Correspondance de Biram Dah à la séance de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme
Lettre de l’absent-présent
Correspondance de Biram Dah à la séance de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme
Paris, 16 novembre 2018
J’exprime d’abord ma reconnaissance à vous, Madame la Présidente Christine Lazerges et vous prie d’en transmettre toute l’intensité à vos collègues. Je salue l’honorable assistance.
Aujourd’hui, je m’adresse à vous, de ce siège vide, alors que je me trouve dans une cellule de la prison civile de Nouakchott, d’où j’ai fus élu député, le 1er septembre 2018. Mon compagnon de lutte Abdellahi Houssein Messoud et moi, y séjournons, en détention préventive et coupés du monde, situation à laquelle nous habitue, hélas, la récurrence des persécutions, procès et condamnations.
Depuis la naissance de notre mouvement en 2008, nous menons une lutte non-violente pour assurer aux Noirs de Mauritanie, l’égalité des droits, en somme tourner la page des siècles d’esclavage, de racisme et de déni de droits élémentaires. Sur le chemin ardu de l’émancipation, nous endurons surtout la torture, comme l’attestent divers témoignages de rapporteurs spéciaux des Nations unies.
Notre combat ne vise qu’à accélérer l’avènement d’une Mauritanie de la paix dans l’équité, pas celle qui reproduit le statu-quo de la supériorité raciale. Nous voulons, pour nos enfants, petits enfants et les générations à venir, un avenir de dignité reconquise par l’exercice plein de la qualité de citoyen. Notre dessein comporte l’application effective des lois devant mettre un terme à l’impunité, l’accès à l’éducation de base, le partage des ressources et le respect du suffrage universel. Par le poids démographique des multitudes opprimés, nous entendons faire entendre la réclamation de justice, grâce à l’expression des suffrages.
Nous sommes des passeurs d’espérance, qui voulons permettre, à nos compatriotes, d’écrire une nouvelle page de relations humaines, dans ce désert dont l’hostilité n’a d’égal que l’intransigeance de ses puissants. Aux mauritaniens qui naissent diminués et grandissent, sans état-civil, ni la conscience du droit à vivre heureux, nous offrons l’alternative d’une fierté, d’un projet et d’un relèvement, contre la fatalité d’un passage sur terre, aussi bref qu’absurde : à rebours de la faim, de la soif, de la maladie et du sentiment de sa propre infériorité, nous propageons le message de la révolte, oui, parce que notre humanité nous l’enjoint.
En Mauritanie, il ne s’agit plus seulement de servitude et de contrainte justifiées au nom de la religion et de la naissance ; si l’émasculation, le travail forcé, les sévices sexuels et la vente à l’encan tendent à disparaître, le mépris et l’exclusion demeurent. Les discriminations à l’emploi, le défaut de scolarisation et la banalisation des tâches indécentes recréent le statut de paria, sur la base invariable de la couleur. Le peuple noir de Mauritanie, en particulier les descendants de serviteurs captifs ou achetés, constitue la majorité laborieuse sur le dos de laquelle s’agrippe la minorité des exploiteurs. Les maitres d’hier le restent mais sous le vernis de la modernité et les faux semblants de la loi.
Nous préoccupe, entre autres sujets de rupture dans la communauté de destin, le sort des fillettes et femmes nées du mauvais côté de la barrière sociale. Elles subissent l’exploitation domestique, le viol et une prévalence spécifique des maladies sexuellement transmissibles (Mst) ; tout comme leurs congénères masculins, elles ne peuvent prétendre aux soins qu’en revenant sous la coupe de la famille ou de la tribu du maître. A cause de l’extrême pauvreté et de la mainmise de la minorité arabo-berbère sur 95% des centres de pouvoir et de décision, le Noir mauritanien ne peut survivre sans participer à reconduire sa domination. Des cas de récidive indirecte se déroulent sous nos yeux : des esclaves, déçus et frustrés de ne pouvoir aspirer à mieux, retombent sous la « servitude volontaire », pour reprendre l’admirable expression de Monsieur De La Boétie.
Le défi s’avère d’autant moins surmontable que le système d’hégémonie tribale privatise l’Etat et le fige dans une vocation néo-patrimoniale, aux fins de perpétuer l’inégalité, qui est sa vocation, sa sève et son oxygène. Ainsi, recrute—t-il, en son sein, le commandement des milices en armes que sont les forces de sécurité et de défense mais aussi les magistrats, les directeurs de conscience religieuse, les banquiers, les industriels, les marchands de biens et services, les détenteurs de terres arables et les bénéficiaires de licences de pêches. En Mauritanie, le racisme est avant tout une prédation, une entreprise de rapine dont les arguments moraux ne cachent plus l’avidité brutale. Depuis toujours, les maîtres nous subjuguaient par leur religion, c’est-à-dire celle qu’ils ont façonnée sur mesure ; aujourd’hui, certains d’entre eux prétendent nous libérer avec le même outil. Faut-il en rire ou pleurer ?
Les juges, officiers de police judiciaire et membres du gouvernement, sont formés à répéter et régurgiter les prescriptions les plus archaïques de l’école sunnite, de rite malékite : les programmes enseignent, légitiment et sacralisent l’esclavage et lui attribuent de fait le statut de 6ème pilier de la foi. Dans ce que la république islamique de Mauritanie considère comme le corpus inviolable de son noyau, se dresse une inhumanité essentielle : le dogme d’une hiérarchie des corps et des vies. Et gare à d’éventuelles dissidences ! L’article 306 du code pénal, révisé à l’initiative du gouvernement et adopté en avril 2018, élargit la peine de mort, sans aucune faculté d’atténuation : « Chaque musulman, homme ou femme, qui se moque ou outrage Allah ou Son Messager (Mahomet) – Paix et Salut sur Lui – ses anges, ses livres ou l’un de ses Prophètes est passible de la peine de mort, sans être appelé à se repentir. Il encourt la peine capitale même en cas de repentir.
A présent, il suffit, à un magistrat passablement zélé, de décréter que la dénonciation de l’esclavage tient d’une rébellion contre Dieu…Depuis 2014, un jeune bloggeur, Mohamed Cheikh Ould Mkheitir croupit en prison, pour avoir contesté le système de castes selon sa propre version ; ainsi, essuyait-il trois condamnations à mort consécutives. Il ne passe d’année, non plus sans qu’une « bavure » de la police ou de justice privée, n’occasionne le trépas d’un noir, fût-il descendant d’esclave ou natif autochtone du Sud. Selon une jurisprudence établie, l’auteur de l’homicide échappe à la sanction.
Mesdames et messieurs, chers amis dans la promotion de l’universalisme, telle se présente la Mauritanie, alliée de l’Occident démocratique, dans la fameuse lutte contre le terrorisme. Mon pays, où le fanatisme religieux organise la société, l’Etat, le statut personnel et encadre l’esprit du législateur, s’apprête à lancer ses forces, sur les traces des islamistes armées, au-delà de nos frontières. Or, la Mauritanie, membre du G5 Sahel applique le programme juridique des prosélytes du Califat terroriste. Comment peut-on combattre ce que l’on enseigne à ses enfants ?
Sur cette note interrogation volontairement embarrassante, je conclus mon laïus d’outre-cachot. La bataille pour la restauration de notre intégrité vous concerne. Nous avons besoin de vous, au nom de l’espèce à laquelle nous appartenons tous, si vulnérable devant le déchainement de la force brute mais magnifique et triomphante quand elle se dresse en travers ! Robert Antelme échoua en prison parce que Français avide de liberté pour son pays mais il apprit, de l’épreuve des camps, combien il était, d’abord, membre de la famille humaine. Mes camarades et moi nous revendiquons de l’héritage noble et en entretenons la mémoire.
Sans vouloir être plus long, les IRA qui ont essaimé en Europe, Amérique du Nord et Afrique, à l’image des membres et dirigeants d’IRA-France-Mauritanie, illustre notre modèle rêvé, pour la symbiose universaliste des justes, face à l’interpellation du défi.
Nous comptons sur vous !