International En Mauritanie, prison ferme pour trois militants anti-esclavagisme
LE MONDE | 16.01.2015 à 14h14 • Mis à jour le 16.01.2015 à 14h20 | Par Charlotte Bozonnet
Le procureur avait requis cinq ans de prison ferme. Ils ont été condamnés à une peine de deux ans d’emprisonnement ferme. Trois militants anti-esclavagistes ont été sanctionnés, jeudi 15 janvier, par la justice mauritanienne pour, notamment, « appartenance à une organisation non reconnue ». Une condamnation qui remet en lumière le sujet tabou de l’esclavage, une pratique officiellement interdite depuis 1981, mais toujours répandue dans la société mauritanienne.
Les trois accusés sont Biram Ould Abeid, dirigeant de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), une ONG anti-esclavagisme, Brahim Ould Bilal Ramdane, l’un de ses adjoints, et Djiby Sow, président d’une association pour les droits civiques et culturels. Comparaissant devant un tribunal de Rosso, dans le sud du pays, ils avaient été arrêtés en novembre 2014, avec sept autres militants – acquittés hier – alors qu’ils menaient une campagne de terrain pour dénoncer les pratiques esclavagistes. Les autorités les avaient accusés de « propagande raciste ».
« Biram » est une figure de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie. Lui-même issu d’une famille de Haratines – caste d’esclaves et de descendants d’esclaves (environ 40 % de la population) –, il a fondé l’IRA, une organisation aux discours et aux méthodes radicales qui s’est donné pour objectif de faire disparaître l’esclavage du pays.
Justifications religieuses
Candidat à l’élection présidentielle en juin 2014 face au chef de l’Etat sortant Mohamed Ould Abdel Aziz, au pouvoir depuis un coup d’Etat en 2008, Biram Ould Abeid était arrivé deuxième, avec 9 % des voix. Avant tout symbolique, sa candidature avait remis sur le devant de la scène la problématique de l’esclavage et plus généralement celle de la domination des Maures, la minorité arabo-berbère qui détient le pouvoir politique et économique, face aux Haratines et aux autres ethnies noires. Un thème sensible et potentiellement explosif en Mauritanie, où un jeune de 28 ans, Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir, a été condamné à mort fin décembre 2014 pour apostasie après avoir critiqué certains préceptes énoncés par le prophète Mahomet, à la base, selon lui, d’un « système social inique ».
D’anciens esclaves mauritaniens, à Nouakchott, en 2006. | Rafael Marchante/REUTERS
Pour son militantisme, Biram Ould Abeid a déjà été plusieurs fois poursuivi et condamné. En 2010, pour « agression contre la police » lors d’une manifestation. En 2012, pour avoir brûlé des livres d’interprétation du Coran afin de dénoncer les justifications religieuses souvent apportées à la pratique de l’esclavage. Un acte passible de la peine de mort dans un pays, république islamique, régi par la charia. Seule la mobilisation massive de ses supporteurs avait alors permis d’obtenir sa libération.
A l’annonce du verdict, jeudi, plusieurs dizaines de ses sympathisants ont envahi le tribunal et ont violemment affronté la police. Les heurts ont fait quatre blessés, a indiqué une agence de presse locale. « La police a répliqué par des gaz lacrymogènes et aux matraques pour disperser les manifestants qui protestaient contre le jugement devant le tribunal », a dénoncé Amnesty International dans un communiqué, demandant à ce que les trois prévenus soient laissés libres en attendant le résultat de leur appel devant les tribunaux. En novembre, l’ONG avait déjà dénoncé « une répression croissante » visant les militants anti-esclavagistes en Mauritanie.
• Charlotte Bozonnet
Journaliste au Monde