Esclavage et discriminations en République Islamique de Mauritanie : braver le déni
Esclavage et discriminations en République Islamique de Mauritanie : braver le déni
Marie Foray, Juriste
Traduction du texte en arabe : « L’esclavage existe toujours en République Islamique de Mauritanie et sous toutes ses formes, en ville comme en brousse, il y a beaucoup de victimes qui sont laissées pour compte, et ils subissent différentes sortes d’injustices. Ils ne connaissent pas leurs droits. Moi et mon frère Yarg nous sommes un exemple. Nous avons vécu une longue période dans l’esclavage et on ne comprenait pas que c’était injuste. » Il s’agit d’une note laissée dans mon cahier par Saïd, il a fui ses maîtres en 2011 et demandé de l’aide à sa tante qui s’est elle-même tournée vers IRA pour lui et son frère. Il y a six ans, il rêvait d’aller à l’école, il ne savait ni lire ni écrire, aujourd’hui il lui reste seulement trois ans avant le BAC.
Remerciements :
L’Association des Femmes Chefs de Famille, AFCF, présidente : Aminetou Mint Moctar
L’AFCF est une organisation de défense des droits humains créée en 1999 à travers le récépissé N° 0626/MIPT du 17 août 1999. Elle est animée par une équipe pluridisciplinaire composée de sociologues, de nutritionnistes et de spécialistes en économie de développement et de communication.
L’association Mauritanienne des Droits de l’Homme, AMDH, présidente Maître Fatimata Mbaye
L’AMDH a été créée en 1991 afin de lutter contre les violations des droits de l’homme en Mauritanie à l’époque dans une situation d’exception ponctuée par des exécutions, expropriations, arrestations.
Anti-Slavery International
Anti-Slavery International (ASI), créée in 1839, se consacre à la lutte contre toutes formes d’esclavage dans le monde. L’esclavage, l’asservissement et le travail forcé constituent des violations des libertés individuelles, qui privent des millions de personnes de leur dignité et de leurs droits fondamentaux.
Le Forum des Organisations Nationales de Droits Humains, FONADH
Le FONADH, organisation non gouvernementale à structure faîtière qui œuvre depuis le 11 novembre 2000 en faveur des droits humains en Mauritanie. Composé de 17 associations humanitaires nationales le FONADH a pour mission de promulguer les droits de l’homme en Mauritanie et de lutter en faveur de ces derniers.
L’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste en Mauritanie, IRA, leader Biram Dah Abeid
L’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA) travaille à l’éradication de l’esclavage et de ses séquelles en Mauritanie depuis neuf ans. L’IRA se bat également pour le respect des droits des groupes sociaux marginalisés en Mauritanie et a reçu une large reconnaissance internationale, y compris le prix 2013 de l’ONU pour les droits de l’homme. Malgré cela, les autorités mauritaniennes refusent de reconnaître officiellement l’organisation. Elles arrêtent et emprisonnent régulièrement ses membres.
Coordinateur IRA Europe : Abidine Merzough, IRA Belgique : Présidente Maryvonne Maes, IRA France : Président Jean-Marc Pelenc, IRA Italie : Président Yacoub Diarra
Minority Rights Group International
Minority Rights Group International (MRG) est une organisation non-gouvernementale (ONG) qui agit pour protéger les droits des minorités ethniques, religieuses et linguistiques et des peuples indigènes dans le monde, et pour encourager la coopération et la compréhension entre les communautés.
SOS-Esclaves, Président Boubacar Messaoud
SOS-Esclaves est une association de droits humains qui a vu le jour depuis 1995 et a été reconnue légalement en 2005 par le récépissé N 0069MIPT/DAPLP/SLP DU 17/05/2005.
Elle intervient principalement dans l’éradication de l’esclavage par ascendance et s’est imposée comme autorité où ONG ressource en cette matière grâce à l’appui d’Anti Slavery International, qui a assuré à l’association un appui institutionnel qui a aidé à sa professionnalisation.
Touche pas à ma nationalité
Mouvement pour l’égalité citoyenne en République Islamique de Mauritanie. Initié pour lutter et dénoncer le recensement, le mouvement c’est peu à peu amplifié pour élargir ses revendications à toutes les discriminations en Mauritanie dont notamment la persistance de l’esclavage. Les militants subissent de la part des autorités brimades et arrestations arbitraires notamment lors de l’organisation de sit-in et de marches.
Avant-Propos
Le vendredi 28 avril 2017, le Général Mauritanien Mohamed Ould Meguett après nous avoir déclaré : « Il n’y a pas d’esclavage en Mauritanie « , a exigé le départ immédiat de moi-même, Marie Foray, Juriste, et de Tiphaine Gosse, journaliste, afin de nous empêcher de poursuivre nos investigations sur les questions de l’esclavage et du racisme en Mauritanie.
Déclarées « persona non grata », accusées de travailler pour des organisations non reconnues (IRA, Initiative pour la résurgence du Mouvement Abolitionniste et TPMN, Touche pas à ma Nationalité), nous sommes rentrées en France le mardi 2 mai 2017. En Mauritanie depuis le 18 mars 2017, j’ai commencé à rencontrer des difficultés au moment du renouvellement de mon visa. Convoquée à de nombreuses reprises à la Direction de la Sûreté du Territoire, j’ai subi, de la part des autorités mauritaniennes, un harcèlement moral allant d’insinuations à caractère sexuel jusqu’à des menaces de prison sans qu’il me soit fait part, dans un premier temps, des accusations portées à mon encontre. Au bout de trois semaines, il m’a été signifié que mon visa ne me serait pas renouvelé. Tiphaine Gosse, dont le visa était toujours valable et moi-même devions quitter le territoire au plus vite sous peine de prison. « Nous savons que vous avez pris des photos et écouter les mensonges des gens », nous a affirmé le Général Oul Meguett lors de notre dernier entretien à la DGSN. Ces « activités suspectes » justifiaient, selon lui, notre départ forcé.
Présente en Mauritanie pour la seconde fois sur invitation de l’AMDH (Association Mauritanienne pour les Droits de l’homme, présidée par Maître Fatimata Mbaye, association reconnue en Mauritanie), je me suis vue accusée de ne pas avoir choisi un organisme gouvernemental, tel que la CDHAH (Commissariat aux Droits de l’homme et à l’Action Humanitaire), pour être encadrée dans mes recherches.
La détermination des autorités mauritaniennes à entraver notre travail, notre départ forcé et précipité suivi, le même jour, par de nouvelles arrestations de militants de l’IRA, Balla TOURE, Samba DIAGANA, Hanana MBOIRICK, Kaw LO et de Meimoune BOUGAH à Sélibaby (depuis libérés), montre à quel point ce sujet reste extrêmement sensible et tabou en Mauritanie.
Sommaire :
Remerciements
Avant-Propos
Introduction
Chapitre I contexte
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Géopolitique et ressources
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L’appartenance en Mauritanie
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Cadre juridique international et national
Chapitre II : L’épineuse question de l’esclavage en République Islamique de Mauritanie
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L’esclavage par ascendance
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L’esclavage moderne
Chapitre III : Exclusion et discrimination
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L’État civil
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La répression des militants des droits de l’homme
Conclusion
Bibliographie
Introduction :
Le présent rapport s’appuie sur une centaine d’interviews1 menées auprès des dirigeants et cadres de la société civile impliqués dans la lutte contre l’esclavage et les discriminations, des anciennes victimes, des membres et des représentants de l’État mauritanien, des militants des droits de l’homme, des journalistes, des intellectuels mauritaniens, des avocats et des juristes mauritaniens ainsi que des citoyens mauritaniens touchés par l’expropriation ou l’extrême pauvreté. Il s’agit avant tout de donner la parole aux acteurs de la société civile et aux victimes afin de comprendre une réalité complexe. L’esclavage en Mauritanie, qui dure depuis des siècles et qui n’a jamais été combattu faute d’une volonté politique réelle de mettre fin à la pratique, perdure d’une part et d’autre part donne aujourd’hui naissance à de nouvelles formes d’exploitations. De plus, la division ethnique de la société engendre des tensions entre l’ethnie dominante politiquement Beïdane et les autres communautés. Les Haratines et les Négro-Mauritaniens sont absents de pratiquement toutes les réelles fonctions de pouvoir mais aussi marginalisés économiquement et socialement. Cet évincement, jugé délibéré, les condamne à la pauvreté et les prive bien souvent de tous leurs droits les plus élémentaires.
Chapitre I : Contexte
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Géopolitique et ressources
La République Islamique de Mauritanie, située dans la zone Sahélienne, partage ses frontières au nord avec le Sahara Occidental (Maroc) et l’Algérie, à l’est avec le Mali : il s’agit en grande partie d’une zone désertique longue de 2237 km et difficilement contrôlable. Au sud, le fleuve Sénégal sépare la Mauritanie du Sénégal et à l’ouest elle possède 600 km de côte Atlantique riche en réserve halieutique. La Mauritanie, ou RIM pour République Islamique de Mauritanie, possède l’une des plus faibles densités d’habitants au Km2, elle est peuplée d’environ 4 millions d’habitants pour 1 030 700 km2 de territoire. Suite aux nombreux entretiens réalisés lors de ces séjours et où a été soulevée l’épineuse question du recensement en Mauritanie, il est difficile de citer un chiffre précis, ni de s’appuyer sur un chiffre fiable, sur le nombre d’habitants2. Le peu de données connues proviennent d’enquêtes de terrain et de recensements. Ces sources sont de surcroît considérées par les Nations Unies comme peu fiables3.
Le président Mohamed Ould Abdel Aziz est arrivé au pouvoir après un coup d’État militaire en 2008. En 2014, il a été élu avec 80 % des voix, alors que les partis d’opposition traditionnels avaient boycotté les élections. Le leader du Mouvement IRA, Biram Dah Abeid, qui s’était présenté sans étiquette puisque ni son mouvement ni son parti non obtenu de reconnaissance officielle, a créé la surprise en arrivant deuxième avec 8,6 % des voix. Actuellement, le gouvernement veut organiser un référendum, prévu pour le mois d’août. Extrêmement critiqué, de nombreuses marches et manifestations ont lieu actuellement à Nouakchott et dans les principales villes du pays pour dénoncer un « coup d’État » contre la constitution4, il permettrait, entre autre, de supprimer le sénat et de modifier le drapeau. Les principaux opposants à ce référendum dénoncent aussi un coût inutile dans un pays où près de 10 % des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aigüe et où la moitié de la population n’a pas accès à une eau propre, saine et potable selon le Programme Alimentaire Mondial5.
Le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, regroupés au sein d’un cadre institutionnel baptisé « G5 Sahel » font, de plus, face à une poussée démographique très importante qui, à moyen terme, risque d’aggraver la situation dans une région déjà très fortement touchée par le djihadisme, la sécheresse, le chômage et l’extrême pauvreté6. Ses dix dernières années la situation au Sahel s’est fortement dégradée surtout en ce qui concerne la sécurité. Certes, il existe de fortes différences en ce qui concerne les problèmes affectant les zones rurales de ces pays. Il n’en reste pas moins que ces cinq pays s’enferment dans le même piège où insécurité et pauvreté se nourrissent l’une de l’autre7, ce qui peut les mener à un enchaînement de conflits dont le coût, à terme, pour la Mauritanie, et pour l’ensemble de la région mais aussi pour le reste du monde, pourrait se révéler dramatique8.
Pourtant la Mauritanie possède de nombreuses richesses : des minéraux, du poisson, du bétail et des terres agricoles dans la vallée du fleuve Sénégal. Mais ses richesses ne profitent pas à l’ensemble de la population et de nombreuses personnes vivent encore dans le plus grand dénuement.
Le rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme, Philippe Alston souligne que les trois quarts de la population mauritanienne vivent au-dessous du seuil de pauvreté et met en relief l’exclusion des Haratines et des Négro-mauritaniens des centres de décision politique et économique du pays9.
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La question de l’appartenance en Mauritanie
La population se divise principalement et habituellement en deux groupes principaux : les Maures et les Négro-mauritaniens. Chaque groupe étant lui-même divisé en ethnies, castes, clans, tribus, communautés, il est donc difficile de pouvoir s’appuyer sur des chiffres précis. Ceux cités sont issus d’un recoupement d’informations de plusieurs rapports.
Les populations de langue (Hassanya) et culture maure représentent le groupe majoritaire (environ 70 % de la population), divisées entre ceux que l’on appelle les Beïdanes qui signifient littéralement blancs (entre 20 et 30 %), descendants des conquérants arabo-berbères (XVe siècle) et les Haratines ou Hartani (Maures Noirs environ 40 %) appellations à connotation négative car faisant référence aux descendants d’esclaves, plus ou moins métissés. Mais cette connotation négative a tendance à fortement s’atténuer pour se transformer en revendications communautaires. Il devient de plus en plus courant que les jeunes se présentent comme « Haratines et fiers de l’être ». À tel point que dans le langage, à Nouakchott, il devient habituel de diviser la société mauritanienne en trois groupes : les Maures, les Haratines et les Négro-Mauritaniens. Mais cette division de la société reste loin de faire l’unanimité et confirme les susceptibilités liées à la question de l’esclavage dit traditionnel en Mauritanie, le déni de certains et le tabou qui entoure la question.
Un riche propriétaire terrien Beïdane à Rosso, m’expliquera que les Maures sont divisés en deux couleurs : les Maures blancs et les Maures noirs. Les Maures blancs étaient les éleveurs et les Maures noirs les bergers. Les éleveurs étaient les propriétaires et les noirs les employés. Aujourd’hui, il reconnaît qu’il y a des tensions qu’il explique par le fait que les Maures noirs ne veulent plus accepter la condition de leurs parents. Pour lui, ils sont tous des Maures parce qu’ils parlent la même langue : le Hassanya.
Toujours à Rosso où la question de l’appartenance est intimement liée à la terre et à son exploitation, où les conflits intercommunautaires sont fortement exacerbés par les revendications autour du droit de propriété sur les terres exploitées : lors de l’une de mes interviews, ma traductrice10 a eu un accrochage virulent avec l’une des personnes interrogées. Il s’est présenté comme Maure. Elle lui a répondu « toi, tu n’es pas Maure, tu es Haratine ! ». Il l’a ensuite traitée de raciste. Malgré sa volonté de continuer l’entretien, il restera jusqu’au bout sur la défensive.
Il s’agit de deux exemples en apparence anecdotiques mais qui pourtant relèvent d’une véritable remise en question actuellement au sein de la communauté Maure sur le mot « Haratine » et sur la division entre Maure Blanc et Maure noir. Celle-ci représente, dans son explication, un véritable challenge pour qui se refuse à aborder la question de l’esclavage en Mauritanie. D’esclaves, ils deviennent aujourd’hui « cousins ». Le langage a changé mais l’état de servitude demeure.
Les Négro-africains (30 % de la population) se divisent en plusieurs ethnies, toutes ayant leur propre langue, les Halpoulaars (Toucouleurs 16,5 % et Peuls 5 %), les Soninkés (ou Sarakolés, 9 %), les Wolofs, les Bambaras, agriculteurs et pasteurs, ils vivent principalement dans la région du fleuve Sénégal. Il existe aussi des esclaves au sein des communautés négro-mauritaniennes, mais la définition de l’esclavage relève plutôt d’un système de castes. Aujourd’hui, il semblerait, de l’aveu de beaucoup, que la lutte relève plutôt d’une volonté de casser la dernière barrière : celle du mariage entre personnes issues l’un d’une famille de maître et l’autre d’une famille d’esclaves, mais qu’il n’existe plus de rapport d’exploitation d’une personne par une autre personne sous le prétexte qu’elle lui appartient.
Les Noirs sont les habitants les plus anciens du pays. Ils ont souvent le sentiment d’être « des citoyens de secondes zones 11». Le Peul, le Soninké et le Wolof n’ont pas le statut de langues officielles mais seulement celles de langues nationales. Ils sont mis à l’écart lorsqu’ils ne maîtrisent pas l’Arabe et souvent discriminés face à une communauté Maure et en particulier Beïdane, qui tient les rênes du pouvoir. D’où les violences inter-ethniques récurrentes qui ont pris un tour particulièrement violent en 1989 et en 1991. Suite à des affrontements ethniques ayant fait plusieurs victimes de part et d’autre du fleuve Sénégal, des dizaines de Négros-Mauritaniens ont été expulsés de leur pays vers le Sénégal et d’autres se sont réfugiés au Mali à partir d’avril 1989. Aujourd’hui encore, la question de leur retour pose de nombreux problèmes. Ils peinent à récupérer leurs terres surtout dans la région du fleuve Sénégal et gardent, pour certains, une profonde rancune envers les Haratines, ou Maures Noirs, principaux acteurs des massacres lors des événements. Ils avaient en effet servi de bras armés aux commanditaires principalement des Maures Blancs.
L’une des particularités des Maures mauritaniens réside dans le fait que la tribu est divisée en castes semblables à celles que l’on retrouve au sein des ethnies Négro-Africaines. Les griots et les artisans relèvent de la caste des forgerons, considérés comme inférieurs, marginalisés, ils sont exclus des chaînes du pouvoir encore largement entre les mains des guerriers et des marabouts. Le sort du jeune forgeron Mohamed Cheikh Ould M’khaytir 12, condamné à mort pour apostasie et sa supposée infériorité qui agite fortement le débat actuellement en Mauritanie, en est un exemple flagrant.
À 99 % Musulmans, il semblerait que la religion puisse représenter un facteur d’unité. Mais même sur ce point, la société se divise. En effet, dans l’Islam, il existe un point de clivage profond sur la question de l’esclavage. Certains insistent sur le fait qu’un musulman ne peut asservir un autre musulman, tous ayant été convertis et se reconnaissant en tant que musulmans, l’esclavage ne devrait plus avoir de fondements religieux. Pour eux, les manuels de jurisprudence malikite13 qui cautionnent un ordre séculaire esclavagiste sont en contradiction avec les valeurs contemporaines de l’État de droit, les engagements internationaux de la Mauritanie et le « message ultime du Prophète » 14. Or, d’autres persistent à trouver des justifications religieuses à la pratique mais aussi à l’infériorité supposée de certains par rapport à d’autres. La lutte pour l’abolition de l’esclavage et contre le racisme s’inscrit donc dans un contexte fortement imprégné de coutumes ancestrales et de rapports de domination inscrits dans un métissage constant à travers l’Histoire entre « Noirs » et « Arabes » et qui ont conduit à la société mauritanienne d’aujourd’hui.
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Cadre juridique international et national
« Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes »15.
Dans le droit international, l’esclavage se défini comme : « L’état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux »16.
Cette définition se retrouve dans de nombreuses conventions internationales dont la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratique analogues à l’esclavage (1956). Les conventions 29 et 105 de l’Organisation internationale du travail (OIT) élaborées pour mettre fin au travail forcé sont venues renforcer la lutte contre les pratiques similaires à l’esclavage en vue de mettre fin au travail forcé. Puis de nouvelles conventions, telles que la Convention 182 de l’OIT (1999) sur les pires formes de travail des enfants et le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants (2000), ont élargi la lutte aux formes émergentes d’esclavage.
La Mauritanie est partie à l’ensemble de ces conventions internationales sur les droits de l’homme qui interdisent expressément l’esclavage et toutes les pratiques analogues. Elle a également ratifié les conventions suivantes : la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention sur les droits de l’enfant et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution d’enfants et la pornographie mettant en scène des enfants17.
Les instruments régionaux suivants : la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples sur les droits des femmes en Afrique, et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, ont également été ratifiés par la République Islamique de Mauritanie. En mars 2016, la Mauritanie devient la deuxième nation africaine à s’engager à mettre fin à l’esclavage moderne en ratifiant le protocole de 2014 de la Convention pour le travail forcé de 1930.
Au niveau national, la Mauritanie est le dernier pays à abolir en 1981 l’esclavage. Il a été érigé en infraction pénale en 2007 et désigné comme un crime contre l’humanité en vertu de la réforme constitutionnelle de 2012. Toutes les formes de trafic, à l’exception de l’esclavage héréditaire qui n’apparaît pas dans le texte, sont interdites par la loi de 2003 contre la traite des êtres humains. Elle prévoit des peines de prison allant de cinq à dix ans en cas de violations. En août 2015, une nouvelle loi antiesclavagiste est adoptée, la peine d’emprisonnement maximale pour le crime d’esclavage passe de 10 à 20 ans.
« Nulle part ailleurs vous ne trouverez un pays comme la Mauritanie, la Mauritanie signe toutes les conventions internationales mais n’en applique aucune », dénonce Biram Dah Abeid, leader de l’IRA, prix des Nations Unies des Droits de l’homme en 2013. Malgré ces avancées législatives, les principales organisations des droits humains connues pour leur lutte contre l’esclavage en Mauritanie telles que SOS-ESCLAVES, l’AMDH, l’AFCF, les mouvements IRA et Touche pas à ma Nationalité, dénoncent une absence de volonté de la part des autorités pour lutter contre l’esclavage, une absence de justice réelle et même des intimidations sur les personnes voulant porter plainte18. « Nous avons l’impression, nous Mauritaniens, que toutes ces lois, que tout cet arsenal qui a été mis en place n’est pas réellement fait pour les Mauritaniens. Il n’existe pas de volonté réelle d’éradication de l’esclavage en Mauritanie », estime Fatimata M’Baye, présidente de l’AMDH. Cet échec dans l’application des lois, jugé délibéré et systématique, entraîne un fort sentiment d’injustice et permet à des familles mauritaniennes de continuer d’exploiter d’autres Mauritaniens.
Chapitre II : L’épineuse question de l’esclavage en République Islamique de Mauritanie
« Esclavage héréditaire », « Esclavage traditionnel », « Esclavage moderne », « Séquelles de l’esclavage », autant d’expressions qui recouvrent une réalité complexe : la traite des êtres humains en Mauritanie.
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L’esclavage par ascendance
Yuma est la fille de Salma, sa mère était esclave, elle a été aussi esclave avant que son cas ne soit dénoncé par des militants de l’IRA en 201319, Rahma était la fille des maîtres de sa mère et plus tard la maîtresse de Yuma : « Lorsque Rahma était petite c’est sa grand-mère qui lui a donné Salma, donc Salma a pris Rahma comme sa fille. Ma mère m’a donné à Rahma quand j’étais très petite, je ne sais pas quel âge j’avais. Ma maman m’a dit : moi je t’ai donné à celle-là, tu dois rester avec elle, tu peux venir me voir de temps en temps, quand il y a des vacances mais tu dois rester avec elle. Mon travail c’était de laver la vaisselle, et parfois les habits, je nettoie la maison, et parfois il y a une autre femme de ménage qui fait ce travail et parfois il n’y a que moi.
Salma : Je ne voulais pas qu’elle parte, mais c’est eux qui sont venus la récupérer.
Yuma : Si tu n’avais pas accepté ils ne seraient pas venus me prendre. 20»
L’esclavage héréditaire ou esclavage par ascendance, encore présent en Mauritanie, est difficilement chiffrable, aucune enquête n’a été, jusqu’à aujourd’hui, autorisée par le gouvernement mauritanien afin d’évaluer le nombre de personnes vivant encore actuellement sous cet état de servitude21. Il s’agit d’une forme dite « traditionnelle » de l’esclavage où la condition d’esclave se transmet par la mère. L’esclavage par ascendance n’est jamais rémunéré, c’est un travail de 24h sur 24, les esclaves sont exploités en permanence, ils habitent avec leurs maîtres, ils n’ont aucun accès à l’éducation, ils dorment la plupart du temps dehors. Ils n’ont pas le droit à la propriété même si les parents décèdent. Ils ne peuvent rien décider par eux-mêmes. La femme ne peut pas décider de son corps, elle n’a aucun droit sur ses enfants. Elle n’a pas de foyer même si elle est mariée. Le maître peut l’utiliser comme il veut, il peut coucher avec elle, coucher avec ses filles, donner ses enfants en cadeau aux membres de sa famille. Le viol de son esclave est un droit que se donne le maître pour multiplier la progéniture de l’esclave.
La plupart des esclaves libérés entre 2010 et aujourd’hui, portent sur leur corps les séquelles de leurs années de servitude. Aïchetou, brulé au niveau de la poitrine, a priori délibérément par son ancien maître avec un morceau de chardon ardent pour ne pas avoir obéi à un ordre, s’est enfui avec l’aide de sa sœur, aujourd’hui décédée, et des militants de l’IRA. Sa sœur aurait fui sa condition après le meurtre délibéré de son bébé par ses maîtresses. Sa fille, Mabrouk, séparée d’elle à l’âge de huit ans, s’est brûlée des épaules jusqu’aux hanches en cuisinant. Elle me confiera : « Un jour, j’étais très petite, ils m’ont demandé de préparer le repas, mais j’étais trop jeune, je me suis brûlée ». Ses maîtres ont refusé, contre l’avis du médecin, de la faire transférer dans un hôpital de la capitale, ils la soigneront eux-mêmes.
Mbarka porte elle aussi des marques de brûlures au niveau des deux coudes (dûes à son trop jeune âge pour préparer les repas) et la cicatrice d’un coup de couteau à l’épaule droite infligée par une des filles de ses maîtres. Habie a eu le bras cassé, son os fait un creux au niveau de l’avant-bras gauche, sous les coups de bâton de son maître. Moctar, jeune adolescent encore marqué au niveau du dos par les coups de ceinture de son maître, peine à se remettre des violences qui lui ont été infligées.
Malgré leur grande pudeur à parler des violences sexuelles, Mbarka Mint Essatim me racontera : « Lors des rapports sexuels, il me mettait un couteau sous la gorge, il disait que si je criais il allait m’égorger, il me menaçait, je devais me soumettre ». Elle aura deux filles de son maître.
Cette liste, non exhaustive, montre les violences auxquelles leur condition les expose et contredit l’argument avancé par certains que l’esclavage traditionnel aujourd’hui se résume à une inégalité sociale. À l’exception de Mabrouk qui a vu une fois un médecin, les autres n’ont jamais bénéficié d’une consultation suite aux violences subies lors de leurs années de servitude. Toutes les victimes précitées ont porté plainte, elles ont été entendues par la police mais aucune n’a encore eu à ce jour le droit à un procès22.
Depuis son abolition et malgré des lois renforcées, il n’existe que deux procès ayant pu aboutir à une condamnation pour crime d’esclavage : celui de Yarg et Saïd en 2011, confirmé en appel en 201623, et le procès dit de « Néma » en 201524, chacun étant suivi de peines très inférieures à celles prévues par les textes. En dépit de ces condamnations, de nombreuses plaintes n’ont jamais pu aboutir et de nombreuses victimes ont renoncé à poursuivre en justice leurs anciens maîtres25.
La méconnaissance de leur droit à la justice et de leurs droits à des indemnités pour les années de servitude, s’illustre à travers les propos de Mohamed Salem Elide Yargueite, devenu militant de l’IRA à Boutilimit : « Quand IRA est venu ici poser le problème de Nora26, ça a trouvé un écho dans ma vie, car j’ai trois sœurs, elles sont mes demi-sœurs du côté de mon père, leur mère est une esclave et les trois ont chacune été données à une famille, ils les ont emmenées en brousse. Lorsque j’ai adhéré à l’IRA, ils ont appris que j’étais devenu un membre de l’IRA, et mes trois sœurs ont été libérées. Je ne vois pas la nécessité de porter plainte, c’est notre problème à nous tous, toutes les personnes qui sont passées par ça. Ce que je regrette c’est qu’elles n’étaient pas payées et qu’elles ne sont pas allées à l’école. L’essentiel pour moi c’est qu’elles soient libres et qu’elles négocient elle-même leur salaire. 27»
De nombreux esclaves ont retrouvé leur liberté suite aux pressions exercées par la société civile et à la communication active des militants de l’IRA et des campagnes de SOS-Esclaves. Mais trouver la liberté ne signifie pas accéder pour autant à une vie digne. En effet, peu éduqués, ne possédant rien ou très peu, ils se retrouvent dans le dénuement le plus total et luttent pour survivre. Faute de moyens, les ONG reconnues telle que l’AFCF ou SOS-Esclaves ont du mal à les réorienter professionnellement. Quant à l’IRA, ne bénéficiant pas de reconnaissance officielle, elle ne peut développer des centres adaptés, ni obtenir de subventions directes pour aider à la réinsertion sociale des victimes pour lesquelles elle a participé à la libération. Certaines vivent chez le leader du mouvement Biram Dah Abeid.
En mars 2013, le Président mauritanien, Mohamed ould Abdel Aziz, crée l’Agence nationale de lutte contre les séquelles de l’esclavage, l’intégration et la lutte contre la pauvreté (l’agence Tadamoun). Ahmed Ould Bilal, Secrétaire général de l’agence, à la question que « répondez-vous à ceux qui accusent l’agence de ne rien faire de concret pour lutter efficacement contre l’esclavage » répondra : « Les ONG qui nous critiquent manquent d’information, il n’y a pas de prise en compte de notre travail dans les lieux où vivent les anciens esclaves, pourtant nous y avons construit des écoles, des postes de santé, des barrages, des forages. Nous avons travaillé à la mise en place de grillages, de digues, diguettes au niveau national et plus particulièrement dans les Adwabas28 et localités considérées comme pauvres. Lors des journées de dialogue nous avons parlé de nos activités, beaucoup de gens étaient surpris, ils ont dit qu’ils ne savaient pas. C’est à cause d’un manque de communication sur nos activités réalisées. » Alors même qu’elle se présente comme une agence de développement, l’agence Tadamoun, est très peu transparente sur la manière dont elle sélectionne les zones où elle décide d’investir les populations bénéficiaires. Elle semble se contenter de subventionner des constructions et des édifices sans réelle continuité dans la mise en marche et la recherche effective de personnels pouvant assurer l’opérationnalité des activités prévues au sein de ces constructions29.
En ce qui concerne l’aspect juridique de la lutte contre l’esclavage, en mars 2014, un Plan d’Action National est adopté officiellement par le gouvernement de la Mauritanie, des tribunaux spéciaux pour juger les crimes de l’esclavage ont été créés30. Ces tribunaux, accusés de n’être qu’une façade pour « rassurer » la communauté internationale, ne disposent d’aucune structure d’accompagnement comme c’est le cas pour les cours spéciales contre le terrorisme, le trafic de drogue ou pour les mineurs. Ces tribunaux n’ont pas de parquet, pas de procureur spécialisé, ni de brigade de gendarmerie.31 Bien que l’agence Tadamoun se soit portée partie civile au côté de l’association SOS-Esclaves dans le procès dit de Néma, son conseiller juridique, Maître Bilal Ould Dick32, restera pourtant sur la défensive lorsqu’il s’agira de parler de la continuité de la pratique, selon lui « C’est un point d’interrogation. ».
Et lorsqu’il parle des sept cas pour lesquels l’agence se serait constituée partie civile il explique : « On n’a pas sept cas, il faut encore faire la distinction. Quand un cas est devant le tribunal, il est considéré comme un cas où prévaut la présomption d’innocence. Tant que ça n’a pas été avéré, tant qu’il n’y a pas eu de jugement qui prononce la réalité de la chose, on est toujours en situation de présomption. » Soit, mais lorsqu’il s’agit d’aborder les deux cas emblématiques, dont la condamnation pour « pratique esclavagiste » a été confirmée en appel devant les tribunaux, jouer avec les notions juridiques se révèle un exercice périlleux : « Je suis d’accord avec vous, le cas de Néma, dès lors que le tribunal d’appel a confirmé qu’il s’agit bien d’un cas, je dirais que oui, il y a bien un cas d’esclavage en Mauritanie qui a été jugé par un tribunal en Mauritanie. Mais encore, c’est encore un cas ou certainement il va y avoir un pourvoi en cassation, ce n’est pas encore définitif. » Or, lors d’un pourvoi en cassation le litige est considéré comme fixé par les juges du fond, et la cour de cassation se borne à contrôler l’application et l’interprétation qui a été faite de la loi.
Le refus de parler ouvertement de continuité de la pratique de l’esclavage de la part des personnes engagées au niveau de l’État pour lutter contre « les séquelles de l’esclavage », « séquelles » qu’ils définissent non pas comme la persistance du phénomène mais comme une lutte contre la pauvreté,33 montre que le gouvernement mauritanien ne cherche pas à mettre un terme de manière efficace et en accord avec ses propres lois à une pratique qui continue de faire de nombreuses victimes. En épidémiologie des droits de l’homme, un seul cas suffit pour signifier qu’il y a un problème : le refus d’admettre la persistance du phénomène conduit le gouvernement mauritanien a usé de contradictions flagrantes entre l’adoption de ses propres lois et le discours des autorités compétentes.
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L’esclavage moderne
Pour la présidente de la CNDH (Commission Nationale des Droits de l’Homme) Madame Irabiha Abdel Wedoud : « En Mauritanie il existe des pratiques esclavagistes dans leur forme moderne : comme le travail des enfants, la problématique des bonnes, surtout en milieu rural. Mais cela ce n’est pas ce que l’on appelle l’esclavage traditionnel ou lien par ascendance, des familles qui appartiennent à une autre, ce sont des cas que l’on ne voit plus. » Mais à l’évocation de l’audience tenue le 8 octobre 2016 par le Comité Africain d’Experts sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant (CAEDBE) dans l’affaire de deux frères maintenus en esclavage en Mauritanie, soutenue par SOS-Esclaves et ses partenaires, Minority Rights Group (MRG) et Anti-Slavery International à Banjul, elle répond : « C’est normal que la cour se saisisse sur ce cas avéré, il s’agit d’un système ancestral, il ne faut pas être dans le déni, c’est pas parce qu’on ne le voit pas que ça n’existe pas. » Sans sourciller elle ajoute : « l’exploitation des enfants par autrui a pour premier responsable les familles issues des communautés noires. Les Poullards, les Soninkés, les Wolofs, les Harratines, il faut faire un travail de sensibilisation auprès de ces communautés dont les enfants sont souvent déscolarisés pour travailler. C’est très rare chez les Maures. »
La pauvreté, le manque d’accès à une éducation conduisent de nombreuses familles, parmi les plus pauvres, à placer leurs enfants auprès de personnes les exploitant. Soit en tant qu’apprentis auprès d’un maître artisan en espérant qu’ils apprennent un métier, or dans bien des situations, il sera maltraité, exploité et bien souvent non rémunéré, soit en tant que bonne auprès de familles peu scrupuleuses des droits de ses employés domestiques. Mais, parler d’esclavage moderne, en opposition à l’esclavage traditionnel, n’a pas vraiment de sens en Mauritanie où l’exploitation sous sa forme moderne découle d’un système esclavagiste et discriminatoire profondément ancré dans la société.
L’Indice sur l’Esclavage Mondial de 2016 estime que 43 000 personnes ou 1,06 % de la population totale vivent dans des conditions d’esclavage en Mauritanie. Ce chiffre se base sur l’enquête entreprise en 2015, qui a cherché à identifier les cas tant de mariage que de travail forcé au sein de la population. Toujours selon la même enquête, conduite en Français, Hassanya, Poulaar, Wolof et en Soninke,34 le taux de vulnérabilité des personnes pouvant être touchées par l’esclavage moderne est de 46,77 %. Pour autant, se baser sur des chiffres ne permet pas de prendre en compte une autre réalité : même affranchis, le lien de domination demeure entre anciens maîtres et anciens esclaves. Cette servitude forcée ou « volontaire » par soumission à « l’ordre des choses », par manque d’éducation, absence de perspectives économiques, ou par crainte de quitter son maître pour se retrouver dans le dénuement le plus total (sans logement, sans nourriture, sans argent) cache une autre réalité : l’exploitation des plus démunis, descendants d’anciens esclaves ou récemment affranchis. L’état de servitude demeure dans les rapports sociaux inter-ethniques et intra-communautaires.
Quelle est la différence entre une femme noire enlevée et réduite à la servitude il y a une centaine d’années et une petite fille malienne emmenée de force et illégalement en Mauritanie pour servir de domestique dans une maison de Tevragh Zeina (quartier chic de Nouakchott) où, coupée de sa famille, de ses origines, elle va devoir apprendre une autre langue et se fondre dans une autre culture que la sienne ?35 Demeure l’idée d’une supériorité de castes ou de naissance de certains sur d’autres et d’une assimilation par la force à l’ethnie dominante politiquement et économiquement : les Beïdanes. Même si, au sein des communautés négro-mauritaniennes, la différence de castes entre maître et esclave tend à devenir de moins en moins synonyme de rapport de domination et d’exclusion, elle perdure sous sa forme la plus violente au sein des tribus et familles Maures entre Maures Blancs/Maures noirs (Haratines) et Maures Blanc/négro-africains. Travail forcé, non-rémunéré ou sous-rémunéré36, exploitation et violences sexuelles sur des personnes mineures mais aussi majeures, l’esclavage perdure. Qu’il s’agisse d’esclavage dénoncé comme « traditionnel » ou appelé « moderne », les communautés les plus touchées restent la communauté Haratine et les noirs dans leur ensemble.
Lutter contre l’esclavage sous toutes ses formes en Mauritanie ne peut se réduire à une approche juridique de la question ; il faut aussi une prise en compte du contexte sociologique et géopolitique intrinsèquement lié à une exploitation séculaire de l’homme par l’homme, mais aussi travailler au développement et à l’intégration économique des personnes les plus vulnérables.
Chapitre III : Exclusion et discriminations
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L’État civil
Les problèmes liés à l’état civil aggravent le sentiment d’injustice, favorisent le travail illégal et la non-poursuite des auteurs de crimes relevant de la traite des êtres humains. Au départ jugé comme « une volonté raciste 37» de ne pas accorder la nationalité mauritanienne aux noirs, il semblerait, aujourd’hui, que toutes les communautés soient touchées par un service administratif dont la procédure complexe et le coût empêchent le recensement de nombreux Mauritaniens.
De nombreux journalistes et membres d’ONG comme des citoyens eux-mêmes dénoncent la grande difficulté rencontrée par les Mauritaniens pour être recensés. Ces difficultés à obtenir des papiers : il faut prouver que ses deux parents sont Mauritaniens, payer et parfois même prouver sa mauritanité (la langue, la religion ou par des témoins), jouent, pour beaucoup d’acteurs de la société civile mauritanienne, un rôle important dans la cristallisation des tensions intercommunautaires et sur une montée des revendications identitaires.
« Daghveg, c’est une commune négligée à 620 km de Nouakchott, vivent là-bas environ 9000 personnes et une centaine de familles n’ont pas de papiers. Ce sont des cultivateurs, tous des Haratines, leurs anciens maîtres habitent à 25 km, au moment des pluies, ils sont coupés du monde, la route devient impraticable pendant trois ou quatre mois, l’État ne va jamais là-bas et le centre de recensement le plus proche est à plus de 30 km. Les jeunes aujourd’hui ils se révoltent, ils ne veulent plus de la condition de leurs parents, ils veulent une reconnaissance de leurs droits », témoigne Samba Diagana, chargé de la communication du comité de la paix de l’IRA.
Les personnes dépourvues de carte d’identité et qui sont essentiellement issues des communautés Haratines et négro-mauritanienne se heurtent à une administration peu coopérative et difficilement contestable : « Si tu n’as pas de relation, tu es victime comme n’importe qui. Les gens ne savent même pas où et à qui s’adresser. C’est un problème de susceptibilité : ils cherchent à vraiment s’assurer qu’il ne s’agit pas de Sénégalais ou de Maliens38. C’est un véritable fiasco, l’agence est gérée comme une boutique. On va au guichet, on paie pour un acte de naissance et on ne nous donne pas de reçu, personne ne sait où va l’argent. Ils encaissent l’argent sans reçu ! », témoigne Mohamed Sneiba, journaliste. Les recours doivent être présentés devant un tribunal et la lourdeur des démarches administratives ainsi que leur coût découragent de nombreux demandeurs.
Le prix pour la carte d’identité est de 1000 UM (environ 2,4 euros), pour le passeport il faut compter au minimum 30 000 UM (environ 71,4 euros), il y en a d’autres à 100 000 UM39 (environ 240 euros). Pour comparaison le salaire minimum en Mauritanie est fixé à 30 000 UM40, et près de 25% des Mauritaniens vivent avec moins de 1,10 euros par jour41, le nombre d’emplois informels, de travailleurs non-déclarés ainsi qu’un taux de chômage élevé de 31 %42, montrent les difficultés que peuvent rencontrer les plus démunis pour obtenir des papiers. Sans compter qu’il faut, pour faire recenser ses enfants, payer pour le certificat de mariage ou le certificat de décès si besoin. Un père de famille qui n’a aucun revenu, qui a, par exemple, une dizaine d’enfants ou plus comme cela peut être souvent le cas en Mauritanie, et qui doit tous les inscrire, n’ira pas récupérer la carte d’identité pour chacun. S’il trouve de l’argent, il aura d’autres priorités que celles liées à l’administratif. Le coût reste peu proportionnel au niveau de vie de la population et s’ajoute à l’opacité administrative comme une raison supplémentaire de découragement. Beaucoup de gens se sont inscrits depuis très longtemps, se sont fait enrôler, mais ne sont jamais allés récupérer leur carte d’identité en raison du prix.
Pourtant, sans la carte d’identité il est quasiment impossible d’avoir le moindre droit en Mauritanie. Les nombreux anciens esclaves interrogés mentionneront pour la plupart cette difficulté majeure : ils n’étaient pas recensés. Pour pouvoir porter plainte, dans le cas de Said et Yarg43 par exemple, il a fallu trouver un Cadi acceptant de les recenser. Les deux filles de Mbarka, issues du viol de son ancien maître ne peuvent être recensées, elles ne bénéficient pas des papiers de leur père, or la loi impose les papiers des deux parents pour bénéficier de l’enrôlement ; il existe bien une procédure pour les cas de viol mais elle est très peu activée. « Dans le cas d’une mère seule, on l’envoie devant le procureur, parfois elle se retrouve elle-même jugée car elle est mère célibataire et c’est interdit. Sinon, on met le nom du père de la mère, elle se retrouve avec sa fille qui a le même père et la même mère. Parfois c’est le juge qui va faire l’État civil qui va choisir un nom de père pour l’enfant. Parfois on fait un faux certificat de décès avec l’aide de deux témoins pour que l’enfant ait un père. C’est beaucoup de mensonges pour que la femme n’aille pas en prison et qu’elle puisse recenser son enfant », explique Malick Sy, militant de l’IRA qui a aidé au recensement de nombreuses personnes.
Dans le cas des problèmes liés au foncier, l’absence de papier d’identité aggrave des tensions déjà très forte44 entre tribu Maures, Haratines et Négro-mauritaniens45. En effet, les personnes non recensées ne peuvent posséder de terres, les anciens esclaves, agriculteurs sur des terrains appartenant à la tribu de leurs anciens maîtres, se retrouvent privés des terrains qu’ils cultivaient depuis des années car ils ne possèdent pas de papiers justifiant leur droit.
Quant à la confiscation des terres suite au passif humanitaire, les Négro-mauritaniens rencontrent de sérieux problèmes pour récupérer leurs biens en raison des difficultés qu’ils rencontrent à retrouver des papiers d’identité. Ceux ayant choisi le retour volontaire lors de l’accord tripartite (Sénégal, HCR, Mauritanie) voient ces difficultés s’amoindrir mais ne sont pas exempts de nombreux problèmes liés à l’obtention d’une carte d’identité. Lors de la journée de commémoration du Massacre d’Inal46, lieu où 28 officiers d’État mauritanien, tous Négro-mauritaniens, ont été pendus le 28 novembre 1990 pour fêter l’indépendance. Les orphelins présents feront part de leur grande difficulté à obtenir des papiers, ceux dont le père n’a pas été reconnu mort ou s’il a fui après les événements ne peuvent qu’avec de très grandes difficultés se faire recenser. L’un d’entre eux confiera que, depuis des années, il est le seul de sa fratrie à n’avoir toujours pas obtenu de papiers malgré de nombreuses démarches : il est accusé d’être Sénégalais.
Depuis la rentrée de 201747, de nombreux enfants ont été déscolarisés de l’école publique car ils n’étaient pas enregistrés, la plupart de ces enfants n’ont pu avoir accès à l’école privée en raison du coût lié aux frais de scolarité. Ces enfants sont soit placés comme apprentis chez un artisan malgré leur jeune âge, soit placés dans des écoles coraniques (Mahadhra), où ils n’apprennent, pour la plupart, ni à lire ni à compter mais récitent les versets du coran,48 et sur lesquelles l’État n’a aucun contrôle. Ainsi, ces jeunes, déscolarisés en raison des problèmes liés à l’enrôlement et à la situation financière de leurs parents, se retrouvent privés de toutes perspectives d’avenir et restent des proies faciles pour les réseaux de traite : la mendicité forcée, la prostitution, l’esclavage et le travail forcé. Cette perte de repères et cette absence de perspectives peut aussi les mener à des actions violentes49.
« Une bonne éducation primaire s’adressant à tous les enfants est la condition d’une insertion des jeunes dans la vie économique, sociale et politique ; elle constitue le socle du développement économique et de la paix sociale » (Clara Arnaud 2016)50. Avoir le sentiment d’appartenir à une communauté nationale passe en grande partie par l’accès à l’école primaire et à un enseignement de qualité ; si la discrimination et le rejet sont vécus dès le plus jeune âge par l’exclusion de la communauté nationale en raison de l’absence de papiers d’identité, le phénomène risque d’accroître des tensions déjà très présentes au sein du pays51.
« Ma mère a été donnée, enfant, comme cadeau à une famille qui venait d’avoir un enfant. Je suis né esclave, je vivais dans la brousse sans grandes possibilités de comprendre autre chose. Par coïncidence, je me suis retrouvé à l’école. Ma maman tenait vraiment à ce que je sois instruit, elle a énormément lutté pour cela et ce malgré son statut. Je peux dire aujourd’hui, que c’est l’école qui m’a libéré », témoigne Brahim Ould Bilal, président de l’institution Sahel pour la défense des droits de l’homme, soutien à l’éducation et protection de la paix sociale.
L’accès difficile, voire impossible, pour certains à l’éducation joue ainsi un rôle important dans la perpétuation de pratiques esclavagistes séculaires. Les maintenir dans l’ignorance aussi bien religieuse, ils n’apprennent pas à lire le Coran et se contentent de croire ce que leur maître leur dit, que l’ignorance de tout autre savoir, permettait aux maîtres de maintenir leur domination. Aujourd’hui, non seulement la pratique perdure, mais elle se perpétue au sein même de la société sous d’autres voies comme le non accès à l’éducation des plus pauvres et l’exclusion des plus marginalisés du système éducatif, les communautés les plus touchées sont les Haratines et les Négro-mauritaniens.
Sans papiers, il est très difficile de s’insérer aussi bien socialement que professionnellement, mais il devient aussi difficile voire impossible de se sentir citoyen (ceux qui ne sont pas recensés ne peuvent pas voter) et de participer activement à l’unité nationale pourtant plébiscitée par le gouvernement mauritanien52.
- La répression des militants des droits de l’Homme
« Ira appelle les choses par leur nom, en accusant une certaine pratique de l’Islam, ils ont franchi une ligne très rouge, rouge foncé même ! », indique Balla Touré, secrétaire général d’IRA-Mauritanie.
Les députés ont voté, le vendredi 9 juin 2017, un projet de loi « sur la pénalisation de la discrimination », au paragraphe premier de l’article 10, il est stipulé : « quiconque encourage un discours incendiaire contre le rite officiel de la République islamique de Mauritanie est puni d’un an à cinq ans d’emprisonnement ». À travers ce projet de loi, la Mauritanie compte « doubler la peine des crimes racistes et des discours haineux en les considérant comme des crimes imprescriptibles et à travers l’application de l’article 36 du code pénal», rapporte l’agence officielle d’informations53. Prévue officiellement pour s’inscrire dans la lutte contre « la radicalisation et l’extrémisme », elle est cependant dénoncée comme visant directement les militants des Droits de l’homme54. Dans une tribune55publiée le 3 juillet 2017, Balla Touré, Biram Dah Abeid et Jemal Ould Sid’ Ahmed Yessa, dénoncent une nouvelle loi visant à empêcher toute remise en question de certaines sources du rite malékite pouvant mettre en évidence leurs contradictions manifestes, avec la Constitution, le droit interne et les engagements internationaux de la Mauritanie. Ils rapportent que: « Des voix s’élèvent, régulièrement, dans certaines mosquées et sur les réseaux sociaux, pour réclamer la liquidation des militants de la dignité humaine, notamment les femmes56», et rappellent qu’il n’y a jamais eu de poursuites. Aminetou Mint Moctar, présidente de l’AFCF, pour avoir osé demander que Mohamed Cheikh Ould M’khaytir, auteur d’un article jugé blasphématoire en Mauritanie, puisse bénéficier d’un procès juste et équitable, est devenue la cible récurrente d’appel au meurtre57. Malgré les propos violents dirigés contre sa personne, sa plainte contre la fatwa érigée à son encontre n’a jamais été traitée. L’incitation au meurtre est pourtant punie par le code pénal Mauritanien58.
L’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA), que dirige Biram Dah Abeid, lors de l’organisation de sa première prière de vendredi, le 27 avril 2012, en présence des membres et militants du mouvement, a brûlé les référentiels du rite malékite, dont notamment les livres de Malick Ibn Aness et de certains de ses disciples comme Khalil et Hatab.
En dénonçant des édits relatifs à l’esclavage et contenus dans le rite Malékite comme l’expression d’une donnée sociologique qui a voulu trouver un fondement religieux à des pratiques déjà ancrées chez les autochtones de l’époque et ceci en opérant une savante distorsion interprétative des versets coraniques et des Hadits se rapportant à la question, IRA Mauritanie par le biais de son président Biram Dah Abeid a touché un point extrêmement sensible sur la question de l’esclavage et ses justifications d’ordre religieuses qui freinent une évolution des mentalités sur la question. Il s’agissait avant tout d’un geste symboliquement fort contre la nature jugée inégalitaire et discriminatoire du rite malékite locale qui interdit notamment la direction des prières aux esclaves, crée des inégalités de classe et de naissance et justifie des pratiques esclavagistes.
« J’ai été arrêté, emprisonné dans une cellule pour les terroristes, ils m’ont mis des chaînes aux pieds. C’était une période très dure, ils ont organisé des manifestations pour dire que nous étions des apostats, corrompus par l’occident, les juifs et le Vatican. Ils ont marché jusqu’à la présidence et le président est sorti, il a promis de pratiquer ses lois sur nous », témoigne Yacoub Diarra arrêté le 28 avril 2012 après l’incinération des livres, puis libéré après cinq mois d’incarcération, aujourd’hui vice-coordinateur de l’IRA en Europe.
Là où certains prônent une évolution des mentalités qui doit se faire dans la patience et en douceur, IRA se montre plus virulente, dénonçant des pratiques qui ne devraient plus avoir de raison d’être au XXIe siècle, s’insurgeant contre « des chaînes mentales » séculaires qui font que certains hommes naissent propriétés d’autres sans remettre en question leur statut par foi mais surtout par ignorance.
IRA-Mauritanie s’inscrit dans une lutte pacifique et une désobéissance citoyenne organisées autour d’actions fortes mais non-violentes (Sit-In, manifestations, caravanes…) qui se veulent la dénonciation des lignes de fracture communautaires et de castes afin de recentrer le débat national sur les revendications des populations Haratines et noires de Mauritanie, sur leur droit à une citoyenneté pleine et entière et sur la reconnaissance officielle de l’esclavage comme pratique historique et traditionnelle qui perdure sous sa forme originelle mais aussi dans les mentalités des affranchis et anciens maîtres sous la forme d’une domination économique, sociale et politique. Le mouvement a affronté le déni et le silence entourant l’esclavage en cherchant à communiquer le plus possible autour de chaque cas dénoncé afin que l’affaire ne puisse être étouffée et que les victimes puissent bénéficier d’une reconnaissance de leur statut de victimes.
Fondée en 2008, la demande de reconnaissance officielle du mouvement, introduite en juin 2010 auprès du Ministère de l’Intérieur et de la décentralisation, n’a toujours pas été acceptée. Organisation reconnue sur la scène internationale, primée de nombreuses fois59, ses membres sont pourtant régulièrement menacés, emprisonnés et pour certains victimes d’actes de torture de la part des autorités mauritaniennes.
Le 17 mai 2016, la Cour suprême mauritanienne avait ordonné la libération immédiate des militants Biram Dah Abeid et Brahim Bilal Ramdhane après dix-huit mois d’incarcération60. Dès la libération du président du mouvement et du premier vice-président, 13 militants d’IRA ont de nouveau été arrêtés et emprisonnés entre le 29 juin et le 3 juillet 2016, il s’agissait des principaux cadres du mouvement. Ils seront déférés, entendus puis placés à la prison centrale par le Parquet de Nouakchott-Ouest, mardi 12 juillet 2016 à 4h du matin, après plusieurs jours d’incarcération dans des conditions jugées illégales par plusieurs organisations internationales dont Amnesty International61. Accusés notamment « d’usage de la violence » et « d’appartenance à une organisation non reconnue », pour avoir participé, selon les autorités, à la résistance des habitants de la Gazra Bouamatou, qui s’était soldée par des blessures dans les rangs de la police, contre le déguerpissement de 429 familles, ils seront condamnés le jeudi 18 août 2016 à des peines allant de trois à quinze ans de prison ferme dans le cadre d’une procédure dite de « flagrant délit », or tous ont été arrêtés chez eux ou loin des événements parfois plusieurs jours après les faits.
« J’ai été condamné pour appartenance à une organisation illégale. Ils m’ont torturé pendant presque quatre jours, nuit et jour. Je ne pouvais pas manger, dormir ni même prier. Ils ne m’ont pas mis dans une cellule, j’étais tout le temps avec les officiers de police. Maintenant, je n’entends plus d’une oreille à cause des coups répétés. J’ai des pertes de mémoire. J’étais tellement fatigué de la torture que je ne pensais qu’à mourir, je ne pensais plus à rien », raconte Abdallahi Abou Diop, libéré le 12 janvier 2017 après six mois de détention. Condamné en première instance à 15 ans de réclusion par la cour criminelle de Nouakchott, il a vu sa peine réduite à un an de prison dont six mois ferme à Zouerate, en novembre 2016.
Ainsi, enfermé dans une spirale depuis 2014 qui a commencé avec l’arrestation puis l’emprisonnement de Biram Dah Abeid, leader du mouvement, et Brahim Bilal Ramdhane, premier vice-président de l’IRA au moment des faits, le mouvement se retrouve à devoir lutter, organiser des marches, des manifestations et des sit-in pour lui-même. Aujourd’hui, concentré sur la dénonciation d’actes de torture sur deux des militants toujours en prison à l’heure actuelle62, IRA Mauritanie mène une bataille idéologique mais aussi sociologique et historique sur plusieurs fronts.
« Pour ma part, je n’ai subi que des tortures d’ordre psychologique ce qui ne fut pas le cas de trois de mes camarades. J’étais alors retenu au même endroit que deux d’entre eux : Moussa Biram et Abdalla Ould Matala. Ces derniers furent conduits durant trois nuits consécutives dans la salle des tortures afin d’y subir des tortures de minuit à 5 heures du matin. À chacune des séances de torture qui leur était infligée, les policiers m’obligeaient à regarder et obligeaient ceux qui étaient torturés à dire que j’étais bien celui qui avaient commandité et planifié les violences de Bouamatou. Dans cette salle des tortures se trouve des masques électriques. Je n’ai pas assisté à cette phase de torture pour ma part. Par contre j’ai assisté à la phase où ils font coucher les prisonniers sur le sol, sur le ventre, les mains menottées par derrières les pieds réunis aux mains par des chaînes, une corde est ensuite attachée entre les pieds et les mains. On pousse ensuite les prisonniers sur le ventre, une personne appuie sur chaque pied, prend la corde et tire, les menottes glissent alors sur les poignets en laissant la marque de la friction. Moussa Biram a par exemple perdu de cette façon plusieurs centimètres de peau sur ses poignets. Les prisonniers se faisaient également électrocuter et appuyer sur les reins par une forte pression ; Moussa Biram a uriné du sang durant un mois. Moussa et Abdallah ont été par la suite conduits à un psychologue. On savait qu’ils étaient traumatisés, ils ne parlaient plus. Ils ont effectué une échelle de représailles en fonction de nos statuts. Moussa est peintre de voiture et Abdallah est chef de garage », rapporte Amadou Tidjane Diop63, libéré le 18 novembre 2016, après quatre mois de détention. Condamné en première instance à 15 ans de réclusion par la cour criminelle de Nouakchott, il a vu sa peine réduite à un an de prison dont quatre mois ferme à Zouerate, en novembre 2016.
Moussa Biram et Abdallahi Matalla Saleck sont toujours détenus dans la prison de Bir Moghreïn, après avoir été condamnés, en appel, le 18 novembre 2016, à Zouerate, à trois ans de prison dont un avec sursis. Décrite comme un camp militaire, ils ne peuvent recevoir aucune visite et ne bénéficient a priori d’aucun soins médicaux d’après leur ancien codétenu Abdallahi Abou Diop. Leurs codétenus affirment qu’ils sont restés en prison et déplacés aussi loin en raison des marques trop visibles dûes aux traitements et sévices qui leur ont été infligés.
Le mouvement Touche pas à ma nationalité subit aussi la non reconnaissance officielle de son organisation et de sévères répressions lors de ces manifestions, marches et sit-in64. Le dimanche 16 avril 2017, une marche pacifique de la jeunesse mauritanienne (MPJM) a été sévèrement réprimé par les forces de l’ordre, elle réunissait des jeunes de tous les mouvement et organisation des droits de l’homme. Dans leur communiqué, ils dénonçaient leurs exaspérations : «Nous, jeunes de Mauritanie et de toutes ses composantes, suite à une avalanche de constats et à travers les maux insupportables que nous ressentons, nous nous sommes décidés à nous mobiliser et à organiser une marche de protestation contre l’injustice, l’inégalité, la gabegie, etc. 65». Plusieurs parmi eux seront blessés et une trentaine d’autres arrêtés. Sur ordre du procureur de la République, dix jeunes manifestants ont été placés sous mandat de dépôt dans le cadre de la procédure dite de « flagrant délit » pour les chefs d’accusation d’attroupement non-autorisé et d’agression contre la force publique. Lors de leur procès, le jeudi 20 avril 2017, le Parquet avait requis cinq ans de prison ferme pour cinq membres du mouvement citoyen « Marche pacifique de la jeunesse mauritanienne » et deux ans pour les cinq autres. Neuf de ces jeunes seront acquittés. Seule Oumou Kane, présidente de l’Association Multiculturelle pour un Avenir Meilleur (AMAM) écopera d’une peine de 3 mois de prison avec sursis66.
Pour les leaders des mouvements Touche pas à ma nationalité et l’IRA, cette répression s’explique par la volonté de la classe politique dominante Beïdane de ne pas laisser de « ponts » se créer entre Haratines et négro-mauritaniens : « Maintenant les Haratines ont compris qu’ils n’étaient que l’instrument des Maures et ils commencent à s’affranchir justement de cette domination-là. Ils commencent à réclamer leur propre droit et c’est dans ce sillage là que des gens ont commencé à réclamer une identité Haratine à part entière, qui ne soit pas corrélée à celle des Maures. Ce que bien évidemment les Maures ne veulent pas entendre. Ils disent, nous sommes tous Arabes, eux et les Haratines, nous sommes tous Arabes et nous formons la majorité. Ils ont besoin des Haratines pour former la majorité, mais quand il s’agit du pouvoir réel ils n’ont pas besoin des Haratines. C’est ça le drame de ce pays. Et donc, les Négro-mauritaniens qui ont toujours mené un combat contre cette domination-là, contre la domination qu’ils subissent eux, contre l’aliénation qu’on veut leur imposer, ont compris que les Haratines étaient des alliés naturels », selon Alassane Dia, docteur en linguistique et membre fondateur du mouvement Touche pas à ma Nationalité.
Le pouvoir en place, qui refuse de tenir compte de l’appartenance ethnique sous le prétexte que cela porterait atteinte à l’unité nationale, affiche cependant ses propres contradictions à la fois dans la répression violente qui porte atteinte à ceux qui militent pour la reconnaissance pleine et entière de leurs droits, mais aussi dans la préférence affichée accordée aux Beïdanes au détriment des autres ethnies et communautés absentes de toutes les positions de pouvoir réel67.
Conclusion
« La lutte contre l’esclavage, la libération de la personne n’est pas une fin en soi mais un début. Il s’agit de les aider à devenir des personnes et des citoyens à part entière. »
Elid Mohameden Mbarek, Avocat
De l’esclavage et de sa pratique séculaire en Mauritanie découle tout un système discriminatoire qui aujourd’hui se fragilise sous la pression des ONG et de la communauté internationale. Mais de cette servitude considérée comme passée et définie par les autorités et membres proches du gouvernement sous l’expression « séquelles de l’esclavage », germe des lignes de fractures plus profondes que ce que les « officiels » définissent principalement comme une lutte contre la pauvreté. D’une part, la pratique perdure. D’autre part, des conséquences de cette exploitation de l’homme par l’homme basée sur la couleur de peau naissent des rapports sociaux profondément marqués par la ségrégation raciale. Le déni dans lequel s’enferment les autorités attise la frustration et la colère de citoyens qui revendiquent un accès à une citoyenneté pleine et entière, au respect de leurs droits et à l’égalité de tous face à la loi.
Pourtant, le bruit autour de la question, commencé avec le mouvement El Hor fondé en 1978, suivi de la création de SOS-ESCLAVES en 1998 reconnue officiellement en 2005, puis la naissance du mouvement IRA en 2008, a porté ses fruits sur la pratique elle-même. En effet, de nombreux esclaves ont raconté avoir fui sans crainte d’être poursuivis par leurs maîtres car bénéficiant de la protection et du soutien des militants. Réfugiés dans les villes, ils vivent cependant dans des conditions précaires et ne peuvent réclamer leurs droits. Pris au piège de l’absence de papiers d’identités, ou de la méconnaissance de leurs droits à des dommages et intérêts pour les années de servitudes, ou par peur de s’enliser dans des déboires judiciaires, ils survivent comme ils peuvent et sont souvent de nouveaux exploités dans des emplois subalternes peu rémunérés. En ce sens la liberté reste loin d’être une fin en soi et le travail autour de la reconstruction d’une identité après la fuite reste fondamental.
Face au déni des autorités sur la question de l’esclavage, face à l’absence de volonté politique réelle de mettre un terme aux discriminations qui touchent les communautés négro-africaines et Haratines la lutte pour la reconnaissance d’une citoyenneté pleine et entière apparaît longue et difficile. Toutefois de nombreuses voix se lèvent, malgré la répression, pour continuer de lutter pacifiquement contre l’esclavage, pour le respect de leur droit, l’égalité de tous face à la loi et la reconnaissance de la pluralité ethnique qui compose le pays. Cependant, la jeunesse mauritanienne, frappée par l’absence de perspective, niée dans ses particularités et sa diversité ethnique et linguistique, privée d’un accès à une éducation de qualité, gratuite et accessible, au lieu d’être un atout pour l’avenir du pays se voit tenter de prendre la route de l’exil, de rejoindre les réseaux de traite des êtres humains ou agrandir les rangs des filières djihadistes présentes et actives au Sahel.
Bibliographie :
> Allier sécurité et développement – Plaidoyer pour le Sahel, Ouvrage à l’initiative de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international, Ferdi, 2016.
> Messaoud Boubacar. L’esclavage en Mauritanie : de l’idéologie du silence à la mise en question. In: Journal des africanistes, 2000, tome 70, fascicule 1-2. L’ombre portée de l’esclavage. Avatars contemporains de l’oppression sociale. pp. 291-337.
> LE POUVOIR MAURITANIEN TORTURE LES MILITANTS ANTI-ESCLAVAGISTES, rapports conjoints de l’Association Mauritanienne des droits de l’homme (AMDH), Comité de Solidarité avec les Victimes et Violation des Droits humains en Mauritanie (CSVVDHM), Forum national des organisations des droits de l’Homme (FONADH) et SOS- Esclaves, octobre 2016.
> MAURITANIE: RAPPORT 2016 WALK FREE SLAVERY.
> Anti-Slavery International, Rapport thématique sur l’esclavage en Mauritanie par le Comité des droits de l’homme de l’ONU, 107ème session, 11 – 28 mars 2013. Adoption de la liste de questions sur le rapport initial de la Mauritanie, Anti-Slavery International, (Nations Unies Bureau du Haut-Commissaire aux droits de l’homme, 2013).
> Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, incluant ses causes et conséquences, Gulnara Shahinian: Follow-up on mission to Mauritania, 26 août 2014, A/HRC/27/53/Add.1.
> Observations finales concernant le rapport initial de la Mauritanie, Pacte international relatif aux droits civils et politiques Comité des droits de l’homme CCPR/C/MRT/CO/1 Distr. générale 21
novembre 2013. Original: français.
> RAPPORT D’ACTIVITES DE L’INITIATIVE DE RESURGENCE DU MOUVEMENT ABOLITIONNISTE – IRA MAURITANIE, 2010 – 2011, Rédigé par Malick Fall.
> Conseil des droits de l’homme Trente-cinquème session, 6-23 juin 2017, Point 3 de l’ordre du jour, Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement A/HRC/35/26/Add.1Distr. générale 8 mars 2017 Français Original : anglais Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté sur sa mission en Mauritanie.
> Application de la législation anti-esclavage en Mauritanie : l’incapacité permanente du système judiciaire à prévenir, protéger et punir, publication répertoriée dans le catalogue de la British Library. ISBN 978-1-907919-67-1. Publiée en octobre 2015 par ASI, IRA, le MRG, SOS-Esclaves, la STP et l’UNPO.
> Tribune : Esclavage, discrimination et religion en Mauritanie : Les dilemmes de la république islamique, à l’épreuve du G5 Sahel, Tribune co-signé par Balla Touré, consultant, agro-environnementaliste, activiste des Droits humains/IRA-Mauritanie, Biram Dah Abeid, juriste, historien, activiste des Droits humains/IRA-Mauritanie, Candidat aux élections présidentielles en Mauritanie, prix des droits de l’Homme de l’ONU, 2013, Jemal Ould Sid’ Ahmed Yessa, universitaire, politiste, spécialiste du Jihad subsaharien.
1 Interviews réalisées lors de deux séjours successifs, du 15 octobre 2016 au 15 décembre 2016 et du 23 mars 2017 au 2 mai 2017.
2 Cf. Chapitre III, État civil.
3 Conseil des droits de l’homme Trente-cinquième session, 6-23 juin 2017, Point 3 de l’ordre du jour, Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement A/HRC/35/26/Add.1Distr. générale 8 mars 2017 Français Original : anglais Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté sur sa mission en Mauritanie
4 Référendum constitutionnel : Adversaires et partisans ouvrent les hostilité, article du 7 avril 2017, Cheikh Aïdara, l’Authentique, Source : www.cridem.org
5 http://fr.wfp.org, 10 choses à savoir sur la faim en Mauritanie, le 26 mai 2015.
6 Le Sahel est une bombe démographique, « Pour Michel Garenne, la maîtrise de la surpopulation, négligée au profit du développement, doit devenir une priorité. » Publié le 16 janvier 2017 source : www.lemonde.fr
7 Allier sécurité et développement – Plaidoyer pour le Sahel, Ouvrage à l’initiative de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international, Ferdi, 2016 p.13.
8 Id.
9 Conseil des droits de l’homme Trente-cinquième session, 6-23 juin 2017, Point 3 de l’ordre du jour, Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement A/HRC/35/26/Add.1Distr. générale 8 mars 2017 Français Original : anglais Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté sur sa mission en Mauritanie.
10 J’avais pourtant pris le temps de bien lui expliquer de ne pas s’impliquer ou d’apporter de jugement mais de garder ses remarques pour après l’entretien.
11 Cf Chapitre 3, A l’Etat civil
12 Que devient Cheikh ould Mkheitir, condamné à mort pour apostasie ? Par Sabine Cessou, RFI, Publié le 06-03-2015, source : www.rfi.fr
13 Le malikisme ou malékisme est l’une des quatre écoles classiques du droit musulman sunnite. Il est fondé sur l’enseignement de l’imam Mālik ibn Anas (711 – 795), théologien et législateur qui naquit à Médine. Cette école est majoritaire en Afrique du Nord et Afrique de l’Ouest.
14 Cf Chapitre III, B La répression des militants des droits de l’homme.
15 Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), art. 4.
16 5 League of Nations, Convention to Suppress the Slave Trade and Slavery, 1926, Art. 1(1).
17 Cependant la Mauritanie a émis des réserves fondées sur la loi de la Charia islamique par rapport au Pacte relatif aux droits civils et politiques, à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et à la Convention sur les droits de l’enfant.
18 Ceci fait écho aux nombreuses interviews réalisées sur le terrain et aux preuves récoltées sur l’absence de suite pénale après un dépôt de plainte.
19 « IRA souligne apprécier positivement l’acte d’accusation de « crime de pratiques esclavagistes », que le ministère public mauritanien vient d’entériner contre Rahma Mint Legreyve, dont la victime, Youma mint Salma, est restée sous sa coupe, depuis l’âge de trois ans, donc 15 années durant, jusqu’au jour de l’arrestation de la présumée esclavagiste, le 7 février 2013 », elle sortira pourtant au bout de deux mois, communiqué de presse IRA Mauritanie, le 12 février 2013, source : www.iramauritanie.org
20 Propos recueillis en novembre 2016 en présence des frères de Yuma et fils de Salma : Salek et Bilal.
21 Rapport Walk free, 2016.
22 Arguments issus des photographies et communications personnelles.
23 J’ai pu assister au procès en appel des jeunes frères Yarg et Said, un seul des sept accusés dans le procès pour esclavages sera condamné à deux ans de prison ferme, confirmé en appel le 24/11/2016.
24 Le dossier RP 110/2015, met en cause deux présumés coupables de pratiques esclavagistes, Ikhalihina ould Haïmad, d’Outeïd Talhaya, et Hanena ould Sidi Mohamed ould Bouna, d’Azamad, respectivement présumés maîtres de Fatma mint Zeïd et ses quatre enfants, et Vatma mint Hemedi, dite Bouta, et ses six enfants. « Ainsi que le souligne Boubacar Messaoud qui a assisté, à Néma, aux assises de la Cour d’appel sur le dossier 110/2015, « le jugement en première instance de ce dossier n’avait pas été encourageant. Certains magistrats s’entêtent à ne pas appliquer la loi. La preuve en est encore assénée aujourd’hui : confirmer la condamnation de personnes accablées par toutes les preuves d’esclavagistes reconnues, par le tribunal lui-même, comme telles, à cinq ans d’emprisonnement, dont quatre avec sursis, est ridicule, puisque les dispositions de l’article 7 de la loi 031/2015 prévoient, au minimum, dix ans ». El Kory Sneiba, journaliste pour le Calame, Cour spécialisée de Néma : Dossier 110/2016 en appel, article du 14-07-2016, source : Cridem.org
25 Arguments issus de nombreux échanges avec d’anciennes victimes libres aujourd’hui.
26 « Les militants d’IRA-Mauritanie, qui observent un sit-in pacifique depuis le 09 septembre 2013 devant la brigade de gendarmerie de la ville de Boutilimit en Mauritanie, ont été violemment agressés ce matin par des unités de police envoyées depuis Nouakchott, la capitale. Ce sit-in fait suite au refus des autorités mauritaniennes, représentées par le commandant de brigade de gendarmerie de Boutilimit, Ahmed ould Ghalla, le procureur de la république par intérim près du tribunal de Rosso, le juge ould Rabbani, de faire suite à la plainte de Noura mint Aheymed, 19 ans, maintenue en esclavage depuis l’âge de quatre ans, par un homme d’affaires arabo-berbère, Cheikh ould Sidi et son épouse Amy mint Ahmeddou » Biram Dah ABEID, Président d’IRA-Mauritanie, Publié par Diko Hanoune à dimanche, octobre 06, 2013 source : http://haratine.blogspot.fr/
27 Propos recueilli le 5 décembre 2016 à Boutilimit.
28 Villages où vivent les anciens esclaves en Mauritanie.
29 Conseil des droits de l’homme Trente-cinquième session, 6-23 juin 2017, Point 3 de l’ordre du jour Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques,économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement A/HRC/35/26/Add.1 Distr. générale 8 mars 2017 Français original : anglais, Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté sur sa mission en Mauritanie p. 14.
30 Creating a National Agency for the Fight Against the Legacy of Slavery, (National Commission for Human Rights in Mauritania,March 21, 2013), http://www.cndh.mr/content/view/180/1/
31 Entretien avec Boubacar Messaoud, président de l’ONG SOS-ESCLAVES.
32 Maître Bilal oul Dick, conseiller juridique de l’agence Tadamoun, était avocat de la défense dans le procès pour pratique esclavagiste sur les jeunes frères Yarg et Saïd et avocat de la partie civile contre les militants d’IRA lors du procès en appel de Zouerate.
33 Issus de communications personnelles.
34 http://www.globalslaveryindex.org/country/mauritania/
35 L’argument s’appuie sur mes entretiens avec les assistantes sociales de l’ONG AFCF ainsi que sur un cas dénoncé au commissariat de Toujounine en novembre 2016. Le commissaire refusera de poursuivre la plainte pour esclavage sous prétexte que la jeune fille était Malienne. N’ayant pu obtenir plus de renseignements sur les personnes incriminées, l’information ne pourra être vérifiée. Quoiqu’il en soit, il s’agissait d’une jeune fille mineure et une enquête aurait dû être ouverte pour vérifier les faits.
36 Le salaire minimum en Mauritanie est de 30 000 Ouguiyas environ 80 euros, il existe des cas de plaintes comme celui d’une femme qui a produit de faux papiers devant le tribunal, un pour prouver que la jeune servante n’était pas mineure ni esclave le papier attestait d’un salaire de 20000 Um, il avait été probablement rédigé par un écrivain public.
37 La naissance du mouvement « Touche pas à ma nationalité » s’est fondée sur cet argument.
38 Cette approche liée à la méfiance des autorités sur l’origine des personnes se retrouvent dans de nombreux témoignages : « Il m’est arrivé plusieurs fois de me faire contrôler par la police le soir alors que je rentrais de mon travail. Bien que j’avais toujours mes papiers sur moi, je devais chaque fois justifier de ma présence dans la rue de nuit. Je leur expliquais alors que je travaillais de nuit dans un restaurant, leur donnais l’adresse de ce dernier et leur montrais mes affaires de travail comme preuves. Mais à chaque fois, les policiers m’arrêtaient tout de même. Ils me mettaient en caleçon et m’enfermaient dans une cellule remplie d’Haratines et de Peuls, eux aussi en caleçon. Nous restions là de minuit à 8h du matin. Sauf si nous leur donnions de l’argent, là ils nous libéraient. Ces rafles ont lieu la nuit dès 21h, dans les quartiers du 6ème et du 5ème à Nouakchott. » Cheikh Vall, pâtissier.
39 Le prix est basé sur le nombre de pages.
40 OIT 2011
41 http://fr.wfp.org, 10 choses à savoir sur la faim en Mauritanie, le 26 mai 2015.
42 Banque mondiale, 2014
43 Deux jeunes frères libérés avec l’aide d’IRA en 2011 étaient, avant le procès dit « de Néma » en 2015, les seuls à avoir vu leurs maitres reconnus coupable d’esclavage.
44 Lorsque je me suis rendue dans la région du fleuve, j’ai été arrêtée de nombreuses fois par des postes de police jusqu’à être escortée au commissariat, on reprochait à mon chauffeur de ne pas porter sur lui son permis de conduire mais c’est moi qui ai été placée dans le bureau du commissaire et soumise à des questions sur les raisons de ma présence dans la région.
45 En 1983, une loi sur la réforme agraire a été votée, elle constitue pour beaucoup le point de départ d’un conflit qui aboutira aux événements de 1989 : assassinats, pillages, et déportations massives des noirs pour s’accaparer des terres arables du sud de la vallée. En 2008, au lendemain de l’accord tripartite (Sénégal, HCR, Mauritanie) quelques déportés de 1989 à 1991 sont revenus au pays mais, immense fut leurs déceptions quand ils constatèrent que leurs terres d’antan ont généralement été réattribuées à des hommes d’affaires Maures ou à des investisseurs étrangers.
46 L’enfer d’Inal, Mamadou Sy, Editions L’Harmattan, 1 sept. 2000 – 186 pages
47 La circulaire N° 20 du 20 avril 2016, stipule que tous les enfants âgés de 10 ans et plus doivent posséder une carte d’identité pour se présenter aux examens de fin d’école primaire.
48 Cet argument s’appuie sur mes rencontres avec de nombreux parents ayant dû retirer leurs enfants de l’école et sur le témoignage des assistantes sociales de l’AFCF et des militants des droits de l’Homme des mouvements IRA et Touche pas à ma nationalité.
49 « Les recherches effectuées au sujet des agents d’AQMI en Mauritanie montrent que les plus vulnérables au recrutement sont les jeunes hommes marginalisés vivant en périphérie urbaine et ayant parfois déjà commis des délits mineurs » Déconstruire le mythe de l’extrémisme islamiste en Mauritanie, Chris Simpson, journaliste indépendant basé à Dakar et contributeur régulier d’IRIN, NOUAKCHOTT, 23 août 2016, Source : www.irinnews.org
50 Allier sécurité et développement – Plaidoyer pour le Sahel, Ouvrage à l’initiative de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international, Ferdi, 2016 p 58
51 « Ce potentiel, « ce dividende démographique », bien géré, est une chance. Mal géré, il peut représenter une bombe à retardement. Vu les chiffres du RGPH, il y a urgence. Le tiers (32%) des jeunes âgés de 15 à 35 ans est inactif et/ou exclu du système scolaire et, dans une situation à fort risque. » Extrait du Communiqué : Marche Pacifique de la Jeunesse Mauritanienne (MPJM), 11 Avril 2017, Source : www.cridem.org
52 « La situation qui prévaut actuellement dans le monde nous incite à resserrer nos rangs et à redoubler d’efforts pour préserver notre unité nationale que fondent des liens solides puisés dans notre sainte religion et dans notre glorieuse histoire », a affirmé M. Ould Abdel Aziz lors d’un message à la nation à l’occasion de la fête d’El Fitr source : www.cridem.org, publié le 17 juillet 2017
53 Rite malékite: La Mauritanie pénalise tout discours contraire, Le Reflet (Mauritanie), article du 20 Juin 2017 source : www.cridem.org
54 Tiphaine Gosse et moi-même avons été qualifiées d’extrémistes par le Général ould Meguett lors de notre convocation à la DGSN. Il a de même qualifié les militants de l’IRA et TPMN de personnes extrémistes. Face à notre perplexité il a précisé : « je ne vous qualifie pas d’intégristes mais d’extrémistes ».
55 Esclavage, discrimination et religion en Mauritanie : Les dilemmes de la République islamique, à l’épreuve du G5 Sahel, Tribune co-signé par Balla Touré, consultant, agro environnementaliste, activiste des Droits humains/IRA-Mauritanie, Biram Dah Abeid, juriste, historien, activiste des Droits humains/IRA-Mauritanie, Candidat aux élections présidentielles en Mauritanie, prix des droits de l’Homme de l’ONU, 2013, Jemal Ould Sid’ Ahmed Yessa, universitaire, politiste, spécialiste du Jihad subsaharien.
56 Id IV. Du déni au dédoublement.
57 « Selon les informations reçues, le 6 juin 2014, le dirigeant d’un courant islamiste radical mauritanien dénommé « Ahbab Errassoul » (les amis du prophète), M. Yadhih Ould Dahi, a édicté une fatwa de mort contre Mme Aminetou Mint El Moctar, la qualifiant d’infidèle dont il est licite de verser le sang, pour crime d’apostasie et rejet des commandements de la charia. Il a ajouté que quiconque la tuerait ou lui arracherait les deux yeux serait récompensé par Allah. La fatwa a été relayée dans plusieurs mosquées, et un climat d’hostilité grandissante à l’encontre de la défenseure sévi depuis en Mauritanie, accentué par le lancement de la campagne électorale le week-end du 7 juin 2014. » Mauritanie : Menaces de mort à l’encontre de Mme Aminetou Mint El Moctar Appel du 12 juin 2014 Source : www.fidh.org
58 Art 282 du code pénal Mauritanien.
59 Biram Dah Abeid, leader du mouvement a reçu notamment le Front Line award for Human Rights Defenders at Risk de l’ONG irlandaise Front Line Defenders en 2013 et fait partie, la même année, des six lauréats du prix des Droits de l’Homme, décerné tous les cinq ans par l’Organisation des Nations unies à des personnes ou associations ayant œuvré pour la défense des Droits de l’homme, reçu en juin 2015 avec Brahim Bilal Ramdhane à Washington par le Secrétaire d’État américain John Kerry afin de recevoir tous les deux le prix des Héros contre la Traite des Humains, elle bénéficie du soutien des autres IRA, comme IRA USA, IRA France, IRA Belgique, IRA Italie, IRA Allemagne, etc. elles, toutes reconnues par leur gouvernement respectif.
60 La Cour suprême a annulé l’arrêté de la Cour d’appel d’Aleg en date du 26 août 2015 confirmant la peine de deux ans de prison à l’encontre de MM. Biram Ould Dah Abeid et Brahim Ould Bilal Ramdane pour « appartenance à une organisation non reconnue » et « rassemblement non autorisé » (articles 191/192 et 193 du Code pénal), suite à leur participation à une campagne de sensibilisation contre l’esclavage source : www.fidh.org
61 https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/07/la-mauritanie-doit-reveler-le-lieu-de-detention-de-neuf-militants-antiesclavagistes/
62 À Bruxelles, Me William Bourdon avocat au barreau de Paris, Me Julie Goffin, avocate au barreau de Bruxelles et Me George Henri Beauthier, avocat au barreau de Paris et Bruxelles ont déposé une plainte internationale pour dénoncer l’esclavage et la torture en Mauritanie. Elle a été adressée au rapporteur des Nations unies sur l’esclavage et à la commission juridique de l’Union africaine. La plainte a été présentée lors d’une conférence au parlement européen le 22 juin 2017.
63 Propos recueilli à sa sortie de prison, le 2 décembre 2016.
64 Beaucoup de jeunes appartenant à l’une des branches du mouvement Touche pas à ma nationalité étaient présents lors de la marche pacifique de la jeunesse mauritanienne. C’est pour avoir notamment été vues en leur présence que Tiphaine Gosse et moi-même avons été expulsées sous le prétexte d’être trop proches des mouvements IRA et TPMN.
65 Communiqué : Marche Pacifique de la Jeunesse Mauritanienne (MPJM), 11 avril 2017, Source : www.cridem.org
66 Communiqué de presse Mauritanie : la condamnation d’une jeune manifestante vise à intimider les défenseurs des droits humains, Amnesty International France, le 21 Avril 2017 Source : www.amnesty.fr
67 Conseil des droits de l’homme Trente-cinquième session, 6-23 juin 2017, Point 3 de l’ordre du jour, Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement A/HRC/35/26/Add.1Distr. générale 8 mars 2017 Français Original : anglais Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté sur sa mission en Mauritanie.