Corruption et répression en Mauritanie : la France doit sortir de son silence (Le Monde)
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Le 24 août, j’ai écrit en ma qualité de président de l’association Sherpa une lettre aux députés du groupe d’amitié France-Mauritanie pour leur demander une audience afin de les entretenir sur les questions de gouvernance dans ce pays. Aucun député participant à ce voyage ne m’a répondu. J’aurais aimé pouvoir attirer leur attention sur ce pays qui traverse depuis plusieurs années une crise lourde de périls. Comme pour d’autres Etats du Sahel, la France continue à aider aveuglément le gouvernement de Mohamed Ould Abdel Aziz, pourtant lourdement gangrené par la corruption, le despotisme et les violations répétées des droits de l’homme.
Pactes entre pouvoirs et réseaux terroristes
Les observateurs locaux regrettent amèrement un silence complice des autorités françaises qui, au prix de vagues promesses de lutte contre le terrorisme – alors même qu’à Nouakchott sont dénoncés des pactes entre les pouvoirs et les réseaux terroristes –, se refusent à condamner les dérives d’un régime.
Les incantations et exhortations prononcées par le président Hollande lors des discours de Kinshasa et de Dakar, en son temps célébrées, semblent bien loin. A Nouakchott, la rue gronde, les menaces de violence abondent. Autant de gisements à venir dont se saisiront les funestes réseaux tapis dans l’ombre. Une fois encore, la tyrannie du « court-termisme » potentialise des tragédies à long terme.
Cinq jeunes militants du « Mouvement du 25 février », né pendant le « printemps arabe », et de « Je n’achète pas du gasoil », créé à la suite d’une hausse sans précédent du prix du carburant, ont été condamnés le 2 août à de la prison pour « violences » et « agression ». Tous avaient protesté contre la condamnation à trois ans de prison d’un jeune journaliste accusé d’avoir, lors d’une conférence de presse, lancé sa chaussure sur le ministre porte-parole du gouvernement, sans l’atteindre, en le qualifiant de « ministre du mensonge ».
Le 18 août, au cours d’un autre simulacre de procès, une juridiction mauritanienne a condamné treize militants anti-esclavagistes de l’ONG Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) à des peines allant de trois à quinze ans de prison ferme pour « usage de la violence ». Le régime les accuse d’avoir participé à une manifestation qui a dégénéré le 29 juin. Les principaux intéressés et Amnesty International ont fermement démenti ces accusations. Les avocats des militants se sont plaints de graves vices de procédure et les accusés anti-esclavagistes ont eux-mêmes affirmé avoir été torturés en détention. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, l’Union européenne, le département d’Etat américain ont tous exprimé leurs vives inquiétudes et ont demandé aux autorités mauritaniennes de diligenter des enquêtes sur ces allégations. La France, elle, n’a rien dit.
Des milliers d’hectares cultivables volés
D’autres affaires de ce type entachent la réputation de la Mauritanie. En avril, un jeune bloggeur a été condamné à mort pour « apostasie ». En 2014, un rappeur a été emprisonné plusieurs mois pour avoir refusé de chanter à la gloire du président. Depuis quelques années, des milliers d’hectares de terres cultivables, comme à Dar Elbarka, où vivent des populations noires, ont été systématiquement spoliées au profit de businessmen locaux et étrangers. Des stades, des écoles appartenant à l’Etat ont été revendus à des commerçants alors que le taux d’analphabétisme est de plus 41,4 %. Bref, les exemples ne manquent pas.
L’association Sherpa, spécialisée notamment dans la lutte contre la corruption, n’a cessé, vainement, de tirer la sonnette d’alarme sur la mal-gouvernance du régime de Mohamed Ould Abdel Aziz.
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En décembre 2015, avec l’ONG canadienne Mining Watch, nous avons déposé une plainte devant le parquet financier de Toronto contre l’entreprise minière canadienne Kinross Gold Mining pour corruption en Mauritanie. Les informations à notre disposition suggèrent l’existence de liens très étroits entre Kinross et des responsables publics, qui auraient permis des flux financiers opaques de grandes ampleurs à des bénéficiaires illégitimes.
A plusieurs reprises nous avons interpellé les grands bailleurs publics internationaux sur les prédations ubuesques de la clique au pouvoir sur les ressources du pays. En janvier 2014 par exemple, à la suite de nombreuses interpellations de Sherpa, la Banque islamique de développement (BID) avait décidé de renoncer à financer l’extension de la centrale électrique de Nouakchott, marché de gré à gré attribué à la société Wärtsilä, en raison d’indices sérieux de corruption. Finalement, après des interventions politiques au plus haut niveau, la BID fit marche arrière.
Mauvaise gouvernance
De graves soupçons ont aussi plané sur la construction du nouvel aéroport international de Nouakchott, dont le marché a été accordé, sans appel d’offres, à un consortium privé dépourvu de la moindre expérience dans le domaine de la construction des infrastructures aéroportuaires. Ce marché a consisté en un troc opaque : moyennant la construction du futur aéroport, le consortium s’est vu offrir un vaste domaine occupé notamment par un quartier résidentiel. Le projet a été exécuté sans que la valeur des terrains ait été évaluée. Aucune étude de rentabilité indépendante n’a été réalisée avant la passation du marché. Cette opération aurait surtout permis à un groupe privé, lié à des personnalités influentes au sein du pouvoir, d’accaparer des terrains à des fins spéculatives. Finalement, et malgré des mois de retard, le président Aziz a pu inaugurer fièrement son nouveau jouet peu avant le début du Sommet de la Ligue arabe, en juillet.
Ces exemples de mal-gouvernance montrent comment la Mauritanie court actuellement à sa ruine, sans que le peuple n’ait pu bénéficier, jusqu’à maintenant, de ses propres revenus. Le clan au pouvoir est devenu de plus en plus riche, les populations de plus en plus pauvres.
Face au mutisme du gouvernement français sur ces sujets, les parlementaires en visite, de différents bords politiques, doivent obtenir des autorités mauritaniennes des engagements fermes pour mettre un terme à ces graves dérives et pour que les enquêtes nécessaires soient diligentées, ce qui implique d’abord un retour à l’indépendance de la justice, aujourd’hui sous tutelle.
Alors que beaucoup d’Africains, après les premières déclarations de François Hollande, avaient misé sur une politique africaine respectueuse, engagée, à l’écoute des sociétés civiles, ce sont finalement, par l’amoncellement des rétractations et des résignations, la déception et la colère qui s’installent aujourd’hui. Il est temps de lutter contre ces vents contraires.
William Bourdon est avocat au barreau de Paris et président de l’association Sherpa.