Mauritanie: un militant anti-esclavagiste libéré (Libération)
La Cour suprême a ordonné la remise en liberté du défenseur des droits de l’homme Biram Dah Abeid, après dix-huit mois de détention.
Etait-ce son combat sans relâche contre l’esclavage ou sa candidature à l’élection présidentielle mauritanienne qui a fait enrager les autorités au point de le faire enfermer? Biram Dah Abeid, fondateur du mouvement Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), avait été arrêté le 11 novembre 2014 et condamné à deux ans de prison pour «appartenance à une organisation non reconnue», «appel à rassemblement non autorisé» et «violence contre la force publique». La Cour suprême de Mauritanie a ordonné sa libération ce mardi. Plus d’un million de personnes (le pays compte 3,8 millions d’habitants) avaient signé la pétition en ligne pour demander la fin de sa détention.
Biram Dah Abeid, 51 ans, membre de la caste des Haratins ou «Maures noirs», est lui-même un descendant d’esclaves. Il a été distingué par le prix le prix des Nations unies pour la cause des droits de l’homme en 2013, en soutien à sa lutte abolitionniste. Une action militante en particulier lui avait valu les foudres du pouvoir exécutif et religieux et, déjà, un séjour en prison : le 27 avril 2012, il avait symboliquement brûlé un manuel de jurisprudences malikites (école du sunnisme majoritaire en Mauritanie) qui, selon l’ONG IRA, prônent l’esclavage et le justifient.
L’esclavage a été officiellement aboli en 1981 en Mauritanie et l’Assemblée nationale a reconnu l’an dernier qu’il constituait un «crime contre l’humanité». La loi prévoit même jusqu’à vingt ans de prison pour les maîtres et un dédommagement pour les victimes. Sur le papier, Nouakchott est donc doté de l’arsenal nécessaire pour affronter cette pratique séculaire. Mais dans les faits, IRA dénonce une impunité généralisée. «Des familles entières appartiennent encore à la famille de leurs maîtres, et sont contraintes de servir toute leur vie leurs propriétaires. De plus, beaucoup de descendants d’esclaves continuent de travailler sur des terres sans aucun droit et sont contraints de donner une partie de leurs récoltes à leurs potentiels maîtres traditionnels, dénonçait Biram Dah Abeid en novembre dans une lettre envoyée à Amnesty International depuis sa prison d’Aleg, dans le sud du pays. Des Mauritaniens noirs vivent encore sous le poids de l’oppression, du mépris et du racisme par des minorités ethniques et confessionnelles qui continuent à piller la terre, accumuler des ressources et asseoir leur autorité.»
La Cour suprême a requalifié les faits reprochés à Biram Dah Abeid et son adjoint Brahim Ould Bilal – ils avaient physiquement rejoint la caravane militante du mouvement abolitionniste — en «attroupement maintenu après les premières sommations». Un délit passible de deux mois à un an de prison, a précisé un des avocats des détenus. Cette période étant couverte par leur détention, la plus haute juridiction du pays a ordonné que les deux hommes soit immédiatement relâchés. Amnesty a fait part de son «immense soulagement» mais rappelle que dans le pays du président Mohamed Ould Abdel Aziz, d’autres «prisonniers de conscience, comme le blogueur Mohamed Mkhaïtir, sont détenus pour avoir simplement exprimé leur opinion».