Comment le régime mauritanien utilise les traditions esclavagistes politique – Par Louise Dimitrakis
MONDAFRIQUE-Condamnation à mort pour apostasie, refus d’apliquer la loi sur l’esclavage… Le pouvoir mauritanien tolère de plus en plus des dérives liberticides
En Mauritanie, la condamnation à mort pour apostasie d’un jeune homme de 29 ans le 24 décembre dernier enfonce un peu plus le pays dans la répression, révélant les failles de la stratégie politique du président Mohamed Ould Abdelaziz.
Opposant utile
Jusqu’à présent, la mécanique semblait pourtant bien rodée. En faisant des militants du mouvement anti esclavagiste de « l’Intiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie » (IRA) et de son charismatique leader Biram Ould Abeid, l’ennemi public numéro un, le chef de l’Etat était parvenu à modeler l’échiquier politique en sa faveur. Trop radical pour être élu, privé du soutien des chefs religieux et coutumiers et de l’appui d’un appareil politique structuré, Biram Ould Abeid fut, un temps, un opposant utile au pouvoir d’Aziz. « Il avait fini par devenir un faire valoir démocratique pour le régime qu’il dérange mais qui le laissait pourtant s’exprimer » confie un diplomate mauritanien. Pour le pouvoir, Biram le militant aguerri passé maître dans les actions coups de poing avait par ailleurs l’avantage de phagocyter une partie de l’opposition politique sans réellement constituer une menace.
Adoubé par les nations unies qui lui ont décerné le prix des droits de l’homme, il a en effet mis les partis d’opposition négro-mauritanien traditionnels face à leurs faiblesses. C’est le cas notamment du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), parti d’opposition négro-mauritanien historique en perte de vitesse et dirigé par Ahmed Ould Daddah. Les militants abolitionnistes de l’IRA lui reprochent notamment de boycotter systématiquement les élections et de ne pas mettre suffisamment l’accent sur la lutte abolitionniste dont il se réclame.
Rappelons que l’esclavage, encore répandu en Mauritanie, n’y est interdit que depuis 1981 et criminalisé depuis 2007. En janvier 2014, l’Ong australienne « Walk Free » plaçait le pays à la tête de son classement des Etats « esclavagistes » avec 150 000 esclaves pour seulement 3,8 millions d’habitants, soit 4% de la population. La forme la plus commune d’asservissement touche les populations noires largement exclues des principaux postes de pouvoir contrôlés par les élites Maures minoritaires.
Or, en laissant Biram se présenter aux élections présidentielles l’été dernier et effectuer, dans un calme relatif, une tournée dans le pays, Aziz a tenté de montrer l’image d’un président ouvert aux critiques. Aujourd’hui, la condamnation à mort de Mohamed Cheikh Ould Mohamed qui intervient un mois seulement après l’emprisonnement de plusieurs militants abolitionnistes, dont Biram, dans la ville de Rosso au sud du pays met en échec cette stratégie cosmétique qui ne s’est accompagnée d’aucune mesure de fond. Pire, ces actes de répression mettent en lumière la complaisance du président vis-à-vis des imams et des groupuscules fondamentalistes qui font la promotion d’une lecture réactionnaire de l’islam.
Un régime rétrograde
Agé de 29 ans et originaire de Nouadhibou, capitale économique du pays située au nord-ouest, Mohamed Cheikh Ould Mohamed avait été arrêté et placé en détention le 2 janvier 2014 après avoir publié une tribune jugée blasphématoire sur internet. Retiré quelques heures seulement après sa parution, ce texte critiquait certaines décisions du prophète au moment de la conquête de la Mecque. Surtout, l’auteur accusait la société mauritanienne de perpétuer encore aujourd’hui un ordre social inique, hérité de cette époque. Mohamed Ould Khteir dénonçait particulièrement le recours à l’islam pour justifier les discriminations contre certaines franges de la population comme les Haratines (ces descendants d’esclaves noirs que les Maures blancs avaient arabisés pour les assimiler à leur communauté) ou encore les « Moualamines » (forgerons), une caste à laquelle il appartient justement.
Suite à son arrestation, des manifestants, quoique en nombre limité, avaient défilé dans la capitale Nouakchott pour réclamer la peine capitale contre lui. A cette occasion, le président Aziz s’était lancé dans un véritable plaidoyer de l’islam lors d’un discours prononcé devant un parterre d’habitants massés devant les portes du palais présidentiel. « (…) Comme, j’ai eu à le préciser par le passé et le réaffirme aujourd’hui, la Mauritanie n’est pas laïque. L’action que vous entreprenez aujourd’hui est le minimum à faire pour protester contre ce crime contre notre religion sacrée et je vous assure en conséquence que moi, personnellement et le gouvernement nous ne ménageront aucun effort pour protéger et défendre cette religion et ses symboles sacrés. Tout le monde doit comprendre que ce pays est un Etat islamique et que la démocratie ne signifie pas l’atteinte aux valeurs et symboles sacrés de la religion. »
Des propos qui ont suscité l’indignation parmis les représentants de la société civile. « On assiste ni plus ni moins à la montée d’un extrémisme religieux dans le pays et à son utilisation par le pouvoir » avait déclaré dans un entretien à Mondafrique le président de l’organisation « SOS Esclaves », Boubacar Messaoud.
Cette position d’Aziz ne date pas d’hier. Deux ans plus tôt en avril 2012, Biram Ould Abeid avait brûlé publiquement plusieurs ouvrages religieux pour protester contre les interprétations archaïques de l’islam et son instrumentalisation en vue de justifier l’asservissement d’êtres humains. Les autorités avaient alors ordonné son arrestation pour atteinte à la sureté de l’Etat. Aziz avait par ailleurs assuré qu’il appliquerait la charia avec la plus grande sévérité.
Notre ami Aziz
Avec l’arrestation récente des militants abolitionnistes et la condamnation à mort de Mohamed Cheikh Ould Mohamed, le régime mauritanien montre une fois de plus son vrai visage. Celui d’un pouvoir réactionnaire qui s’aligne sur les interprétations rétrogrades de l’islam. Une position qui s’explique en partie par les craintes d’Aziz face à la montée en force dans le pays du parti islamiste Tawassoul dont les idées sont largement répandues dans les rangs de l’armée que dirige son rival le chef d’Etat major Mohamed Ould Ghazwani. Le chef de l’Etat redouterait-il une verision mauritanienne du scénario qui a conduit à la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso ?
Quoi qu’il en soit, le parti Tawassoul, branche des Frères musulmans en Mauritanie, constitue désormais une force politique incontournable dans le pays. Arrivé en deuxième position lors des élections législatives et municipales de fin 2013, il s’est hissé à la tête de l’opposition nationale. Face à ce concurrent, le président a tout intérêt à caresser l’électorat islamiste dans le sens du poil. Quitte à faire preuve de duplicité vis-à-vis de ses partenaires occidentaux, dont la France, qui le présentent régulièrement comme un allié privilégié dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.