En Mauritanie, des victimes anti-esclavagistes en appellent à Emmanuel Macron (LaCroix)
Même si la Mauritanie a aboli l’esclavage, le pouvoir en place continue à le pérenniser et à réprimer des abolitionnistes. Les victimes attendent du président français, invité d’honneur pour le sommet de l’Union africaine en Mauritanie le 2 juillet, de dénoncer et de criminaliser cette pratique.
Définitivement aboli depuis 1981, l’esclavage est pourtant toujours omniprésent en Mauritanie. / Sidelnyov Valery/Rodjulian/Stock.adobe
Vingt pour cent de la population vivent sous le joug de l’esclavage en Mauritanie. Définitivement aboli depuis 1981, « cet asservissement se poursuit, sous toutes ses formes : racisme anti-noir, extrémisme religieux. Il existe encore en Mauritanie des tribus dites inférieures et exploitées à la naissance », dénonce Babou Abdou, chargé de communication de l’« Initiative pour la Résurgence du mouvement abolitionniste Mauritanie » (IRA-Mauritanie), principal mouvement anti-esclavage du pays. Cette discrimination, basée sur la charia islamique, justifie le clivage structurel entre les populations autochtones noires d’un côté et arabo-berbère de l’autre.
Alors qu’Emmanuel Macron avait déclaré en novembre 2017 que l’esclavage est « un crime contre l’humanité », sa visite à Nouakchott pour le sommet de l’Union Africaine, ce lundi 2 juillet, suscite l’espoir des milliers de victimes d’esclavages. Elles attendent que le président français dénonce l’arsenal répressif des autorités mauritaniennes contre les défenseurs des droits humains.
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L’IRA-Mauritanie a adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron en ce sens. Elle en appelle notamment à son soutien pour la libération des militants emprisonnés à Bir Moghren, prison située dans le désert, à 1 200 km de la capitale Nouakchott.
Arsenal répressif contre les militants abolitionnistes
Victime de persécutions pour son engagement en faveur des déshérités, Mekfoula Brahim, présidente de l’association « Pour une Mauritanie verte et démocratique », fait partie des abolitionnistes qui souhaitent que le président français prenne position.
« En raison de mon soutien actif aux côtés de l’IRA-Mauritanie, je suis la cible d’une véritable campagne d’intimidation via les réseaux sociaux, instrumentalisés par le pouvoir mauritanien. Je reçois de nombreuses menaces de mort. Aucune de mes plaintes n’a été prise en compte », dénonce-t-elle.
Soutenue par Amnesty International, Mekfoula Brahim n’a pas obtenu de visa de sortie de son pays pour se rendre à Paris, du 25 au 29 juin, où elle devait témoigner de l’arsenal répressif utilisé contre les militants anti-esclavage et les défenseurs des droits de l’homme en Mauritanie.
« Il est rare de trouver un militant abolitionniste en Mauritanie qui n’a jamais enduré la répression ou la prison. À chaque fois que nous organisons une manifestation pacifique, la police nous réprime violemment. Elle occupe les hôpitaux les plus proches pour empêcher les soins aux blessés et en profite pour arrêter les militants qui accompagnent les blessés dans ces mêmes hôpitaux », tonne Babou Abdou, de l’IRA-Mauritanie.
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« Mon frère et moi avions vécu l’esclavage. Nous n’avons pas connu nos parents. Nous étions très jeunes quand ils nous ont laissés avec nos maîtres, à l’est du pays », témoigne pour sa part Saïd Ould Matalla, une ancienne victime de 18 ans. En 2012, Son frère Yargue et lui-même se sont échappés de leur prison, forts du soutien de l’IRA-Mauritanie.
« Là-bas, je m’occupais spécialement du bétail que je devais conduire très tôt vers le pâturage. Quant à mon petit frère, Yargue, il s’occupait des travaux domestiques. On travaillait très dur, sans repos ni salaire ou assurance maladie », poursuit Saïd. Son petit frère, Yargue, 14 ans aujourd’hui, dénonce encore sous le choc la maltraitance quotidienne de ses « suzerains » : « Nous étions régulièrement battus. Les maîtres nous insultaient en disant que nous étions leurs esclaves, leurs objets. »
« Leur dossier d’affranchissement attend d’être validé au tribunal de Nouakchott où leur ancien” maitre” n’a fait que cinq mois de prison avant d’être relâché », précise Babou Abdou. « Depuis lors, ils sont pris en charge et scolarisés par le mouvement anti-esclave en attendant leur affranchissement. »
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Devant l’interdiction de manifester du parti conservateur au pouvoir, les mouvements mauritaniens anti-esclaves opèrent dans la clandestinité. Il arrive que la police mette à sac tout un quartier pour arrêter un militant ou d’adhérer au mouvement abolitionniste pour être radié de la fonction publique : « Ce fut le cas de la vice-présidente de la caisse nationale de sécurité sociale, Coumba Dada Kane : après y avoir travaillé pendant trente-sept ans, elle a été licenciée lorsqu’elle a adhéré à l’IRA-Mauritanie », déclare Babou Abdou. « Les autorités exercent une grande pression sur les proches des militants en vue de les amener à abandonner la lutte. »
Jean-Paul Musangania , le 02/07/2018