Interview Birame Dah Abeid, président d’IRA : «L’expulsion des deux françaises est une sottise d’Etat »
Sur sa tournée en Europe et aux USA, sur les projets à venir d’IRA, sur les départs qui ont saigné son mouvement, mais aussi sur le référendum constitutionnel, sur la grève récente des chauffeurs de taxis et sur l’affaire des deux françaises expulsées de Mauritanie, sur toutes ces questions, le président du mouvement abolitionniste, Birame Dah Abeid, revient en détail.
Question : vous avez effectué un long périple dans plusieurs pays européens ainsi qu’aux Etats-Unis, pouvez-vous nous livrer le bilan de cette tournée ?
Réponse : le bilan de ma tournée en Europe et aux Etats-Unis est très visible, d’abord au niveau du pouvoir mauritanien qui a été troublé par mon retour, qui s’est passé d’une manière pacifique et légale, avec toutes les démarches dignes d’une personne qui privilégie la compétition au niveau des idées et des stratégies. Le régime accuse ainsi le coup devant l’impact, la cohésion et l’élargissement d’IRA Mauritanie.
Le régime de Mohamed Abdel Aziz est frappé par les dernières victoires d’IRA suite à ma sortie de prison le 17 mai 2016, qui s’est transformée en plébiscite au niveau national et international, valant à notre combat de très nombreux soutiens.
Aujourd’hui, le régime est affaibli sur le plan diplomatique par tout ce qui a matérialisé notre supériorité dans le concert des Nations comme distinctions et reconnaissances de haut niveau.
Les tentatives du pouvoir de reprendre main en essayant de mettre des embûches devant notre connexion avec le peuple mauritanien très mobilisé en notre faveur les 15 et 16 janvier 2015 à Rosso et à Nouakchott, mais aussi aujourd’hui, le 7 mai 2017 à Gouraye et dans le Guidimagha, resteront vaines. En se débattant, le pouvoir a imprimé beaucoup plus de publicité et d’impact à mon passage et celui des militants dans la région, déployant des forces militaires, administratives et politiques, remettant en selle les armées d’aboyeurs et de laudateurs du système coopté parmi l’élite et les cadres des populations locales chosifiés et méprisés par un pouvoir monocolore et afrophobe réfractaire à toute égalité entre races et à toute culture des droits de l’homme ou de démocratie. Tout ce déploiement sécuritaire est à la hauteur de la foce d’IRA Mauritanie et de la panique mais aussi de ce cafouillage qu’elle inspire aux tenants du système.
Question : beaucoup de personnes trouvent que vous avez changé de discours ces derniers temps, et que vous êtes devenus plus conciliants. Est-ce qu’IRA est en train de changer de stratégie de combat ?
Réponse : le mouvement IRA reste sur la même lancée, mais je pense que les priorités changent au gré des circonstances. Durant les premières années de son combat, IRA était obligé de répondre aux violentes attaques des laudateurs politiques et aux autres corporations sociales comme les érudits, à certains pseudo journalistes ou écrivains. Ces premières années ont permis à IRA de gagner la sympathie de larges cercles qui étaient dressés auparavant contre le mouvement et son président. Ce changement s’est matérialisé par la main tendue des autorités et des autres pans du système. C’est pourquoi l’urgence n’est plus aujourd’hui à la polémique et aux ripostes acerbes et aux coups sévères qu’IRA assénait dans le tas ici et là. Aujourd’hui, IRA est moins esseulé, plus soutenu, plus serein et plus magnanime. Conséquence de cet état de fait, le fond de nos idées reste le même. Bien sûr, nous n’avons jamais épousé la violence.
Question : le mouvement IRA a été saigné par plusieurs départs, dont d’importants cadres qui y occupaient les premières places dans la hiérarchie. Cela ne vous a pas trop affaibli ?
Réponse : non, pas du tout. Nous sommes habitués à perdre quelques personnes fraîchement sorties de prison. Ces départs n’ont aucun rapport avec le fonctionnement d’IRA ni avec sa ligne de combat. Ces départs ont un rapport direct avec les effets de la prison, de ses difficultés, de l’idée épouvantable d’y rester ou d’y retourner, du souci personnel et tout à fait humain de se protéger et de se soustraire des dangers inhérents à la lutte qui requiert un sacrifice à toute épreuve.
Bien sûr, dans son obligation de rendre compte des motifs de sa transhumance ou de sa métamorphose, chaque personne selon son élévation morale et son état d’esprit, va servir sa propre cuisine. Mais c’est à l’opinion d’apprécier la saveur du plat qui lui est servi. En tout cas, le mouvement IRA est en très bonne santé.
Question ; on entend de moins en moins parler des prisonniers d’IRA restés encore dans la prison de Bir Moghreïn. Vous les avez oubliés ?
Réponse : pas du tout. IRA est loin d’oublier ses martyrs, Moussa Birame et Abdallah Maatalla Saleck. Les militants continuent à les soutenir malgré les brimades et les répressions policières. Le mouvement continue les campagnes et les missions nationale et internationales en leur faveur, à publier des communiqués de condamnation en faveur de ces prisonniers de conscience et d’opinion. IRA continue à jouer son rôle par rapport aux prisonniers et leurs familles tout en gardant des contacts réguliers avec eux et leurs avocats.
Question : que pensez-vous du référendum constitutionnel prévu dans trois mois ?
Réponse : le référendum constitutionnel envisagé marque la mauvaise foi d’un pouvoir qui se complait à prolonger le martyr du peuple mauritanien maintenu sous le joug d’un système désastreux et ignorant. C’est avec beaucoup de maladresse que le général Mohamed Ould Abdel Aziz envisage de contourner la Constitution et toutes les lois du pays qu’il ne cesse d’enfreindre afin de reproduire son pouvoir à travers une marionnette qu’il compte placer sur le fauteuil présidentiel et rempiler par la suite. Je trouve dans cet état d’esprit une mégalomanie poussée, une ignorance marquée de la chose publique et surtout un souci de s’absoudre des dérives, des malversations et délit dont il se sait coupable. Ce référendum est un véritable problème pour la Mauritanie. C’est pourquoi, il ne passera pas, ni aux yeux de la communauté nationale, ni aux yeux de la communauté internationale. Il ne fait qu’accentuer l’illégitimité du pouvoir en place.
Question : à la suite de la grève des taxis où beaucoup de dérives ont été relevées, certaines à caractère raciste et sectaires, on a entendu le ministre de l’Intérieur indexer des organisations radicales et racistes. Vous êtes-vous sentis visés ?
Réponse : j’ai entendu les propos du Ministre de l’Intérieur et d’autres proférés par de prétendus dirigeants d’organisation Made In Renseignements Généraux qui ont répété à tort et à travers que la grève et les violences survenues à la suite de la crise des transports est une fabrication d’organisations harratines militantes et que ces évènements sont une manifestation d’un racisme harratine destructeur. Je pense que ces propos se démentissent d’eux-mêmes. Pourquoi les organisations indexées n’ont pas été inquiétées et traduites en justice pour répondre de leur arrogance et de leurs actes ? Et pourquoi les individus arrêtés dans le cadre de ces évènements n’ont pas été inculpés d’incitation à la haine raciale ? Ceci pour simplement dire, que le Ministre de l’Intérieur et ses indicateurs membres de la société civile ne sont en fin de compte que des farfelus qui ont versé dans la propagande classique, celle inhérente aux régimes aux abois et à leurs acolytes habitués à réagir ainsi dans de pareilles circonstances.
Question : quels sont les projets à venir du mouvement IRA ?
Réponse : les perspectives du mouvement IRA sont d’abord, le rôle que le mouvement doit continuer à jouer, c’est-à-dire celui d’une lame de fond contre le pouvoir en place dont il cherchera à empoisonner l’existence de manière pacifique, légale et dans la loyauté des principes qui fondent la République. L’objectif est d’écourter la vie de ce pouvoir pour l’amener vers sa fin par différentes méthodes originelles et militantes, par des coups d’éclat dans les limites permises par les lois en vigueur, de manière à frapper très fort les esprit, par l’excellence et l’élégance de notre approche et démarche diplomatique, afin de proposer à sa place, une face fréquentable de nos idées à nos concitoyens et à nos partenaires.
IRA s’attèlera à jour un rôle de leader dans le rassemblement d’un très large front démocratique et populaire visant à préparer une transition démocratique et la chute du pouvoir d’une manière pacifique et légale.
IRA est toujours dans l’optique d’organiser un grand congrès qui sera l’objet de débats, ce qui requiert une solide préparation matérielle, environnementale et dans les délais que nous jugeons difficile à tenir à cause du contexte sécuritaire actuel.
Question : quels commentaires faites-vous par rapport à l’affaire des deux françaises expulsées récemment par les autorités mauritaniennes ?
Réponse : les deux françaises, Marie Foray et Tiphaine de Gosse ne sont pas à leur premier séjour en Mauritanie dans le cadre de leurs recherches universitaires et journalistiques commandées par deux grandes institutions de prestige mondialement connues, l’Université des droits de l’homme d’Aix-en-Provence et Amnesty International.
Je pense que l’attitude des autorités mauritaniennes relève de la sottise. C’est un manque notoire de discernement qu’un haut responsable militaire accepte de dire que ces deux institutions, avec tout ce qu’elles représentent, s’investissent dans le renseignement et autres manigances au profit d’une organisation comme IRA. J’aurais appris que les deux jeunes françaises ont été tolérées durant leur premier séjour qui a duré plus d’un mois grâce à l’influence d’un civil et d’un policier qui leur faisaient les yeux doux. J’aurais aussi appris, cette fois de sources sûres et concordantes, que l’Etat mauritanien, représenté par le Directeur général de la Sûreté Nationale, les a déclarées persona non grata parce que les deux filles ont pu faire de très bonnes recherches aux sources, sur l’esclavage et ses pratiques, sa persistance et le rôle de l’Etat dans ce cadre, ainsi que l’impunité accordée aux auteurs de ce crime contre l’humanité, selon la Constitution mauritanienne.
Je pense que les recherches menées par ces deux françaises passionnées de leur métier, équilibrées dans leur démarche, a créé la différence par rapport à d’autres travaux menés dans le même domaine.
L’excellence de leurs recherches et de leurs conclusions crédibles et exploitables menacent les intérêts de groupes dominants esclavagistes qui fondent leur mode de vie sur l’exploitation des personnes dont ils tirent des profits illicites et exorbitants.
Propos recueillis par : Cheikh Aïdara