte à l’autorité de l’État, à ses symboles, à la sûreté nationale, à la paix civile, à la cohésion sociale, à la vie privée et à l’honneur du citoyen ». Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, dans ses observations finales concernant le deuxième rapport périodique de la Mauritanie le 19 mars 2024, s’est inquiété de cette loi, qui pourrait « être utilisée pour restreindre de manière arbitraire les activités et le travail des défenseur·es des droits humains ». Le Comité s’est également dit « préoccupé par les informations selon lesquelles les défenseur·es des droits humains, notamment les défenseur·es des droits économiques, sociaux et culturels qui travaillent dans la lutte contre la discrimination et contre l’esclavage et les pratiques esclavagistes, exercent leurs activités dans des conditions restrictives et sont souvent exposé·es à diverses formes de harcèlement ou de représailles », et a recommandé à l’État mauritanien d’accélérer l’adoption d’une loi de protection des défenseur·es des droits humains en consultation ouverte et transparente avec la société civile.

L’Observatoire et l’AMDH appellent les autorités mauritaniennes à garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique de l’ensemble des défenseur·es des droits humains dans le pays ; à libérer tou·tes les défenseur·es des droits actuellement arbitrairement détenu·es ; et à mettre fin aux pratiques généralisées d’intimidation et de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, visant celles et ceux qui défendent les droits des personnes migrantes, victimes de discriminations et anti-esclavage.

source : https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/mauritanie/mauritanie-les-detentions-arbitraires-de-defenseur-es-des-droits-des

 

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