L’ONG « Urgences Panafricanistes » en croisade contre l’esclavage en Mauritanie (Nofi)

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« L’esclavage a été aboli en Mauritanie en 1981 et ce n’est qu’en 2007 qu’une loi criminalisant cette pratique a été votée par le parlement. »

Salimata Lo et Zeinab Sylla sont militantes et chargées de communication de l’ONG Urgences Panafricanistes. Un  mouvement panafricaniste citoyen continental, présent aux 4 coins du continent et qui mène sur le terrain des actions sociales et politiques, actions de sensibilisation et de dénonciation visant à fédérer les masses africaines de tous bords. Sur cette question mauritanienne, l’objectif de l’ONG est d’africaniser le problème, faire de cette spécificité mauritanienne le problème de tout africain où qu’il se trouve sur le continent ou dans la diaspora.

Pouvez vous nous présenter l’ONG Urgences panafricanistes ?

Urgences panafricanistes est un mouvement citoyen africain qui mène un travail bicéphal, en l’occurence une action de sensibilisation de masse sur les questions politiques liées au néocolonialisme , et une action sociale tout aussi importante qui se traduit par exemple par la distribution de repas aux plus nécessiteux sur le continent africain dans les zones où notre mouvement est implanté.

Quel regard porte « Urgences panafricanistes » sur l’esclavage des Noirs en Mauritanie ?

Toute population africaine ostracisée socialement, sanitairement ou subissant une discrimination raciale ou quel qu’elle soit est une cible à aider pour nous. Nous pensons que la critique doit être suivie d’une action de terrain sinon elle n’est que spéculation ou théorie. La Mauritanie vit aujourd’hui une situation semblable voire pire que l’apartheid. Un état structurel de racisme, de discrimination et d’esclavage institutionnalise et toléré. Nous ne pouvons concevoir qu’en plein cœur du 21eme siècle, l’esclavage soit encore un sujet à débat. Pour Urgences Panafricanistes, l’esclavage des noirs est un crime contre l’humanité. Il est difficile de concevoir qu’au 21eme siècle, un Etat reconnu par la communauté international et l’Union africaine, puisse encore traiter des êtres humains comme du bétail et ce, dans l’indifférence générale.

Zeyna Sylla (à gauche) et Salima Lo (à droite)

En 2015, on recensait plus de 200 femmes réduites en esclavages en Mauritanie et en Arabie Saoudite. Ce nombre a-t-il augmenté aujourd’hui ?

Justement, il reste impossible de trouver une quelconque donnée par rapport à cette situation tout simplement parce qu’aujourd’hui, l’Etat mauritanien n’a jamais accepté de faire une étude pour pouvoir dégager l’impact de cette population esclavagiste, qui retient des humains en servitude, parce qu’il (le gouvernement) est dans le déni total de l’existence de l’esclavage. Et honnêtement la situation est tellement grave qu’il ne nous appartient plus de nous appesantir sur des nombres. Nous devons les défendre et les faire libérer, la situation est urgente.
Il s’agit d’une pratique légale dans ce pays, comment donc pouvez-vous la combattre ?
L’esclavage a été aboli en Mauritanie en 1981 et ce n’est qu’en 2007 qu’une loi criminalisant cette pratique a été votée par le parlement. Tout ce qui a été pris comme mesures institutionnelles pour interdire l’esclavage n’a jamais été appliqué. L’Etat Mauritanien pratique le déni de l’esclavage mais ne cesse de voter des lois l’incriminant. C’est d’une absurdité ! Comment peut-on voter des lois pour une pratique qui n’existe pas ? Jugez en vous-mêmes. Il s’agit dans un premier temps d’instaurer des mesures concrètes, en commençant par reformer la justice puisqu’il existe une justice de classe en Mauritanie, une justice de deux poids deux mesures qui laisse libre les esclavagistes et condamne les anti-esclavagistes. Cela doit cesser, il faut aussi déconstruire les esprits. La religion est instrumentalisée, les oulémas et les imams en Mauritanie ont utilisé des textes, des hadiths détournés de leur contexte pour rendre l’esclavage acceptable comme un devoir. Et il faut le dire il y’a beaucoup de harratines qui croient que leur paradis dépend de leur condition et il faudrait aussi qu’on laisse la société civile sensibiliser les Harratines* sur les méfaits de cette pratique, qui n’a aucun lien avec la religion musulmane. C’est dramatique et révoltant qu’au 21eme siècle nous ayons encore cet état d’esprit. Nous pouvons la combattre en sensibilisant aussi bien les populations africaines, les médias, ainsi que les instances de décision telles que l’Union Africaine. Il faut faire pression sur la Mauritanie pour qu’elle arrête une fois pour toutes ceux qui pratiquent l’esclavage, et que le gouvernement aide les mouvements citoyens tels que l’IRA Mauritanie à mettre fin à cela.

Membre de la section marocaine de Urgences Panafricanistes

Le militant abolitionniste Biram Ould Dah Ould Abeid, ainsi que quatre de ses camarades ont été arrêtés l’année dernière. Comment s’organise «Urgences panafricanistes » pour les soutenir ?

 Urgences Panafricanistes , est un mouvement citoyen de terrain qui qui effectue un travail de sensibilisation de masse à travers des actions de terrain multiples et variées. Nous pouvons dire sur le simple exemple de la Mauritanie que nous sommes, sur le terrain panafricaniste, probablement la structure qui sur le terrain, sensibilise le plus la masse sur ces questions.

En quoi la négrophobie en Mauritanie peut-elle être un frein pour les Noirs, même ceux qui ne sont pas esclaves ?
Nous savons de source sure que des élèves noires, Harratines en classe de terminale sont dans l’impossibilité de passer le bac faute de papiers légales retardés bien entendu par les autorités. Qui n’ont aucun intérêt à voir cette génération jeune devenir demain une menace pour leur stabilité. Cette négrophobie a comme impact de marginaliser la population noire. Qu’on soit esclave ou pas, le système mauritanien fait en sorte que les noirs soient très peu représentés dans les instances de décision. Lorsqu’on parle de la Mauritanie, peu de gens savent que ce pays est composé à 80% de populations noires ! L’Etat fait en sorte que seuls les Beïdanes* soient visibles, que ce soit dans le gouvernement, le parlement, ou encore les grandes agences de l’Etat. Tout cela ne fait que stigmatiser les noirs. Cette absence sur la scène politique a aussi des répercussions sur le plan social. Les noirs endurent le racisme, la pauvreté, le chômage etc.…. il est temps que les droits de l’égalité pour tous deviennent une réalité en Mauritanie.

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L’Afrique, par sa population et ses dirigeants, est-elle sensible à la cause mauritanienne ?
Il y’a comme une omerta autour de cette situation, une omerta honteuse et oppressante observée par les dirigeants africains eux-mêmes, qui ne parlent jamais ou pratiquement pas de cette situation de racisme, de discrimination et d’esclavage institutionnalisé et toléré en Mauritanie. Nos dirigeants sont capables d’aller participer à des marches en occident mais lorsqu’il s’agit de l’Afrique et des africains : silence. La population africaine dans sa majorité ignore ce qui se passe en Mauritanie. En effet, ce sujet reste tabou et rarement abordé dans les medias. Ce qui fait que les africains ne savent encore qu’en 2016 il existe des populations esclaves.
Quant aux dirigeants africains, ils sont bien au fait de la situation, mais nous continuons à nous demander pourquoi ils ne veulent pas sévir. Pourquoi un tel mutisme de l’Union africaine ? Quels sont les intérêts en jeu ? Pourquoi toujours attendre des autres qu’ils fassent pour nous ou pour les nôtres ce que nous sommes capables de faire nous-mêmes ? La population africaine doit s’intéresser d’avantage à ce qui se passe sur son continent. Intéressons-nous d’abord à la poussière qui brouille notre vue plutôt qu’à la poutre dans l’œil du voisin.
Y a-t-il parmi les politiques au pouvoir, des militants contre ce crime ?
Pas à notre connaissance en tout cas. En même temps, ce n’est pas étonnant.
*Les « Beïdanes » sont une population arabo-berbère qui vit en Mauritanie et qui représente moins de 20% de la population mauritanienne. Elle occupe toutes les instances de décision et détient le levier économique au détriment des « Harratine » qui représentent plus de 47% de la population et sont considérés comme des descendants d’esclaves marginalisés, ostracisées et réduits en esclavage. Ils vivent majoritairement dans les bidonvilles et les périphéries .

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