Qu’est-ce que la Mauritanie ?
La situation en 2014
La généralisation et la banalisation de la corruption, de l’opportunisme, du despotisme et du commerce des avantages indus ont concouru à la disparition de l’idée même d’intérêt commun, de respect de la chose publique, de patriotisme et de la confiance dans l’Etat. Cette entreprise de destruction a été sciemment et méthodiquement mise en place par l’ensemble des gouvernements qui ont successivement sévi en Mauritanie. Ceux qui ont le plus pâti de cette situation sont les plus faibles parmi nous, les plus marginalisés, ceux dont la survie quotidienne est la préoccupation première.
Le pays des coups d’Etat
La Mauritanie est entre les mains d’un Général de l’Armée qui a fomenté deux coups d’Etat
militaires dont le plus récent contre le premier président élu de l’histoire du pays. Depuis cinq ans, le Général Mohamed Ould Abdel Aziz administre le pays comme s’il s’agissait d’une petite entreprise familiale très lucrative dont il est le patriarche incontesté.
Le pays de l’esclavage
Notre pays, classé n°1 sur 167 par les organisations internationale de lutte contre l’esclavage
(Walk Free), est aussi régulièrement épinglé pour la situation des mineurs, des femmes et du droit de travail.
Plus de 20% de la population (issus essentiellement du groupe des Hratine) est maintenue dans une situation d’esclavage soit par la force, soit par nécessité, soit par ignorance, et le plus souvent par les trois à la fois. L’Administration est, le plus souvent, complice des auteurs du crime d’esclavage et le pouvoir politique ferme les yeux.
Les militants anti-esclavagistes sont régulièrement incarcérés et maltraités pour avoir dénoncé des cas d’esclavage. La mentalité des Mauritaniens est profondément influencée et façonnée par des manuels qui théorisent l’esclavage et le justifient. Ces manuels sont à la base de la formation des magistrats, des administrateurs et des officiers de la police judiciaire. L’autodafé symbolique de ces manuels par une organisation antiesclavagiste (IRA) a valu aux dirigeants de cette dernière plusieurs mois de prison, des menaces d’exécution et un lynchage médiatique sans précédent.
Des textes criminalisant l’esclavage et les pratiques esclavagistes ont pourtant été édictés et
votés par la représentation nationale. Mais nul aujourd’hui ne leur prête le moindre crédit, tant l’Etat et l’Administration sont gangrenés par ces esclavagistes même. Nul, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur de la Mauritanie n’est dupe de la volonté de l’Etat et de l’Administration de maintenir les esclaves et les anciens esclaves dans l’ignorance, la misère et le dénuement le plus total. L’Etat et l’Administration en Mauritanie s’opposent à l’application d’une réforme agraire et foncière qui permettrait aux vrais cultivateurs, ceux qui ont toujours labouré la terre, d’en devenir propriétaires, laissant cette propriété entre les mains de féodaux et rentiers sans scrupules.
Le pays du racisme d’Etat et du passif humanitaire
Le double discours de l’Etat mauritanien vis-à-vis de la question de l’esclavage rejoint son
attitude vis-à-vis de ce qui est pudiquement appelé le « Passif humanitaire ». Au lieu de résoudre une crise qui a failli souffler les fondements de notre nation, l’Etat s’est lancé dans une large campagne de propagande instrumentalisant le retour d’une infime partie des refugiés parmi les dizaines de milliers de Négro-africains de Mauritanie qui ont été déportés de 1989 à 1991 par l’armée et l’administration.
Plus de 20 000 réfugiés ont été recensés par le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) dans des camps au Mali et au Sénégal. Depuis, des accords de rapatriement de ces réfugiés ont été conclus entre la Mauritanie, le Sénégal et le HCR par le gouvernement de Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Ces accords prévoient l’organisation du retour des réfugiés et leur insertion socio-économique. Or, aujourd’hui, une grande partie des déportés est toujours dans des camps au Mali et ceux qui sont rentrés du Sénégal ont beaucoup de mal à recouvrer leur biens (terre, bétail…) ; mais surtout ils peinent à se faire délivrer des documents administratifs leur permettant de vivre normalement dans leur pays.
Il y a quelques semaines, une longue et exténuante marche, organisée par ces rapatriés et qui les a menés de Boghé jusqu’à Nouakchott (plus de 300 km couverts du 25 avril au 4 mai 2014), a été noyée dans un nuage de gaz lacrymogènes au lieu de l’audience qu’ils étaient venus réclamer auprès du Président de la République pour exposer leurs doléances.
Le pays de l’instrumentation de la justice
L’existence d’une justice efficace et indépendante est une condition sine qua non à
l’établissement d’un état de droit. Dans certains pays, le juge est la cheville ouvrière de la
démocratie. Le pouvoir judiciaire y est l’égal des deux autres pouvoirs, exécutif et législatif. Il
constitue le seul rempart contre l’arbitraire et garantit l’égal accès des habitants à la libre
concurrence et à l’égalité des chances.
Malheureusement, la Justice en Mauritanie est un rouage de l’appareil répressif à la solde du
Chef de l’Exécutif. C’est ainsi que de nombreuses enquêtes ont été ouvertes ou refermées sur
instruction du Président de la République. Des juges ont été démis de leurs fonctions pour crime de lèse-majesté ou d’insubordination. La plupart des opposants à Ould Abdel Aziz ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête car, à tout moment, ils peuvent être remis en prison. Moi-même, je suis en liberté conditionnelle à la suite de l’incinération symbolique des manuels de légitimation de l’esclavage.
La faiblesse de la justice est en grande partie due à l’absence d’une volonté politique de séparer le pouvoir judiciaire du bon vouloir de l’exécutif. Mais elle est aussi due à la sous formation des juges et à la pauvreté du contenu des enseignements qu’ils reçoivent tout au long de leur cursus.
Le pays de la corruption
Celui qui se présentait comme le « Président des pauvres » et le chantre de la lutte « contre la
corruption et les corrompus » est aujourd’hui au centre du système de corruption le plus efficace et le plus pernicieux. En cinq ans, une génération d’hommes d’affaires a poussé, nourrie par les contrats et marchés publics passés de gré-à-gré, en dehors de toute procédure réglementaire. Des conversations du Chef de l’Etat avec des présumés responsables du trafic de drogue et de blanchiment de l’argent sale peuplent les réseaux sociaux. Des ordres sont donnés à des entreprises de l’Etat (comme la SNIM) pour renflouer, à coups de dizaines de milliards, les caisses d’entreprises privées défaillantes.
Le pays où l’enseignement public est en faillite
L’enseignement public en Mauritanie est, à l’image du pays, en décomposition avancée. Ceux qui en ont les moyens placent leurs enfants dans des écoles privées. Du coup, les écoles publiques sont peuplées, presque exclusivement d’enfants de milieux défavorisés, notamment de Hratine et d’autres composantes noires du pays. L’insignifiance des moyens débloqués par l’Etat pour assurer l’éducation des jeunes mauritaniens s’est ajoutée à la prolifération anarchique des établissements privés pour finir de saper les fondements de l’école publique. L’enseignement supérieur n’est pas mieux loti ; c’est une véritable usine à diplômer des chômeurs dans une inadéquation complète avec les besoins de l’économie du pays.
Une autre importante cause du délabrement du système éducatif en Mauritanie réside dans
le fait que ceux à qui l’Etat confie la réforme et l’entretien de l’école ne sont pas directement
concernés par sa réussite pour la simple raison qu’ils envoient systématiquement leurs enfants dans l’enseignement privé. Les quelques établissements d’excellence que l’Etat a consenti à ouvrir sont l’objet de trafics d’influence et de favoritisme qui les met à mille lieues des objectifs qui ont présidé à leur création, à savoir sélectionner les élèves sur des critères d’excellences purement scolaires.
Ce qui reste de l’école publique est, en prime, profondément inégalitaire par mépris de
l’identité multiculturelle du pays. En effet, les résultats de décennies de recherches en matière de développement du pular, du soninké et du wolof, citées en Afrique comme étant l’expérience scientifique la plus réussie en matière d’apprentissage des langues locales, ont été abandonnés pour écarter un peu plus les communautés nationales porteuses de ces langues.