Conjurer le mal
L’incarcération de Biram Ould Dah Ould Abeid et de son compagnon Brahim Ould Ramdhane d’infortune ne doit pas être un motif de satisfaction pour personne. Le fait de les exclure de la liste des graciés de la fête d’El fitr est aussi une erreur monumentale. En effet, le Pouvoir a raté là une occasion de se ressaisir. L’occasion était bel et bien là de revenir à la raison pour des pouvoirs publics qui nous ont habitués à mélanger les pédales quand il s’agit de remise en cause des fondements iniques du système qu’ils gèrent et font prospérer au détriment des opprimés et des laissés pour compte.
Oui, la libération de Biram et de son compagnon était opportune. Parce que justice serait rétablie. Biram et son compagnon ne devaient pas aller en prison. L’acte qu’ils ont posé – un regroupement pour dénoncer des injustices- ne devait pas le conduire en taule. Il devait plutôt susciter le débat et la discussion afin d’entraîner une profonde révision sur la propriété foncière dans le pays, mais aussi sur les concepts et de la pratique jusque-là en cours sur les fondements religieux de la pratique de l’esclavage dans la société mauritanienne.
Entendez bien, dans la société mauritanienne avec toutes ses franges et composantes. Aussi bien pour celles qui font des terres cultivables des propriétés acquises de droit par une frange cible de la population que celles qui font de l’esclave un objet commercial ou un gadget de plaisir ou encore un robot de production que l’on n’entretient jamais, ni n’amortit ; que celles qui regardent « l’esclave » avec dédain, mépris, vulgarité et l’excluent des aspects honorant dans leur ordre social.
La démocratie et l’ordre naturel des choses exigent que les questions sociales, aussi complexes, sensibles et aussi litigieuses soit-elles, soient examinées dans l’aune de la discussion, du débat et du dialogue et pas par la force de la baillonnette ou l’obscurité des cachots.
Et malheureusement pour la Mauritanie, c’est une classe hypocrite, jouant sur de multiples registres et usant d’un double discours, incapable d’appréhender les évolutions et proposer des solutions aux problèmes multiples de la société et de l’Etat mauritanien qui tient les rennes des choses. Aussi bien dans la majorité que dans l’opposition.
Oui, notre classe politique fuit le dialogue et, en passant, elle essaie de noyer le poisson. Ses leaders sont mus par l’instinct communautaire, Tout compte fait, ils ne pensent qu’à préserver les acquis et la domination des leurs. Le discours n’est fait que pour berner !
Elle refuse donc d’ébranler le « statut » en suscitant un débat franc et sérieux sur la question des terres cultivables de la vallée comme de l’esclavage. Tout comme elle rechigne à mettre sur le tapis de la discussion les problèmes, de plus en plus latents, de la cohabitation raciale dans le pays et ses corollaires (citoyenneté, égalité, partage du pouvoir, représentativité dans les institutions, etc…).
Pourtant, la Mauritanie ne gagnerait qu’à discuter sur ses problèmes et aurait une occasion de refonder le pacte social fondateur de son existence. Après tant d’années d’errance, d’incompréhensions mutuelles, de drames et de désastres frôlés, il est temps de se reparler entre Mauritaniens. Dans la franchise et la sincérité des pacifiques qu’ils sont tous.
Continuer à jouer à la politique de l’Autriche, à clamer de grandes paroles sur l’égalité des citoyens, l’équité dans leur traitement, tout en agissant exactement au contraire de tout cela, ne fera qu’envenimer la situation de frustration et de ras-le-bol que des pans entiers de notre société ressentent depuis la brutale rupture des équilibres amorcée, ouvertement, en 1986 et érigée comme une constance dans la pratique du pouvoir et du système depuis.
Si les Mauritaniens alertes et vigilants s’étaient abstenus de suivre le pouvoir dans sa folle équipée propagandiste contre Biram et ses compagnons, nous n’en aurions pas été à ce stade de pourrissement atteint aujourd’hui où les haratines se sentent, quelque part, visés ; comme le sont les négro-africains dans la vallée.
Si la lucidité avait prédominé et des voix sages au sein du système avaient conseillé ceux qui ne savent agiter que le bâton, ultime expression de leur mépris de tout ce qui ne cadre pas avec leurs orientations suicidaires, nous aurions pu tranquillement raisonner Biram et ceux qui suivent sa trajectoire pour que, dans le moyen terme, nous arrivions, tous, à dépassionner des questions dont dépend l’avenir et la stabilité de notre pays.
Ceci était aussi valable dans les années de braise où la majorité de ceux qui comptaient dans notre société ont courbé l’échine devant le despote, laissé libre court aux sadiques et aux chauvins qui ont creusé, par leurs vils actes, de profondes blessures dans l’inconscient collectif de certaines de nos communautés nationales.
Amar Ould Béjà