Militants anti-esclavagistes condamnés en Mauritanie : « Le peuple nous soutient, … » (Jeune Afrique)

Jugés en appel, trois activistes de la lutte contre l’esclavage, dont Biram Ould Dah Ould Abeid ont été condamnés jeudi 20 août à deux ans de prison par le tribunal d’Aleg. Bala Touré, porte-parole de leur organisation, l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) revient sur l’affaire des trois accusés et sur le travail de leur organisation.

Jeune Afrique : Le jugement en première instance des trois accusés a été confirmé en appel. Quelle est votre réaction suite à ce verdict ?

Bala Touré : Nous ne sommes pas surpris de cette décision. Lors de l’audience, tout s’est passé très vite et le procureur a requis deux ans de prison et 100 000 ouguiya d’amende (276 euros). Au moment où l’État prétend renforcer l’arsenal juridique pour lutter contre l’esclavage, il s’acharne contre les militants abolitionnistes. Cela signifie que les autorités ne sont pas de bonne foi et qu’elles ne sont pas décidées à lutter réellement contre l’esclavage.

Cela affecte-t-il votre travail de sensibilisation ? 

Notre travail s’effectue dans des conditions difficiles depuis la création de notre association en 2008. Depuis le début, les autorités refusent de nous reconnaître alors que de nombreuses autres ONG qui travaillent sur les mêmes thématiques sont reconnues. Nous n’avons pas de subventions nationales ou de missions diplomatiques. Cela fragilise beaucoup notre travail.

Pourquoi, contrairement à d’autres associations, votre organisation n’est-elle pas reconnue ? 

Je crois que les autorités ne veulent pas nous reconnaître parce que nous avons choisi une démarche pacifique de confrontation directe. Nous incriminons le rite malékite qui est interprété faussement en Mauritanie et nous sommes les seuls à avoir organisé l’incinération de livres de ce courant. Nous sommes en rupture avec le passé. Les premières organisations de lutte contre l’esclavage datent des années 1970, mais leur démarche était élitiste, la nôtre est de prendre le peuple à témoin. Nous avons le soutien populaire et c’est pour cette raison que nous faisons peur. Nous savions que notre stratégie allait impliquer une réponse violente, mais nous assumons.

La Mauritanie vient de voter une loi qui fait de l’esclavage un « crime contre l’humanité », mais entre le discours et la réalité existe une certaine incohérence. Est-ce toujours tabou de parler d’esclavage dans le pays ?

Bien sûr, le sujet reste tabou. La Mauritanie met en place une cour spéciale pour juger les crimes esclavagistes. Et d’un autre côté, les hauts dignitaires du pays, notamment les imams disent que l’esclavage n’existe pas dans le pays et pour critiquer nos actions, il est dit de notre organisation qu’elle est financée par les États-Unis qui souhaitent créer le désordre.

Si la justice n’est pas de votre côté, quels moyens vous restent-ils pour lutter contre la pratique de l’esclavage et faire en sorte de réhabiliter les victimes ?

L’empreinte de l’esclavagisme est vieille de plusieurs siècles chez les Maures de même que dans l’esprit des Haratins qu’ils ont laissé sans éducation. Parfois, on a du mal à se faire entendre par les victimes. Nous allons continuer notre travail et celui-ci doit s’effectuer dans deux sens. À l’adresse des victimes mais aussi des esclavagistes avec en parallèle un travail au sommet de l’État pour faire fonctionner ses capacités régaliennes.

Je pense qu’il faut frapper fort avec de lourdes peines de prison. Je compte sur l’application de la loi, mais l’État doit également accompagner les victimes. Il y aussi beaucoup de jeunes esclaves et il y a une urgence pour les insérer. Nous avons fait ce travail avec des jeunes de 9 à 11 ans qui vont désormais à l’école et avancent à grand pas, car ils ont une grande soif d’apprendre.

Salsabil Chellali

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