L’esclavage, incontournable thème de campagne en Mauritanie (Libération)
A l’approche de l’élection présidentielle, le respect des droits de l’homme, thématique chère au candidat Biram Dah Abeid, est reprise par ses concurrents dans ce pays encore largement confronté à la traite humaine.
L’esclavage est officiellement interdit depuis 1981 en Mauritanie. Pourtant, 90 000 personnes, soit environ 2% de la population, en seraient toujours victimes, d’après le Global Slavery Index, qui classe ce pays au sixième rang mondial en termes de prévalence de la traite humaine. Alors que les Mauritaniens sont appelés aux urnes, samedi, pour le premier tour de l’élection présidentielle, l’un des six candidats, Biram Dah Abeid, a fait des droits de l’homme l’axe principal de sa campagne. Bien que placé seulement en troisième position des intentions de vote dans les rares sondages disponibles, ce député engagé et auteur d’une thèse sur l’esclavage a contribué à imposer ce thème de campagne.
Manifeste
«Tous les candidats ont parlé de la question des Haratines [ou «Maures noirs», descendants d’esclaves représentant environ 40% des Mauritaniens, ndlr] et de la lutte contre l’esclavage», se réjouit Elid Mohameden M’Barek, avocat et président du «Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines au sein d’une Mauritanie unie, égalitaire et réconciliée avec elle-même». Initié le 29 avril 2013 dans l’objectif de «créer un mouvement national de défense des droits de l’homme pour que cette lutte dépasse le cadre de la communauté des Haratines vers l’égalité pour tous les Mauritaniens», ce collectif rassemble chaque année des milliers de citoyens à l’occasion de sa marche pour dénoncer les discriminations. Preuve que ce combat gagne du terrain : les représentants des partis politiques, soutiens du président Mohamed Ould Abdel Aziz ou membres de l’opposition, étaient présents lors de l’édition 2019, à deux mois du scrutin.
Elid Mohameden M’Barek reconnaît aussi le rôle de Biram Dah Abeid, déjà candidat à l’élection de 2014 (il avait recueilli 8,7% des suffrages, selon les résultats officiels), dans l’émergence de cette prise de conscience collective. «Il a largement contribué à la lutte contre l’esclavage. Le fait qu’il se présente a certainement influencé l’opinion générale», estime l’avocat, qui dit ne pas se fier aux sondages. Né d’un père libre mais descendant d’esclaves, le fondateur de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) a été récompensé en 2013 par le Prix des droits de l’homme des Nations unies. Mais sa détermination lui a valu plusieurs séjours en prison, dont le dernier, d’une durée de cinq mois, s’est achevé le 31 décembre.
«Discrimination positive»
Il est le seul prétendant à la succession de Mohamed Ould Abdel Aziz à prendre de réels engagements pour respecter le «Manifeste des droits humains», rédigé par Amnesty International en partenariat avec une trentaine d’ONG à l’occasion de l’élection, signé toutefois par deux autres candidats : l’opposant Mohamed Mouloud et le journaliste Baba Hamidou Kane, respectivement placés en quatrième et cinquième positions dans les sondages. Parmi les douze recommandations formulées, la fin de l’esclavage et du trafic humain, mais aussi l’arrêt des pratiques discriminatoires liées au genre ou encore la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels. «Il faut que le futur président rompe avec des décennies de violations flagrantes des droits humains en menant des réformes et en changeant les pratiques de sorte que les droits humains soient pleinement respectés», a déclaré Kiné Fatim Diop, chargée de campagne pour l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International, dans un communiqué.
S’ils n’ont pas donné de gages aux défenseurs des droits de l’homme, les deux candidats faisant la course en tête ne les ont pas ignorés pour autant. Le grand favori du scrutin, Mohamed Ould Ghazouani, proche du président sortant et soutenu par la figure historique de la lutte contre l’esclavage Messaoud Ould Boulkheir, a promis de lutter contre les injustices sociales et d’accorder une attention particulière au système éducatif. Ce secteur fait précisément partie des priorités ciblées par Elid Mohameden M’Barek, qui regrette «l’absence d’une vraie école républicaine qui pénalise en premier lieu les Haratines». Quelque 85% des analphabètes sont issus de cette communauté. De son côté, l’ancien Premier ministre (de 2005 à 2007) Sidi Mohamed Ould Boubacar, qui suit Mohamed Ould Ghazouani dans les intentions de vote, a affirmé «faire de la lutte contre l’esclavage et ses survivances une priorité nationale, à travers une politique de discrimination positive en faveur des victimes, ainsi que des investissements massifs pour en améliorer les conditions de vie».
La traite humaine s’est donc imposée dans la campagne mais l’un de ses principaux initiateurs, Biram Dah Abeid, doute d’ores et déjà de la transparence du scrutin. «Le refus des autorités mauritaniennes d’accepter les observateurs [internationaux] est un très mauvais signe», a-t-il alerté sur RFI. L’Union européenne n’a pas déployé de mission d’observation mais elle a tout de même envoyé deux experts qui pourront témoigner de la nécessité ou non d’un éventuel second tour, prévu le 6 juillet si aucun candidat ne recueille la majorité absolue des suffrages.