RÉSOLUTION COMMUNE DU PARLEMENT EUROPEEN

Déposée conformément à l’article 135, paragraphe 5, et à l’article 123, paragraphe 4,
du règlement en remplacement des propositions de résolution déposées par les groupes:
Verts/ALE
sur la Mauritanie, et en particulier le cas de Biram Dah Abeid

Résolution du Parlement européen sur la Mauritanie, et en particulier le cas de Biram Dah
Abeid (2014/2999(RSP)

Le Parlement européen,

– vu ses précédentes résolutions concernant la Mauritanie, y compris celle du 14 juin 2012 sur
les droits de l’homme et la situation sur le plan de la sécurité dans la région du Sahel 1 et celle
du 22 octobre 2013 sur la situation des droits de l’homme dans la région du Sahel 2 ,

– vu les conclusions du Conseil des ministres des affaires étrangères du 17 mars 2014 sur la
mise en œuvre de la stratégie de l’Union européenne pour la sécurité et le développement
dans la région du Sahel,

– vu la déclaration du 25 juin 2014 du porte-parole de la vice-présidente de la Commission /
haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité sur les
élections présidentielles en République islamique de Mauritanie,

– vu l’article premier de la constitution de la République islamique de Mauritanie, qui « assure à
tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, de sexe ou de condition sociale l’égalité
devant la loi »,

– vu la charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ratifiée par la Mauritanie en
1986), dont l’article 5 interdit expressément toute forme d’esclavage, et vu l’adhésion de la
Mauritanie à des instruments internationaux qui interdisent les formes contemporaines
d’esclavage, à savoir la convention relative à l’esclavage de 1926, le protocole l’amendant et
la convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et
des institutions et pratiques analogues à l’esclavage de 1956,

– vu l’accord de partenariat entre les membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et
du Pacifique (ACP), d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre
part, signé à Cotonou le 23 juin 2000 (accord de Cotonou),

– vu les observations finales sur la Mauritanie du comité pour l’élimination de la discrimination
à l’égard des femmes, publiées le 24 juillet 2014,

– vu la convention n° 105 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur l’abolition du
travail forcé,

– vu l’article 135, paragraphe 5, et l’article 123, paragraphe 4, de son règlement,

A. considérant que Biram Dah Abeid, fils d’affranchis, mène une campagne de sensibilisation
publique en faveur de l’abolition de l’esclavage; qu’en 2008, il a fondé l’organisation
« Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste » (IRA-Mauritanie); que cette Rorganisation a pour but d’attirer l’attention sur le fléau de l’esclavage et d’aider à porter des
cas précis devant la justice; que Biram Dah Abeid s’est vu décerner, en 2013, le prix des
Nations Unies pour la cause des droits de l’homme;

B. considérant que, le 11 novembre 2014, Biram Dah Abeid, qui est l’un des principaux
militants mauritaniens engagés dans la lutte contre l’esclavage et le fondateur de
l’organisation IRA-Mauritanie, a été arrêté à l’issue d’une marche pacifique organisée pour
protester contre l’esclavage; que les chefs d’accusation retenus contre Biram Dah Abeid sont
les suivants: appel à manifester, participation à une manifestation et appartenance à une
organisation illicite, et que, d’après certaines informations reçues, il courrait le risque d’être
condamné à la peine de mort; que la peine de mort demeure prévue dans le code pénal
mauritanien, sans y être réservée aux crimes les plus graves, et qu’une telle sentence est
prononcée à la suite de condamnations qui reposent sur des aveux obtenus sous la torture;

C. considérant que d’autres militants antiesclavagistes ont, eux aussi, été arrêtés et détenus, ce
qui porte à dix-sept le nombre de militants appartenant à l’organisation IRA-Mauritanie qui
sont actuellement en prison; que la gendarmerie mauritanienne aurait, pour effectuer ces
arrestations, eu recours à une force excessive, y compris en rouant les militants de coups de
bâton, en les traînant au sol et en employant des pratiques destinées à les humilier, entre
autres en obligeant les détenus à se déshabiller complètement; que les gardiens de prison
auraient en outre tenté de soutirer par la force des aveux signés aux militants;

D. considérant que Biram Dah Abeid est arrivé en deuxième place aux élections présidentielles
de l’année 2014; que sa renommée en fait une cible de choix aux yeux des autorités
mauritaniennes; que son arrestation et celle de ses camarades constituent des actes de
répression de l’opposition politique et de la société civile;

E. considérant que l’esclavage, bien qu’aboli officiellement en 1981 et incriminé en 2007,
demeure une pratique bien réelle en Mauritanie; que d’après le rapport sur l’esclavage dans le
monde en 2014, intitulé « Global Slavery Index 2014″, la Mauritanie est le pays où la part de
la population réduite à l’esclavage est la plus élevée (4 % de la population totale); que
d’autres sources de données portent à 20 % la prévalence de l’esclavage dans le pays; que la
loi relative à l’esclavage, d’adoption récente, ne couvre pas l’ensemble des formes que prend
cette pratique en Mauritanie, toute forme de servage, par exemple, étant exclue de son champ
d’application;

F. considérant que l’esclavage en Mauritanie est explicitement fondé sur l’origine ethnique, les
esclaves provenant presque exclusivement de la communauté Haratin, communauté noire qui
représente entre 40 et 60 % de la population totale du pays, ainsi que d’autres communautés,
comme le signale le rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage; que les
membres de la communauté Haratin, y compris ceux qui n’ont pas été réduits en esclavage, se
voient fréquemment interdire l’accès à des métiers jouissant d’un statut social élevé ou à des
postes élevés de la sphère publique;

G. considérant que la condition d’esclave est généralement héréditaire et que les enfants nés de
mère esclave sont souvent considérés, toute leur vie durant, comme étant la propriété de la
famille du maître; que des violences sexuelles sont couramment perpétrées sur les femmes
esclaves; que la majorité des esclaves sont tenus à l’écart de toute éducation formelle et qu’on
leur inculque que leur destinée est d’appartenir à leur maître, pratiques qui entretiennent un
phénomène connu sous le nom d' »esclavage psychologique »; que les femmes esclaves
doivent solliciter auprès de leur maître la permission de se marier; que de nombreux esclaves
naissent du viol; que les perspectives de trouver un emploi de qualité qui s’ouvrent aux
affranchis sont très limitées;

H. considérant que la Mauritanie a ratifié des conventions telles que la déclaration universelle
des droits de l’homme et le pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que
l’accord de Cotonou;

1. condamne fermement l’arrestation et le maintien en détention de Biram Dah Abeid, militant
engagé dans la lutte contre l’esclavage, et de ses camarades, et demande leur mise en liberté
immédiate; se dit préoccupé par les informations faisant état d’un recours à la violence contre
certains militants, et exhorte les autorités mauritaniennes à poursuivre en justice les membres
des forces de l’ordre qui ont trempé dans les sévices faits aux prisonniers et se sont rendus
coupables de torture;

2. demande au gouvernement mauritanien de cesser tout recours à la violence à l’encontre de
civils qui participent à des manifestations publiques pacifiques et à des campagnes
médiatiques de soutien à Biram Dah Abeid, de cesser tout acte de répression de la société
civile et de l’opposition politique, et de permettre aux militants antiesclavagistes de
poursuivre leurs activités non violentes sans qu’ils aient à craindre de subir harcèlement et
pratiques d’intimidation; exhorte les autorités mauritaniennes à permettre l’exercice des
libertés d’expression et de réunion, conformément aux conventions internationales et au droit
mauritanien lui-même;

3. condamne fermement toutes les formes d’esclavage, et plus particulièrement la forte
prévalence de l’esclavage, des pratiques liées à l’esclavage et de la traite des êtres humains en
Mauritanie; salue la décision prise par le gouvernement mauritanien d’incriminer l’esclavage,
l’existence d’une juridiction spéciale traitant de l’esclavage et l’annonce par le gouvernement,
en mars 2014, de la mise en œuvre d’une feuille de route pour l’abolition de l’esclavage;

4. constate avec regret qu’il n’y a eu jusqu’à présent qu’une seule affaire dans laquelle des
poursuites pour esclavage ont été engagées; demande au gouvernement mauritanien de
mettre un terme à toute forme d’esclavage, de promulguer des lois antiesclavagistes et
d’adopter des textes législatifs destinés à modifier ou à abroger toute disposition
discriminatoire du corpus législatif, y compris les dispositions discriminatoires du code
pénal, du code de l’état civil et du code de la nationalité; insiste sur la nécessité d’enquêter
réellement sur les allégations d’esclavage et de pratiques similaires et de poursuivre en justice
les responsables de manière effective;

5. demande aux autorités mauritaniennes de mener un travail de sensibilisation en matière de
comportement et de croyances de la population en ce qui concerne l’esclavage, et ce, à tous
les niveaux de la société; encourage vivement les autorités mauritaniennes à contribuer à
modifier le comportement de la société envers la question ethnique et l’esclavage, en
particulier en ce qui concerne la communauté Haratin; insiste sur la nécessité de rendre illicite toute discrimination fondée sur l’appartenance ethnique, en particulier dans les
domaines de l’éducation et de l’emploi; demande également aux autorités mauritaniennes
d’abattre complètement le système d’esclavage fondé sur la caste, notamment en ce qui
concerne les employées domestiques;

6. incite fortement les autorités mauritaniennes à instaurer une éducation formelle universelle,
de sorte que les esclaves et les affranchis, ainsi que leurs enfants, puissent acquérir une
instruction élémentaire et se doter des outils nécessaires à l’obtention d’un emploi de qualité;
fait observer que tous les citoyens mauritaniens devraient avoir le droit de posséder des
terres, en particulier lorsqu’ils ont vécu sur celles-ci et les ont cultivées des générations
durant, et qu’il s’agit là d’un droit que Biram Dah Abeid et l’organisation IRA-Mauritanie
proposent comme clef de voûte de l’abolition de l’esclavage; encourage, à cet égard, le
gouvernement mauritanien à ratifier la convention n° 169 de l’OIT, qui reconnaît les formes
d’utilisation des terres propres aux peuples autochtones;

7. souligne l’importance que revêt une relation fructueuse entre l’Union européenne et la
Mauritanie pour le renforcement de la démocratie, de la stabilité et du développement dans
ce pays; insiste sur l’importance de la Mauritanie en tant que partenaire au sein de la stratégie
de l’Union européenne pour la sécurité et le développement dans la région du Sahel;

8. exhorte la vice-présidente / haute représentante, le SEAE et les États membres à accroître les
efforts consentis pour éliminer l’esclavage en Mauritanie, notamment en veillant à définir une
politique claire et praticable en matière d’affaires étrangères et de droits de l’homme, dans le
respect du cadre stratégique de l’Union en matière de droits de l’homme et de démocratie, et
en mettant en avant le volet « droits de l’homme » de la stratégie dans la région du Sahel, ainsi
que dans le contexte du dialogue avec le gouvernement mauritanien, y compris dans le cadre
d’accords bilatéraux formels;

9. charge son Président de transmettre la présente résolution à la vice-présidente de la
Commission / haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de
sécurité, au Conseil, à la Commission, aux États membres, aux autorités de Mauritanie, à
l’assemblée parlementaire paritaire ACP-UE, au Conseil de l’Europe, à l’Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe, au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, à la
Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, à la Ligue des États arabes ainsi
qu’à l’Union africaine.

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