L’esclavage concernerait encore entre 150 000 et 300 000 personnes en Mauritanie (M.Billout, sénateur de Seine et Marne, France)
Lettre de Mr Michel Billout, sénateur de Seine et Marne, France , Membre de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :
Madame Michèle André
Sénatrice du Puy-de-Dôme
Présidente de la commission des Finances du Sénat
Présidente déléguée du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest pour la Mauritanie
Monsieur Jean-Marc Ayrault
Ministre des Affaires Etrangères et du Développement International
Hôtel du Ministre des Affaires étrangères
37 quai d’Orsay
75007 Paris
La Constitution de la République Islamique de Mauritanie, révisée en 2012, dispose à la fois une égalité totale entre l’ensemble des citoyens mauritaniens (article 1er) et une interdiction de l’esclavage (article 13).
Pourtant, si l’état du Droit semble ne souffrir d’aucune variante d’interprétation, la situation actuelle en Mauritanie pose question. En effet, comme l’ont souligné plusieurs Organisations Non Gouvernementales (Walk Free, Initiative de la Résurgence du mouvement Abolitionniste, El Hor, SOS Esclaves,…) et la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les formes contemporaines de l’esclavage, Urmila Bhoola, l’esclavage concernerait encore entre 150 000 et 300 000 personnes en Mauritanie, pour une traite locale ou destinée à « l’exportation », notamment dans le Golfe. Et si la Constitution et plusieurs lois interdisent et sanctionnent l’esclavage, aucun « maître » n’a encore été condamné par la Justice mauritanienne, au contraire des militants abolitionnistes.
Malheureusement, et comme souvent dans ces situations, les mauritaniennes haratines et bidhanes sont les premières victimes de cette pratique. Sévices sexuels, séquestration, attaques physiques et psychologiques, les femmes esclaves vivent une horreur sans nom.
A cette pratique dont est victime la majorité haratine et bidhane, s’ajoute un régime d’apartheid et de répression organisé par la minorité arabo-berbère et le Président Mohamed Ould Abdel Aziz.
Cette pratique institutionnalisée de l’esclavage et de la ségrégation raciale trouve son fondement dans une interprétation libre du Coran basée sur le Ghalil, code du XIème siècle non reconnu par la plupart des états islamiques. Ainsi, l’esclavage devient « commandement de Dieu » et les militants abolitionnistes des « apostats ». C’est sous ce motif passible de peine de mort que Biram Dah Abeid, président de l’IRA et récipiendaire entre autres du Prix des Droits de l’Homme de l’ONU et du Front Line award for Human Rights Defenders at Risk en 2013, du Prix 2016 Trafficking in persons Heroes du Département d’Etat américain, a été à plusieurs reprises arrêté, poursuivi et emprisonné avec plusieurs militants de son organisation.
L’Union Européenne, première partenaire économique de la Mauritanie, ainsi que les Etats occidentaux, s’ils reconnaissent la légitimité du combat des mouvements abolitionnistes, semblent aujourd’hui se montrer discrets face au régime du Président Mohamed Ould Abdel Aziz. Ainsi, si certains pays européens dont la France et l’Allemagne ont accepté de rencontrer Monsieur Dah Abeid et d’offrir l’asile politique aux militants de l’IRA poursuivis, les relations diplomatiques avec le régime mauritanien ne se limitent qu’à la coopération économique et dans la lutte contre le terrorisme islamique.
Or, la proposition d’asile politique, si elle répond à une réelle urgence, pose à la fois la question de l’appauvrissement de la Mauritanie de ses forces vives et de son effectivité, le régime mauritanien pratiquant une retenue des papiers d’identification et d’état-civil nécessaires à l’établissement d’une demande d’asile politique.
La France, parangon des Droits de l’Homme, de leurs valeurs et de leur promotion, ne saurait rester silencieuse dans une affaire aussi grave. La place historique de la France en Afrique en général et en Mauritanie en particulier doit permettre à la diplomatie française de soutenir une réforme en profondeur de la Mauritanie, et le cas échéant, une transition politique démocratique, fondée sur l’égalité et le respect de toutes les femmes et tous les hommes sans discrimination. La situation mauritanienne actuelle rappelle l’histoire douloureuse de ce pays, marqué par soixante ans de colonisation, plusieurs décennies d’instabilité politique et sociale et une tentative de génocide de la majorité noire haratine, descendante des esclaves, entre 1986 et 1992.
Nous vous le demandons donc, Monsieur le Ministre, quelles mesures la diplomatie française compte-t-elle prendre ? La France aura-t-elle une prise de position forte et publique pour soutenir le mouvement abolitionniste en Mauritanie ?
Nous vous le demandons donc, Madame la Présidente, si ce sujet a déjà été abordé dans le cadre de l’activité du groupe d’amitié parlementaire du Sénat France-Afrique de l’Ouest, dont vous êtes la présidente déléguée pour la Mauritanie ?
Nous vous vous remercions de l’intérêt que vous porterez à notre demande d’intervention et vous prions de croire en notre plus haute considération.