Biram Dah ABEID devant le Congrès Américain
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs les membres de la commission,
Honorables invités.
Je suis honoré d’être l’invité de votre prestigieuse commission pour intervenir sur le thème :
« Modern Day Slavery and What We Buy » qui me tient particulièrement à cœur.
C’est donc avec un très grand plaisir que je prends la parole pour m’adresser à cette auguste assemblée composée d’illustres personnalités et ardents défenseurs de l’égalité et la dignité humaine.
Cette session arrive à un moment crucial de l’avenir de mon pays, dans un contexte de crise économique et de déni-actif des pratiques esclavagistes et discriminatoires.
Permettez moi donc de vous remercier du fonds du cœur pour cette belle opportunité que vous m’offrez pour vous tenir informé des souffrances quotidiennes des esclaves et des exclus en Mauritanie.
Monsieur le président, honorables membres
La population mauritanienne, composée de Bambara, de Wolofs, de Pulars, de Soninkés, d’Arabo berbère et de Hratines, vit de graves disparités et des pratiques d’un autre âge, entretenues par un système de gouvernance discriminatoire et d’exclusion.
Les Hratines, principales victimes de l’esclavage, constituent prés de 50% de la population du pays. Généralement pauvres, non instruits et habitants les quartiers périphériques des grandes villes et de la zone rurale, les descendants d’esclaves et les esclaves sont corvéables à merci et exclus du système économique structuré.
Selon le Rapport du Rapporteur spécial des nations unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, Mutuma Ruteere « Les Haratines, …constituent le groupe ethnique le plus important en Mauritanie, sont aussi le groupe le plus marginalisé sur le plan politique et économique, dans une société qui demeure profondément stratifiée selon l’ethnie, l’ascendance, la caste et la classe. Le mot Haratine est dérivé d’un mot arabe qui signifie liberté, ce qui témoigne du fait que le reste de la société les considère comme des esclaves affranchis ».
Le même rapport estime « Environ 50 % des Haratines vivent dans des conditions d’esclavage, soumis qu’ils sont à la servitude domestique, au travail forcé ou au travail sous contrainte. Ils demeurent marginalisés et sous-représentés aux postes politiques et dans la fonction publique. En 2013, seulement 5 des 95 sièges à l’Assemblée nationale étaient occupés par des Haratines et un seul sénateur sur 56 appartenait à ce groupe. De plus, seulement 2 des 13 gouverneurs régionaux et 3 des 53 préfets régionaux sont Haratines».
« Les Haratines comptent pour 80 % de la population analphabète, 80 % d’entre eux n’ayant pas achevé l’école primaire, et ne représentent que 5 % des étudiants de l’enseignement supérieur. Plus de 90 % des dockers, des domestiques et des travailleurs occupant des emplois non qualifiés et mal payés sont des Haratines, tandis que seuls 2 % des fonctionnaires de haut rang et des hauts dirigeants des secteurs public et privé sont issus de ce groupe ».
L’intégralité du pouvoir ainsi que tous les compartiments économiques sont contrôlés par la seule communauté arabo berbère.
Monsieur le président, honorables membres
De prime à bord, je tiens à évoquer la duplicité qu’utilisent l’Etat mauritanien et les groupes dominants pour narguer l’opinion internationale et se jouer des partenaires du pays. En effet, des lois modernes de lutte contre l’esclavage et la discrimination sont édictées, une feuille de route omettant délibérément l’existence du fléau a été concoctée, le pays adhère aux principaux instruments internationaux de défenses de la dignité humaine, mais parallèlement, l’Etat continue à protéger et accorder tout les privilèges à la seule communauté arabo berbère. L’Etat promeut les anciennes références, tirées de manuels d’exégèses esclavagistes; ces écrits sont explicitement producteurs d’inégalité fondée sur la race. Ils subdivisent les musulmans en maitres et esclaves, et stipulent que l’esclave est un bien pour son maitre et que ce dernier peut le vendre, le céder, le gager, le donner, etc. Le maitre dispose ainsi de la force de travail de son esclave sans rémunération et du corps des femmes esclaves même sans leur consentement et abstraction faite de leur âge ou de leur nombre. Un maitre peut ainsi user et abuser du nombre de femme esclave, à sa guise.
Cette description – non exhaustive – du Code Noir, toujours en vigueur et enseigné dans bien des écoles de droit et de théologie, se trouve codifié dans les livres que nous avons symboliquement incinéré le 27 avril 2012 à Nouakchott.
En Mauritanie, dans la zone de Lebyar (Zone des puits), située dans la région du Hodh El Chargui, non loin de la frontière Malienne, un maître esclavagiste peut encore aujourd’hui castrer son esclave si la beauté de ce dernier est susceptible de susciter la convoitise de femmes nobles.
IRA- Mauritanie et l’association SOS-Esclaves, une des principales associations de lutte contre l’esclavage, officiellement reconnue, ne cessent d’attirer l’attention des autorités centrales et locales sur les graves sévices subis par les esclaves, mais les réponses apportées sont encore loin de nos attentes.
Monsieur le président, honorables membres
Pour rappel, en 2013, le pays a mis en place une agence gouvernementale de solidarité dénommé TADAMOUN. Cette agence qui était sensée soutenir les victimes de l’esclavage a été vidée de toute sa substance. Elle constitue aujourd’hui, un outil de propagande politique, totalement dirigé et contrôlé par des personnes proches des maitres et tenants du système esclavagiste. Les actions menées par cette agence, ne profitent pas aux véritables victimes. En effet, toutes les victimes d’esclavage identifiées dans les régions des Hodhs, du Trarza, de l’Assaba, du Brakna, de l’Adrar et à Nouakchott n’ont jamais bénéficié d’une quelconque aide de cette agence. Dans ces régions, les femmes ayant fui l’esclavage et installées dans les grandes agglomérations urbaines, ne bénéficient d’aucun programme d’aide du gouvernement. Elles sont très pauvres, non instruites souvent divorcées ou jamais mariées mais possèdent des enfants, issus des viols répétés des anciens maitres. Elles doivent faire face aux nombreuses charges de leurs familles. Cela les expose à une vie de débauche et à de graves atteintes aux mœurs.
Les programmes initiés par cette agence sont très souvent confiés à des personnalités et hommes d’affaires arabo berbères, proches du pouvoir, qui continuent à s’enrichir au grand dam, de la masse Hratine, pauvre et asservie, principale cible de ces programmes. Les véritables acteurs de défense des droits des esclaves ne sont impliqués ni dans la conception, ni dans la gestion encore moins dans la mise en œuvre des actions de cette agence.
En outre, l’Etat a accordé à cette agence la possibilité de se constituer partie civile dans les affaires
d’esclavage. Cela est à l’encontre des principes de protection des victimes et ne saurait être crédible. En effet, l’Etat représenté par le parquet, voit ainsi son contrôle se poursuivre avec la désignation de l’agence comme partie civile dans les affaires d’esclavage. Pourtant, cette constitution de partie civile a souvent été demandée par la société civile intervenant sur les questions d’esclavage, mais en vain.
Monsieur le président, honorables membres
En décembre 2013, mon pays a annoncé la création d’une cour spéciale pour les crimes d’esclavage, mais à ce jour aucune mesure n’est prise pour connaitre sa composition, son adéquation avec la loi, la définition claire des ses prérogatives et les garanties de son indépendance.
Monsieur le président, honorables membres
Depuis la promulgation de la loi incriminant les pratiques d’esclavage en 2007, aucun cas porté devant les juridictions n’a connu un traitement adéquat. Le cas des frères Said et Yargue en 2011, pour lequel une condamnation a été prononcée est aujourd’hui pendant devant la Chambre pénale de la cour d’appel de Nouakchott, du fait de la libération du seul condamné, après seulement 3 mois de détention et l’annulation du jugement.
En Mauritanie, les domestiques constituent une frange surexploitée et ne bénéficient d’aucune protection. En 2011, le pays a promulgué un arrêté qui réglemente le travail domestique. Cet arrêté n’a bénéficié d’aucune mesure d’application et il est resté lettre morte.
Des cas de trafic d’être humains vers les pays du golf ont plusieurs fois été signalés, sans que l’Etat ne prenne des mesures de protection appropriées. Les victimes de ce trafic sont en général exploitées comme domestiques ou objet sexuel.
En 2013 un érudit mauritanien, invité dans une émission de la télé Rissala en Arabie saoudite a tenté de nier l’existence du phénomène d’esclavage dans le pays. Le présentateur de l’émission lui signifia alors, qu’il était en contact avec des amis ayant reçu, en cadeau des esclaves venant de la Mauritanie et travaillant comme domestiques.
Notre organisation est également très préoccupée du sort de la fillette Zahra, détenue depuis plus de 17 ans aux Emirats Arabes Unis par une famille d’origine mauritanienne. Malgré les plaintes de sa mère et sa sœur, Zahra reste inaccessible et servirait de domestique et d’objet sexuel à ses maitres. Ce cas a été suffisamment documenté par notre organisation.
Monsieur le président, honorables membres
L’Etat mauritanien a érigé un système de sous traitance favorisant exclusivement les arabo berbères, dans les tous secteurs économiques du pays, mine, pêche, industrie, services, etc. Ce système n’attribue les agréments requis pour l’exercice d’activités dans ces secteurs, qu’aux seuls arabo berbères. Ils trouvent ainsi l’opportunité d’amasser des montants faramineux, contribuant à entretenir la domination et l’exploitation des esclaves. Les descendants d’esclaves et les afro-mauritaniens sont exploités dans ces secteurs économiques, contre de misérables salaires.
Monsieur le président, honorables membres
Les militants antiesclavagistes de notre organisation sont régulièrement arrêtés, torturés et jetés en prison. Aujourd’hui, Messieurs Hanana Ould MBoïrick et Boubacar Ould Yatma, purgeant une peine d’un an d’emprisonnement ferme et Cheikh Ould Vall, condamné à 6 mois, croupissent des les geôles mauritaniennes. Ces militants sont condamnés parce qu’ils s’étaient mobilisés pour défendre des femmes victimes d’une expropriation de terres dans le quartier de Dar Naim à Nouakchott.
Je demande solennellement, du haut de cette tribune, leur relaxe sans délai et sans condition. Je demande également que toute la lumière soit faite sur l’expropriation des terres des Hratines et des noirs mauritaniens. La justice doit identifier les responsables et les sanctionner en conséquence.
Outre la pratique d’esclavage par ascendance, l’Etat mauritanien entretient un système d’exclusion et de discrimination des composantes noires afro-mauritaniennes.
Malgré les nombreuses plaintes et dénonciations des exactions contre les noirs, des années 1989 – 91, aucune poursuite judicaire n’a été engagée contre les présumés responsables. La loi N° 92 (1993) a accordé l’amnistie aux membres des forces armées et de sécurité qui avaient commis des violations au cours de cette période. Les familles des victimes de ces événements sont aujourd’hui dans une situation socio économique désastreuse.
Devant l’engouement de la jeunesse pour la cause que nous défendons et face aux nombreuses tentatives de diabolisation de notre action, nous avons mis sur pied un comité de paix en 2011. Les militants en prison sont tous membres de ce comité.
Notre engagement pour une alternance pacifique au pouvoir et pour la prise en compte des aspirations légitimes de la communauté Hratine et des autres exclus, a favorisé notre candidature à l’élection présidentielle de juin 2014. Cette riche expérience a été une belle opportunité, pour informer et sensibiliser, l’opinion nationale et internationale sur les disparités et la souffrance des couches défavorisées de mon pays.
Les moyens, économiques et médiatiques mobilisés par les tenants du pouvoir et les innombrables privations et intimidations dont nous avons fait l’objet ne nous ont pas empêchés de porter notre message dans les profondeurs du pays.
L’opacité du système électoral et les nombreuses irrégularités observées ont motivé notre refus du résultat et le dépôt d’un recours au conseil constitutionnel. Ce recours, hélas n’a pas été examiné.
Monsieur le président, honorables membres
Les responsables de crimes d’esclavages, jouissent de la protection de l’Etat mauritanien et d’une totale impunité. Plus d’une trentaine de dossiers d’esclavage concernant en majorité des femmes et des enfants, sont aujourd’hui, pendants devant la justice du pays, sans qu’aucune condamnation ne soit prononcée. Profitant de la peur et de l’ignorance des esclaves, la justice mauritanienne, trouve toujours des subterfuges, conduisant au versement de modiques sommes d’argent, aux victimes, en guise de réparation.
Monsieur le président, honorables membres
Les victimes de l’esclavage et de l’injustice dans mon pays ont besoin de vous, pour contraindre le gouvernement mauritanien à renoncer à la ligne politique, économique et diplomatique du déni et de l’appauvrissement des couches vulnérables, en reconnaissant l’existence de pratiques massives et multiformes de l’esclavage contre les Hratins.
Ils ont besoins de vous pour convaincre la Mauritanie à rompre avec la duplicité et à mettre en pratique ses lois nationales et les engagements internationaux qu’elle a souverainement adoptés.
Ils ont besoin de vous pour que les financements de l’agence de solidarité TADAMOUN, qui constituent aujourd’hui une source de richesse pour un groupe d’affairistes arabo berbères, profitent aux véritables victimes de l’esclavage et de l’exclusion.
Nous avons besoin de vous pour aider à abroger l’enseignement et la publicité de l’esclavage et autres formes d’inégalités contenus dans les livres et codes multiséculaires que seul notre pays entoure encore d’immunité et d’inviolabilité.
Pour finir, je tiens à rendre hommage à toutes les militantes et tous les militants de l’IRA et de SOS-Esclaves, à mes amis et à ma famille pour leurs sacrifices et leur fidélité, à la cause que nous portons.
Vive la Mauritanie réconciliée.
Je vous remercie pour votre aimable attention.