Prison ferme pour des militants antiesclavagistes mauritaniens (Le Monde)

LE MONDE | | Par Charlotte Bozonnet

Manifestation pour la libération de militants anti-esclavagistes mauritaniens, à Nouakchott, le 3 août 2016.

Treize militants antiesclavagistes ont été condamnés, jeudi 18 août, par la cour criminelle de Nouakchott, à des peines allant de trois à quinze ans de prison ferme. Tous membres de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), ils sont accusés d’avoir commis des violences contre les forces de l’ordre lors d’une manifestation. Leurs avocats dénoncent, eux, une nouvelle vague de répression visant l’ONG.

La manifestation en question avait été organisée le 29 juin par les habitants d’un bidonville de la capitale mauritanienne, menacés d’expulsion, alors que Nouakchott se préparait à recevoir un sommet de la Ligue arabe le 25 juillet. Une dizaine de policiers avaient été blessés et un véhicule brûlé. Les autorités accusent les treize hommes de « rébellion, usage de la violence, attaque contre les pouvoirs publics, attroupement armé et appartenance à une organisation non reconnue ». Ce que rejettent leurs défenseurs – dont des organisations internationales –, expliquant qu’ils ont été arrêtés entre le 30 juin et le 9 juillet chez eux ou sur leur lieu de travail.

« Ces militants sont des prisonniers d’opinion »

Lundi 1er août, à la veille de l’ouverture du procès, seize organisations de défense des droits de l’homme, mauritaniennes et internationales, avaient publié un communiqué demandant que toutes les charges soient abandonnées et les mis en cause libérés. « Ces militants sont des prisonniers d’opinion accusés à tort et incarcérés en vue d’entraver leur travail légitime », avait déclaré Kiné Fatim Diop, chargée de campagne pour l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International, l’une des organisations signataires du texte, appelant les autorités à « mettre fin à leur règne de la peur et cesser de réprimer les militants antiesclavagistes ».

Ces sentences s’ajoutent à plusieurs autres prononcées ces dernières années contre des militants de l’IRA, l’un des principaux mouvements de lutte contre l’esclavage en Mauritanie. En janvier 2015, le président de l’organisation, Biram Dah Abeid, ainsi qu’un autre membre avaient été condamnés à deux ans de prison pour appartenance à une organisation non reconnue et violences contre les forces de l’ordre. Leur libération a été ordonnée le 17 mai après dix-huit mois d’enfermement.

L’esclavage aboli en 1981

L’attitude des autorités vis-à-vis de l’esclavage, officiellement aboli en 1981 mais qui n’a pas disparu du pays, est pour le moins complexe. Elles ne cessent de plaider leur bonne foi et ont effectivement fait évoluer la législation : une nouvelle loi adoptée en août 2015 en a ainsi fait un crime contre l’humanité et a alourdi les peines possibles jusqu’à vingt ans de prison. Mais, dans le même temps, les condamnations contre des militants se sont multipliées : l’IRA n’est pas reconnue – alors que son président avait été autorisé à se présenter contre l’actuel chef de l’Etat, Mohamed Ould Abdel Aziz, lors de la présidentielle de juin 2014 – et, si les lois du pays sont claires, les condamnations contre les coupables d’esclavage restent rares.

Deux jours après l’annonce de la cour de Nouakchott, la question des recours possibles restait confuse. Les avocats des militants de l’IRA ont expliqué jeudi soir qu’ils n’avaient pas été autorisés à en déposer en raison de leur décision de boycotter le procès. Ils avaient en effet décidé, trois jours avant le verdict, de se retirer au motif que leurs clients auraient été torturés. Outre les treize militants de l’IRA, dix autres habitants du bidonville, arrêtés pour les mêmes motifs, ont été jugés. Six ont été condamnés à des peines de un à trois ans de prison et quatre ont été acquittés.

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