Mauritanie : quand la justice exclut et comment y remédier

Mauritanie : quand la justice exclut et comment y remédier

Résumé de la lettre ouverte, du 19 décembre 20023, en langue Arabe, du député Biram Dah Abeid, à Son Excellence Monsieur le Président de la République Islamique de Mauritanie, Président du Conseil supérieur de la magistrature

Excellence, Monsieur le Président

Sous votre mandat en cours, le Conseil supérieur de la magistrature (Csm) tiendra sa réunion ordinaire, le mercredi 20 décembre 2023. Le statut et la circonstance vous placent, d’emblée, en dehors du classement objet de nos griefs. En cela, votre rôle d’arbitre est confirmé, d’où l’utilité et l’urgence de la présente exhortation.

Economie des arguments

Disons-le de prime abord, la composition de l’organe chargé d’orienter, d’encadrer et de conduire l’appareil de justice au service de l’équité, ne reflète, hélas, une société aussi plurielle que la nôtre. Ses multiples ethnies, coutumes, langues et cultures et le faisceau de sa diversité ne s’y retrouvent, loin s’en faut. Face au spectacle banalisé du népotisme, l’on ressent, avec amertume, combien la gouvernance globale de la République islamique de Mauritanie, cristallise de jour en jour, les mauvaises pratiques de l’ethnicité, de la compétition des tribus et des corporations religieuses. Slogan et subjectivité mis à part, la liste suivante, démontrera, s’il en est besoin, la densité, l’ancienneté et l’envergure des atteintes flagrantes à une citoyenneté qui protège et rassure.

Le Conseil réorganisera la carte de la répartition rotative des privilèges. En vertu de cet agencement boiteux et inefficace, il attribuera, comme d’usage, les fonctions d’influence et de racket, selon l’appartenance clanique, tribale, de région ou d’obédience maraboutique. Il consacrera le partage des quotas de personnalités de renom généalogique, au profit d’une ethnie laquelle, domine, jusqu’ici, sans partage ni relâche, l’ensemble des leviers de de l’économie, de la culture, du pouvoir d’Etat, de la religion et de la détention privée d’armes de guerre.

Inventaire

Monsieur le Président, les patronymes et visages des membres du Csm que vous vous apprêtez à recevoir, incarnent-ils l’harmonie et la cohésion de la Mauritanie ? Pour ne pas diluer la question dans le flou de la généralité et la complaisance du sous-entendu, voici leur liste :

• Ministre de la justice, Mohamed Mahmoud Ould Beye

• Procureur général près de la cours suprême, Muhammad Al-Amin Muhammad Al-Amin

• Inspecteur général du ministère de la justice Ado Babana

• Président de la Cour suprême, Cheikh Ahmed Ould Ahmadat

• Vice-président de la Cour suprême, Muhammad Al-Ghaith Ammar

• Délégué des juges Abdullah Ahmed Yenja

• Délégué des juges, Mohamed Vall Ould Azgham

• Délégué des juges, Abdullah Ould Ahmed Miska

• Représentant de l’Assemblée nationale, Mohamed Ould Did Ebba

• Rapporteur du Conseil, Mohamed Mahmoud Ould Emmat

Ici, aussi, dans le but d’aller au cœur de l’illustration factuelle et de prévenir le soupçon d’extrémisme ou d’exagération, je me dois de vous rappeler l’effectivité du monopole, à l’œuvre dans les quatre cours d’appel que compte le pays :

A. Cheikh Ould Mohamed Mahmoud, procureur général près la Cour d’appel de Kiffa

B. Al-Mukhtar Ould Cheikh Ahmed, procureur général près la Cour d’appel de Nouadhibou

C. Mohamed Mahmoud Ould Jumeli, procureur général près la Cour d’appel d’Aleg

D. Sidi Mohamed Ould Dy, procureur général près la Cour d’appel de Nouakchott, avec extension de prérogative à Rosso

L’indicible

Si l’on poussait l’arithmétique aux limites ultimes de l’indiscrétion, elle nous apprendrait que des 15 procureurs en exercice, 2 sont descendants d’esclaves hassanophones (Hratine) et 0 des négro-mauritaniens. Nul d’entre ces deux groupes nationaux ne dirige une chambre de Cour d’appel, encore moins l’une des cinq de la Cour suprême. A compétence égale, les édiles d’extraction subsaharienne occupent à peine 1% des postes, sans dépasser les positions subalternes, si l’on excepte le cas du Directeur de la législation au ministère de la Justice, d’ailleurs victime de dénigrement raciste. Ici, le plafond de verre décrit une réalité prégnante.

La discrimination mécanique n’épargne, non plus et sans exception, les tribunaux de commerce, les juridictions pénales – notamment sur l’esclavage – et l’instance en charge des crimes économiques. Pire, les juges d’instruction de Nouakchott, Nouadhibou, Kiffa et Rosso et d’autres grandes villes, appartiennent, uniquement, à l’ethnie arabo-berbère et valident la prééminence d’une seule des langues nationales. Les chefs des tribunaux des neuf département de la capitale viennent consolider la mainmise précitée. L’absurdité du fonctionnement de l’Etat défie l’imagination. Ainsi,

– le procureur de la République du tribunal régional de Kiffa travaille avec son frère, Directeur régional de la police en Assaba.

– le procureur de la République du tribunal régional d’Aleg travaille avec son frère Directeur régional de la police au Brakna.

Il n’est pas trop tard

Monsieur le Président de la République, Président du Conseil supérieur de la magistrature, je ne saurais manquer au devoir d’attirer votre attention sur la partialité des décisions prises par les juridictions de répression de l’esclavage ; cet opprobre, vous avez pourtant caractérisé de crime -imprescriptible – contre l’humanité. Il vous suffit de demander, à votre Garde des sceaux, le nombre des peines infligées et l’état de leur exécution. Ses réponses blesseraient votre humanité.

N’est-il pas temps, Monsieur le Président, de remettre, au centre du magistère moral de la justice, un minimum de raison, d’ouverture et d’aptitude à cultiver et entretenir le sentiment de sécurité, au sein d’une collectivité où chacun se sentirait non point à la marge mais entendu, respecté et en paix ?

Bruxelles, le 22 décembre 2023

Epilogue

Parce qu’il fallait s’y attendre, la réunion du Csm, en date du 20 décembre 2023, s’est achevée par la permutation de la plupart des personnes susnommées, dans le strict respect de l’hégémonie ethno-tribale. Concession symbolique et tardive au bon sens, les deux duos de frères en mission à Kiffa et Aleg n’existent plus. Enfin, Abderrahmane Dia, juge de la promotion de 1988, malgré une réputation de droiture en qualité d’Inspecteur, se retrouve évincé et relégué, « au garage », avec le titre de Conseiller. Un fils de grande tente, d’un grade inférieur, lui ravit la place…

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