Que dit la fréquence de détentions de Biram Abeïd ? (Oumar Diagne)

Que dit la fréquence de détentions de Biram Abeïd ?

J’ai beaucoup réfléchi avant d’écrire cet article. Mais certaines questions trottaient dans mon esprit depuis un certain temps: pourquoi, parmi tous les acteurs de la scène publique mauritanienne, Biram Dah Abeïd est la personne ou, en tout cas, l’une des personnes les plus fréquemment emprisonnées? D’autre part, à chaque fois qu’il a été écroué, c’est surtout, grâce à une pression internationale qu’il a été libéré. Jamais il n’y a eu un engouement de masse de la part de tous ceux dont il défend la cause pour demander sa libération. Même si je ne néglige pas le cas de certains qui s’activent de toutes parts en vue de sa défense. Cette situation est problématique et doit nous pousser à nous interroger.

Je tenterai, d’abord, de répondre à ma première interrogation relative à l’acharnement du pouvoir sur la personne de Biram Dah Abeïd.

Je crois que s’il y a une personnalité qui fait vraiment peur à celui-ci, c’est Biram Dah Abeïd et l’explication est très simple à identifier. Biram Dah Abeïd est Harratin et les Harratine, jusqu’à récemment et globalement, ont été aux côtés des détenteurs du pouvoir arabo-berbère dans leur politique hégémonique visant à réduire au silence les autres communautés mauritaniennes. Le travail que fait Biram Dah Abeïd, s’il aboutit, signerait la fin de cette alliance et par conséquent mettrait ainsi terme à la domination arabo-berbère sur le pays.

Il ne faut pas oublier que les Harratine constituent la grande majorité de la population mauritanienne. Ils sont, au moins, quarante pour cent des habitants du pays.

L’autre élément à retenir est que Biram, dans ses propos au moins, ne plaide pas seulement la cause des Harratine mais aussi celle des Noirs-africains qui sont opprimés du fait de leur appartenance ethnique ou je dirai de leur couleur de peau et des arabo-berbères exclus du système pour des raisons tenant à leur caste ou à leurs relations éloignées des cercles du pouvoir. Tous les Arabo-berbères ne bénéficient pas du système même si, culturellement, la majorité d’entre eux partage l‘idée de leur supériorité par rapport aux Noirs de manière générale et approuve la politique d’exclusion et de domination de ceux-ci. Or arriver à unir tous les opprimés est un vrai danger pour tout pouvoir. En Mauritanie, comme dans beaucoup de pays africains, les dirigeants se maintiennent, souvent, grâce à un manque d’unité des dominés. Comme ceux-ci sont peu éduqués, ils arrivent à les détourner des vrais sujets que sont le développement, la justice pour tous, l’égalité des citoyens, etc. Aussi, puisque ces États sont les fruits d’un découpage arbitraire, il s’y pose le problème de l’émergence de la nation, celui du vivre ensemble. Ceux qui détiennent le pouvoir mobilisent ainsi les ressources relevant des appartenances ethniques dans le but de diviser les populations et les affaiblir par ce biais.

Ma seconde interrogation est relative à pourquoi la détention de Biram Dah Abeïd ne soulève-t-elle pas des vents et des marées.

Il me semble que ceux-là mêmes, pour qui il lutte, sacrifie sa vie, n’ont pas, tous, compris l’importance et la portée de son combat de militant des droits de l’Homme [Son action politique relève, pour moi, d’un autre domaine]. Ce qui veut dire que, pour les victimes de la domination et d’injustices, il y a encore un grand travail de conscientisation à faire à leur destination. Mandela n’a pas changé tout seul le destin de l’Afrique du Sud. Il n’a pu le faire qu’avec le soutien de ceux pour qui il se battait. Quand Mandela était en prison, ce sont des milliers, voire des millions d’hommes, de femmes et de jeunes qui se sont, d’une manière ou autre, levés pour dire non à l’injustice et à la domination.

L’autre problème de Biram Dah Abeïd tient à ses origines. Le fait qu’il soit Harratine fait que beaucoup de Noirs-africains ne souhaitent pas le voir devenir un leader dans ce pays et sont, ainsi, indifférents à son sort. Beaucoup de membres de cette communauté le rejettent pour ce simple mobile. Or, le problème ne devait pas être posé en ces termes. Il s’agit, avant tout, d’une question de droits de l’Homme. Être d’accord avec Biram Dah Abeïd, l’aimer ou ne pas l’aimer n’est pas, ici, la question. Il s’agit simplement de la défense des droits de chaque citoyen à exprimer ses opinions.

L’idéal serait que les Mauritaniens et surtout ceux qui militent s’attachent aux principes de justice. Ainsi, les questions de subjectivité doivent être laissées de côté quand les droits d’une personne sont violés.

En dehors du cas de Biram Dah Abeïd, ce dont cette situation témoigne est, qu’en Mauritanie, il n’y a pas encore une culture d’attachement aux valeurs de justice, de démocratie. C’est là où le bât blesse. Une société qui n’est pas en quête de justice ne peut qu’être violente. Lorsque je parle de violence, il ne s’agit pas seulement de violence physique mais surtout aussi de violence morale.

La recherche de la justice nous humanise. Sa traduction à travers des lois d’un pays témoigne de son institutionnalisation. Et cette institutionnalisation n’a de réelle portée que si ces lois sont appliquées. Mais pour que des lois tendant à nous pousser vers plus de justice soient efficientes, il faudrait des hommes et des femmes qui veillent car tout pouvoir a une propension à la déviance, aux excès.

Lutter, selon ses moyens, pour la libération de Biram Dah Abeïd ou toute autre personne détenue injustement est simplement un devoir de citoyen. Rousseau l’avait bien vu : la différence entre L’Homme et l’Animal est la part de liberté humaine, sa capacité à se perfectionner. Ainsi, le travail urgent à faire en Mauritanie est d’œuvrer en vue de l’intériorisation collective des valeurs d’équité. Cela peut passer par l’école et par un travail d’éducation des masses réalisé par les organisations non étatiques.

Oumar Diagne écrivain

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