Entre esclavagisme et censure politique, la Mauritanie va devoir se réveiller en 2019 (lemonde-arabe)

D’après Human Rights Watch, Nouakchott a invoqué l’an dernier une multitude de lois sévères contre les anti-esclavage et dissidents.

Esclavage et Mauritanie font malheureusement de plus en plus office de pléonasme. La politique menée par l’Etat dans ce dossier laisse en effet la communauté internationale dubitative face à une équation qui s’avère toujours plus insoluble. Et pourtant, outre son abolition en 1981, Nouakchott a également érigé l’esclavage au rang de crime contre l’humanité en vertu d’une loi votée en août 2015. Un texte sensé sanctionner « les contrevenants » à des peines pouvant aller jusqu’à 20 ans d’emprisonnement, contre 5 à 10 ans auparavant.

Néanmoins, dans les faits, les résultats demeurent aux abonnés absents, puisque 43 000 personnes subissaient encore les conséquences de l’esclavage en 2016. Soit environ 1 % de la population totale, souligne un rapport d’Amnesty International. Un chiffre qui continuera à prospérer, donc, faute d’une réelle volonté de Nouakchott d’inverser la tendance.

« Les lois n’ont pas été mises en oeuvre ni appliquées de manière adéquate. [En conséquence], ces textes n’ont [vraiment] eu aucune incidence sur la vie des gens », pestait ainsi en mars dernier Alioune Tine, le directeur de l’organisation pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Quant à François Patuel, chercheur pour l’Afrique de l’Ouest, ce dernier tirait à boulets rouges sur le déni opéré par les autorités « qui ont choisi de s’en prendre à ceux qui s’opposent au discours officiel ».

Une politique toujours plus répressive

Derrière le mot « autorités » siège en bonne place le président Mohamed Ould Abdelaziz, réélu en 2014, dont « la politique judiciaire » fait la part belle à un arsenal de mesures répressives dissuasives. Et cela à l’attention des militants dénonçant l’esclavage, mais aussi les discriminations.

Concrètement, plus de 168 défenseurs des droits humains ont été arrêtés arbitrairement, et 17 d’entre eux, au moins, ont été torturés ou soumis à d’autres mauvais traitements ces cinq dernières années… Sachant que le cru 2018 n’a pas encore rendu son verdict en la matière. Mais le rapport mondial de Human Rights Watch de 2019 pointe déjà que les autorités mauritaniennes ont invoqué l’an dernier une multitude de lois sévères pour poursuivre et emprisonner des défenseurs des droits humains et autres dissidents politiques.

Symbole de cette résistance, 13 membres de l’IRA, une ONG luttant pour la résurgence du mouvement abolitionniste, ont été condamnés par une cour criminelle de la capitale à des peines allant de 3 à 15 ans de prison en août 2016.

L’IRA tente de peser sous une autre bannière

Non reconnue par l’exécutif, l’IRA doit malheureusement contourner la censure étatique pour pouvoir exister sur l’échiquier politique mauritanien. Le groupe a en effet trouvé en mai dernier un accord avec le parti Sawab. Une alliance qui lui permet désormais d’aligner des candidats lors des différentes échéances électorales.

Il s’agit ainsi d’une véritable victoire pour l’ONG, présidée par Biram Dah Abeid, connu à l’international après avoir obtenu en 2013 le Prix onusien des droits de l’Homme. Mais aussi pour avoir fini en deuxième position lors de l’élection présidentielle en 2014, derrière… Mohamed Ould Abdelaziz.

Lire aussi : Mauritanie : une ancienne esclave se lance en politique

Pour autant, il y a un hic et pas moindres, puisque Biram Dah Abeid reste une cible de choix pour le gouvernement. Et pour cause, l’icône locale vient de purger cinq mois de détention après avoir été inculpé lundi 13 août pour « atteinte à l’intégrité d’autrui et menace d’usage de la violence ». Une sombre affaire découlant d’une plainte d’un journaliste mauritanien se disant menacé… après avoir réalisé un documentaire à charge consacré au rapprochement entre l’IRA et Sawab.

1 % des suffrages exprimés

Par ailleurs, il est important de noter que l’IRA doit parallèlement faire face au durcissement de la loi régissant les partis politiques, en date du mois de mai également. Difficile d’y voir une simple coïncidence.

Ainsi, selon les termes du texte énoncés par le ministre de l’Intérieur, une formation qui participera deux fois de suite à une élection municipale sans atteindre 1 % des suffrages exprimés subira une dissolution. Mais ce n’est pas tout. En cas de non-participation deux fois consécutives à un scrutin local, ce dernier bénéficiera du même traitement de faveur. L’IRA passera donc un véritable test lors de chaque appel aux urnes.

Washington durcit le ton

Logiquement, le travail de sape réalisé par Nouakchott contre les militants anti-esclavage, et le peu de mesures prises pour enrayer ce fléau, ne sont pas passés inaperçus du côté de la Maison-Blanche. Les Etats-Unis ont en effet sévi récemment et retiré à la Mauritanie son statut de partenaire commercial privilégié en Afrique. Et cela à compter du 1er janvier 2019.

Concrètement, le communiqué publié par les autorités américaines précise que « la Mauritanie n’a pas fait assez de progrès dans la lutte contre le travail forcé, en particulier la lutte contre l’esclavage héréditaire. Pire, ce dernier continue de restreindre la capacité de la société civile à s’exprimer sur les questions d’esclavage ». Suffisant pour ramener les autorités mauritaniennes à la raison ?

*Le Rapport mondial de Human Rights Watch de 2019 souligne que les autorités mauritaniennes ont invoqué en 2018 une multitude de lois sévères contre le terrorisme, la cybercriminalité, l’apostasie et la diffamation pénale pour poursuivre et emprisonner des défenseurs des droits humains, des militants, des blogueurs et des dissidents politiques

source : https://lemonde-arabe.fr/24/05/2019/mauritanie-presidentielle-biram-dah-abeid/

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