Condamnation de 13 membres de l’IRA-Mauritanie – Appel urgent Défenseurs des droits humains – (FIDH/OMCT)
MRT 001 / 0716 / OBS 064.1
Condamnation /
Détention arbitraire
Mauritanie
6 septembre 2016
L’Observatoire a été informé par des sources fiables de la condamnation de 13 membres de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA-Mauritanie [1]) à des peines de trois à 15 ans de prison ferme, au terme d’une procédure entachée de nombreuses irrégularités.
Selon les informations reçues, le 18 août 2016, MM. Moussa Biram, vice-président du bureau de Sbeka, Adballahi Abou Diop, membre du bureau de Riadh, Amadou Tidjane Diop, vice-président national de l’IRA, et Adballahi Matallah Seck, président du bureau de Sebkha, ont été condamnés par la Cour criminelle de Nouakchott ouest à une peine de 15 ans d’emprisonnement pour « attroupement armé » (article 101 à 105 du Code pénal), « violences à l’égard d’agents de la force publique » (articles 213 et 214 du Code pénal), « rébellion » (article 191 du Code pénal) et « appartenance à une organisation non enregistrée » (articles 3 et 8 de la Loi de 1964 sur les associations).
Le même jour, MM. Hamady Lehbouss, conseiller du président et chargé de la communication au niveau national, et Balla Touré, chargé des relations extérieures du bureau national, ont quant à eux été condamnés à une peine de cinq ans de prison pour « provocation directe à un attroupement armé » (article 104 paragraphe 2 du Code pénal) et « administration d’une organisation non autorisée » (article 8 de la Loi de 1964 sur les associations).
Par ailleurs, MM. Ousmane Anne, président du bureau de Tevragh Zeina, Jemal Samba Beylil, membre du bureau de Riadh, Mohamed Daty, secrétaire général de la coordination de Nouakchott, Ahmed Mohamed Jarroullah et Ousmane Lo, tous deux membres du bureau exécutif, ainsi que Khatri Rahel Mbareck, coordinateur du comité de la paix au niveau national, et Ahmed Hamdy Hamar Vall, trésorier national, ont été condamnés à trois ans de prison pour « gestion d’une organisationnon enregistrée » (article 8 de la Loi de 1964 sur les associations).
Le 22 août 2016, le collectif d’avocats des 13 membres de l’IRA-Mauritanie a interjeté appel de ces condamnations. Les 13 défenseurs restent à ce jour détenus à la Maison d’arrêt de Dar Naim.
Tous ont été arrêtés en lien avec une manifestation spontanée organisée le 29 juin 2016 contre l’expulsion forcée d’une vingtaine de familles installées dans un bidonville dans le quartier de Ksarn, en périphérie de la capitale Nouakchott, au cours de laquelle des scènes de violences ont été perpétrées [2]. L’Observatoire tient cependant à souligner qu’aucun des 13 membres ne se trouvait sur les lieux de la manifestation, et que l’IRA-Mauritanie n’a ni organisé ni participé à cet événement. L’un d’entre eux, M. Mohamed Jarroulah, se trouvait même à 1 200 km de Nouakchott ce jour-là.
Leur procès s’était ouvert le 3 août 2016 devant la Cour criminellede Nouakchott ouest. L’Observatoire tient notamment à souligner que lors de la reprise du procès le 9 août, les prévenus ont refusé de comparaître devant la Cour, après que la police a fait usage d’une force disproportionnée afin d’interdire à leurs familles et collègues d’assister à l’audience. Le lendemain, le président de la Cour les a finalement autorisés à prendre place dans la salle d’audience, mais a décidé de placer les prévenus dans une salle adjacente fermée et de les faire comparaître les uns après les autres devant la Cour. Face aux contestations, le président est ensuite revenu sur sa décision. En outre, les avocats de la défense n’ont pas eu le droit, comme il est d’usage, de prendre la parole depuis l’estrade ou de s’approcher du président de la Cour. Ils ont également été insultés et rabaissés publiquement par un officier de police au cours de l’audience du 10 août.
Le 16 août, la Cour a rejeté la plainte pour torture de M. Moussa Biram, ne s’estimant pas compétente pour juger l’affaire, même si la Loi n° 049-15 sur la torture oblige les juridictions nationales à se prononcer immédiatement sur toute plainte pour actes de tortures et ainsi invalider les preuves tirées de l’usage de la torture. De plus, elle a autorisé la diffusion d’une vidéo à charge présentée par le procureur alors que ceci est proscrit par l’article 278 du Code de procédure pénale [3]. Le collectif d’avocats qui assurait la défense des 13 accusés a décidé de se retirer de l’audience afin de protester contre ces violations de procédure. Les détenus ont refusé les nouveaux avocats commis d’office.
L’Observatoire dénonce avec la plus grande fermeté les nombreuses irrégularités procédurales et les condamnations prononcées à l’encontre de MM. Mohamed Daty, Ousmane Anne, Ousmane Lo, Abdallahi Abou Diop, Amadou Tidjane Diop, Abdallahi Matala Seck, Balla Touré, Jemal Beylil, Moussa Biram, Hamady Lehbouss, Ahmed Hamar Vall, Mohamed Jarroulah, Khatri Mbareck, qui ne visent qu’à sanctionner leurs activités de défense des droits humains.
L’Observatoire exprime par ailleurs sa plus vive préoccupation concernant l’état de santé de M. Amadou Tidjane Diop, qui continue d’être privé des soins médicaux nécessaires en prison (cf. rappel des faits). MM. Abdallahi Matallah Seck, Balla Touré, Khatri Mbareck, Jemal Samba Beylil et Moussa Biram n’ont pas non plus accès aux soins médicaux qu’ils nécessitent en raison des actes de tortures et mauvais traitements subis.
L’Observatoire appelle à la libération immédiate et inconditionnelle des 13 défenseurs condamnés ainsi qu’à l’abandon de toutes charges à leur encontre, et appelle dans l’intervalle les autorités mauritaniennes à garantir le respect du droit à un procès équitable, conformément aux instruments internationaux et régionaux ratifiés par la Mauritanie.
Rappel des faits :
Le 30 juin 2016, MM. Amadou Tidjane Diop, Abdallahi Matala Seck et Moussa Biram ont été arrêtés à leurs domiciles respectifs par des policiers en civil, sans aucun motif ni mandat d’arrêt. Le même jour, M. Jemal Samba Beylil a été arrêté à son travail dans la commune du Ksar. Le 1er juillet au matin, M. Balla Touré a été arrêté à son tour à son domicile. Le 3 juillet 2016, alors qu’ils quittaient une conférence de presse organisée pour appeler à la libération de leurs collègues, MM. Hamady Lehbouss, Ahmed Hamar Vall et KhatriRahel Mbareck ont été arrêtés dans la rue par des policiers en civil. Le même jour, M. Mohamed Jarroullah a également été interpellé par des policiers en civil. Le 8 juillet, M. Mohamed Daty a été arrêté à la sortie du tribunal où il travaille en tant que greffier ; MM. Ousmane Anne et Ousmane Lo ont quant à eux été arrêtés dans la rue. Enfin, le 9 juillet, M. Abdallahi Abou Diop a été arrêté sur son lieu de travail, après avoir été frappé par les policiers.
Le 12 juillet, entre 4h30 et 7h45 du matin, les 13 défenseurs ont été interrogés par le Parquet au sujet de la manifestation du 29 juin. Ils ont alors pu, pour la première fois depuis leur arrestation, s’entretenir avec leurs avocats, après avoir été détenus au secret pendant trois à 12 jours.
Au cours de leurs gardes à vue, les 13 défenseurs ont été transférés séparément dans des lieux inconnus, et privés de moyens de communication avec leurs proches ou avocats. Ils ont été interrogés en pleine nuit, privés de sommeil, d’accès aux sanitaires, aux douches ainsi qu’à un médecin. Selon les informations reçues, MM. Abdallahi Matallah Seck, Balla Touré, Khatri Mbareck, Jemal Samba Beylil et Moussa Biram ont été victimes d’actes de torture. Pieds et mains liés dans des positions douloureuses pendant des heures, suspendus par des cordes, les menottes beaucoup trop serrées, ils ont été interrogés au sujet de la planification et de leur participation supposée aux événements du 29 juin. De même, M. Amadou Tidjane Diop a été déshabillé, insulté, menacé de mort au cours de son interrogatoire et s’est vu forcé de manger certains repas agrémentés de sable sans pouvoir s’hydrater.
En outre, M. Amadou Tidjane Diop reste privé d’accès aux soins soins médicaux nécessaires, et ce malgré une pathologie cardiaque connue pour laquelle il possède une prescription médicale ainsi que des bulletins de consultation de cardiologie. Ce n’est qu’après sa garde à vue qu’il a pu se rendre à l’hôpital, mais les analyses prescrites n’ont toujours pas été réalisées.
Les commissaires principaux El-Hadi et Ahmed Baba Ahmed Youra, l’inspecteur de police Hassane Samba, les officiers de police Alioune Hassane et Lemrabott, le brigadier chef Didi ainsi que les brigadiers Ould Amar et Oumar Ndiaye auraient participé, avec d’autres personnes non identifiées, aux actes de torture et aux mauvais traitements susmentionnés. En outre, M. Boubacar Ould Messaoud, membre du Mécanisme national de prévention (MNP), président de l’association SOS-esclaves et membre de l’Assemblée générale de l’OMCT, s’est vu refuser une visite en prison en dépit d’une demande officielle. Les demandes formulées par les avocats des 13 défenseurs afin de faire expertiser les traces visibles des sévices ont par ailleurs été refusées.
Le 12 juillet, le procureur Cheikh Taleb Bouya Ahmed a ouvert une enquête de flagrance, et a inculpé les 13 défenseurs pour « attroupement armé », « violences à l’égard d’agents de la force publique », « rébellion » et « appartenance à une organisation non enregistrée ».L’affaire a été renvoyée au 3 août 2016 devant la Cour criminelle de Nouakchott ouest.
Actions requises :
L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités mauritaniennes en leur demandant de :
i. Garantir en toute circonstance l’intégrité physique et psychologique des 13 membres de l’IRA-Mauritanie sus-mentionnés ainsi que de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme en Mauritanie, et notamment garantir à MM. Amadou Tidjane Diop, Abdallahi Matallah Seck, Balla Touré, Khatri Mbareck, Jemal Samba Beylil et Moussa Biram le plein accès aux soins médicaux qu’ils nécessitent ;
ii. Libérer immédiatement et inconditionnellement les 13 membres de l’IRA-Mauritanie sus-mentionnés, en ce que leur détention ne semble viser qu’à sanctionner leurs activités de défense des droits de l’Homme ;
iii. S’assurer que l’ensemble des procédures engagées à leur encontre sont conduites dans le respect du droit à un procès équitable ;
iv. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris judiciaire, à leur encontre et, plus généralement, à l’encontre de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme en Mauritanie ;
v. Mener une enquête immédiate, indépendante et efficace et transparente sur les allégations de torture et de mauvais traitement subis par les défenseurs susmentionnés, afin d’identifier tous les coupables et de les sanctionner conformément à la loi ;
vi. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement ses articles 1, 9.1 et 12.3 ;
vii. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la Mauritanie..
Adresses :
• S.E M. Mohamed Ould Abdel Aziz, Président de la République Islamique de Mauritanie, Fax : 00 222 525 85 52
• M. Ahmedou Ould Abdalla, Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation de la République Islamique de Mauritanie, Fax : + 222 529 09 89 ; Email : mmelhadi@interieur.gov.mr ; leminesidi@yahoo.fr
• M. Brahim Ould Daddah, Ministre de la Justice de la République Islamique de Mauritanie, Fax : 00 222 525 70 02
• Me Irabiha Mint Adbel Weddoud, Présidente de la Commission nationale des droits de l’Homme, Email : presidente@cndhmauritanie.mr
• S.E. Ambassadeur Mme Salka Mint Bilal Yamar, Mission permanente de la Mauritanie auprès de l’Office des Nations unies à Genève, Suisse. Fax : +41 22 906 18 41. Email : mission.mauritania@ties.itu.int
• Ambassade de la Mauritanie à Bruxelles, Belgique, Fax : +32 2 672 20 51, Email : info@amb-mauritania.be
Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de Mauritanie dans vos pays respectifs.