Communication du député mauritanien, Biram Dah Abeid, devant le Comité des Droits de l’Homme, de l’Union internationale des parlementaires (Uip)
Communication du député mauritanien, Biram Dah Abeid, devant le Comité des Droits de l’Homme, de l’Union internationale des parlementaires (Uip), Session du 19 au 23 janvier à Genève, Suisse.
Honorables, Mesdames et Messieurs, membres du Comité, tout d’abord, je vous préviens, honorable, que l’état de ma santé, ne permet pas de prester debout. Ensuite, honorables, je m’adresse à vous en qualité de représentant du peuple de Mauritanie. J’ai été élu, à l’Assemblée nationale, dans le courant de l’année 2018, alors que je purgeais une peine de 6 mois de privation de liberté, au motif d’un délit d’opinion.
Grâce à la détermination des franges les plus humbles parmi mes compatriotes, envers et contre les groupes dominants, le racisme et la mentalité prégnante de l’esclavage, j’ai reçu les suffrages de l’espérance, qui sont l’arme de destruction massive, aux mains des activistes de la non-violence.
Mon parcours vous est familier, parce qu’il ne comporte rien d’original en comparaison de milliers d’autres contestataires d’Afrique et du monde arabe, sans cesse privés de la parole, de cadre légal, bref, des droits élémentaires de l’individu. Mes compagnons et moi, dirigions l’association Initiative de résurgence abolitionniste en Mauritanie (Ira-M) et un parti, le parti Radical pour une action globale (Rag) ; les deux organisations, jusqu’à ce jour non reconnues et toujours persécutées, regroupent une majorité de cadets sociaux, dont des esclaves et descendants appelés Hratin, des autochtone subsahariens et des castes stigmatisées, tels les artisans, les tributaires, les griots ; cependant, nous comptons dans nos rangs, d’intrépides cadres du bloc hégémonique arabo-berbère, qui travaillent à déconstruire la domination et asseoir l’égalité ; en somme, nous représentons la majorité des exclus ; leur réveil entrainera l’éradication des privilèges de naissance et l’avènement d’une société du mérite où la supériorité raciale et le chantage à la religion auront disparu, à jamais. De nos jours, la torture y relève de la banalité, de même que le mépris envers les noirs. Mon pays en a déporté, spolié, humilié, par milliers et massacré des centaines, impunément. Une loi de 1993, protège les tortionnaires de la moindre poursuite. Une version ultra conservatrice et liberticide de l’Islam, y sert de paravent, de bouclier et d’alibi, à cette monumentale entreprise de prédation et d’exclusion ; l’essentiel des richesses du pays revient à une ultra-minorité, issue de l’ethnie arabo-berbère, celles de nos anciens maitres. Je vous parle, ici, de la République islamique de Mauritanie, un Etat, ébauche d’une modernité de façade mais encore sous l’emprise d’un obscurantisme séculaire. Depuis 1978, date du premier putsch militaire, nous combattons, d’une génération à la suivante, et souvent seuls, à mains nues, des oligarchies de prétoriens qui se transmettent le pouvoir par les coups d’Etat, devenus, de facto, le sport national de nos élites. L’essentiel du commandement militaire, de la fonction publique, de l’économie et du magistère religieux demeure le terrain de jeu de la répartition tournante entre tribus. Pire, de jour en jour, l’extrémisme gagne du terrain et façonne la société, grâce à la connivence de nos dirigeants, lesquels, pourtant, s’affichent alliés du Monde libre. D’ailleurs, nombre des vieilles démocraties, notamment en Europe, se laissent ainsi tromper, souvent sur leur sol, préférant – lâcheté ou paresse – accorder foi à une seule face du double visage de Janus. Certaines de nos lois n’ont rien à envier à celles du projet jihadiste mondial, tel, par exemple, le nouvel article 306 du code pénal qui punit de mort immédiate et sans faculté de repentir, le blasphème et l’apostasie, comme à l’époque sinistre du Saint office et de l’Inquisition. Nous sommes l’un des rares pays dont le droit prétend protéger Dieu. La Mauritanie est devenue, après la Somalie et devant le nord Nigeria, l’espace le plus mûr à l’émergence d’un Daesh en Afrique. La progression du fanatisme résulte, en l’occurrence, d’une dynamique non armée ; celle-ci procède d’idées et de préceptes sans concurrence ni contestation possible car le droit réprime l’esprit critique et protège l’enseignement de la haine ; au bout de 40 ans de financement du culte par les pétrodollars, la misogynie, l’effacement de la diversité culturelle, l’uniformisation du mode de vie sur le modèle puritain et la guerre aux langues étrangères constituent, désormais, les rouages de la fabrique de jihadistes qui tournent à plein régime. Nous n’avons encore rien vu !
Honorable assistance, malgré l’ampleur des défis et le caractère répétitif des épreuves, des emprisonnements et sévices infligés à mes camarades et moi, en dépit des privations de soins et de salaire, je me suis porté candidat à l’élection présidentielle du 22 juin 2019. Les résultats officiels, à l’image de la plupart des scrutins dans l’hémisphère sud, consacrèrent le paradoxe de l’adage inversé « qui gagne perd ». Il me fut reconnu, à contrecœur et au terme des tripatouillages habituels, le statut de deuxième, en nombre de voix, soit 18,58 % des suffrages exprimés. Pars souci de la paix et de la cohésion sociale, j’ai accepté le verdict frauduleux et tourné la page. Par expérience, j’étais instruit de l’épilogue prévisible.
Mesdames et Messieurs, nobles représentants de la conscience de l’humanité qui refuse l’oubli et s’interdit l’insouciance, petits-enfants de Treblinka et de Stalingrad, rescapés de la colonisation et du communisme, héritiers de l’Apartheid, du génocide rwandais et de la dispersion des palestiniens, aujourd’hui en butte à la barbarie du jihadisme et aux dérèglements du climat, me voici, debout, devant vous. En homme libre, je lutte au nom de ce qui nous unit, pour toujours, c’est-à-dire l’appartenance à l’espèce humaine, selon la formule tragique de Robert Antelme, rescapé des camps de la mort.
Universaliste et partisan du devoir d’ingérence face à l’oppression, je conteste la souveraineté des Etats quand elle couvre le crime. Arrêtons de conclure des trêves avec les dictatures et les marchands de paradis post-mortem. Réapprenons à vivre dans un monde d’affrontement perpétuel entre la volonté et la fatalité. Apprenons, à nos enfants, le maniement des idées de générosité, de partage mais aussi de dureté envers la tyrannie ! Sinon, nous finirions assujettis par d’autres, vous et nous, esclaves du plus fort. Nul n’est à l’abri de perdre sa dignité. Aussi, je nous invite, aujourd’hui, à réinventer, ensemble, un plan, de survie collective, qui conjugue riposte idéologique, sens de la subversion et prosélytisme de la démocratie. Cessons de ménager la Bête immonde, qui a fait des petits, dans notre dos !
Je vous remercie.
Genève le 20 janvier 2020