Mariem Cheikh & Balla Touré dans FIELDS Magazine « CLANS de l’intérieur »
Dans son numéro de juin 2015, CLANS de l’intérieur, FIELDS Magazine accorde des interviews à Marien Cheikh et Balla Touré
Interview de Mariem Cheikh
FIELDS MAG : Quelle est la situation actuelle des haratines en Mauritanie ?
MARIEM CHEIKH :
Une situation des plus lamentables et ce depuis plus de sept siècles mais je me limiterai à la souffrance de cette communauté de Hratîne depuis la naissance de l’Etat moderne. Ces souffrances sont la résultante de l’esclavage dont est victime cette communauté depuis la naissance de l’Etat conduisant à son maintien dans l’ignorance extrême et la marginalisation.
L’ignorance: sa cause est le refus de construire des écoles au sein des localités d’habitation des Hratîne, qu’on appelle Adwaba. Dans les rares cas où il a été consenti de construire des écoles dans ces Adwaba, le plus souvent le personnel enseignant y fait défaut par manque de surveillance des autorités mais aussi par rudesse de la vie dans ces localités.
La mise à l’écart: la preuve de cette marginalisation systématique est que, lors des trois dernières décennies et suite à l’exode rural consécutif à la sécheresse qui frappa le pays, certains jeunes Hratine avaient pu acquérir des diplômes et des qualifications. Mais, malgré cela les portes de l’Etat et de la fonction publique leur sont toujours restées closes et ils n’ont pu voir leurs conditions matérielles améliorées.
La marginalisation: La marginalisation de cette communauté se manifeste à différents niveaux. Au niveau de leurs localités de peuplement (Adwaba) qui sont privés des infrastructures de base et des projets générateurs de revenus (dispensaires, routes, adduction d’eau, aménagement de terres arables et autres microprojets tels les poulaillers, maraichage…). Le second niveau de marginalisation touche les cadres issus de cette communauté auxquels on ne fait appel que pour des raisons d’affichage. Par exemple, il ne leur sera jamais confié la direction de grandes entreprises, telles la SNIM ou de grandes institutions, telles la Banque Centrale, la Somagaz, le Trésor Public, l’Agence des Documents Sécurisés…Vous les trouverez bloqués dans leur avancement au sein de l’Armée, supposée être républicaine. On ne leur confiera jamais le commandement d’unités dans l’armée et ce malgré les compétences qui sont les leurs. Ajoutez à cela la nouvelle arme de barrage que constitue la récente Ecole Militaire qui ne recrute que dans les milieux des fils d’officiers et de hauts fonctionnaires qui se trouvent être tous des Bidhane.
FIELDS MAG : Qu’est ce qui doit changer en Mauritanie ? Comment peut-on y arriver?
MARIEM CHEIKH :
Notre organisation était, à ses débuts, fondée sur des considérations morales. Elle était basée sur l’idée de combattre les mentalités esclavagistes, de racisme et de mépris sur lesquelles sont fondés l’Etat et la société en Mauritanie. Elle visait à déconstruire les fondements de cet ordre décadent qui justifiait, par les jurisprudences du Vigh, les pratiques ségrégationnistes exercées à l’encontre de la majorité écrasantes de la population mauritanienne que forment les esclaves et anciens esclaves (les Hratine).
Notre organisation vise aussi à redéfinir les rapports entre communautés au sein de l’Etat dans le sens d’une plus grande équité vis-à-vis des cultures reléguées au second plan par la Constitution mauritanienne mais aussi par l’histoire officielle. Ces cultures sont celles des Hratine, des Berbères et des Bambara. Elle cherche aussi à réhabiliter les cultures et langues nationales marginalisées que sont les langues des Peuhles, des Soninké et des Wolof. Elle appuie aussi la communauté des Arabes de Mauritanie dans son aspiration de soutenir les causes des autres peuples arabes opprimés tels les Palestiniens entre autres causes justes à défendre.
L’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA) œuvre pour l’avènement de la justice et de l’égalité entre l’ensemble des Mauritaniens. Elle combat sans merci l’esclavage mais aussi le racisme et les autres manifestations de la violation de l’intégrité de la personne humaine à savoir la torture, le travail des enfants, le mépris envers les femmes et la traite des personnes. Nous œuvrons aussi pour un changement de pouvoir pour une meilleure gouvernance aussi bien dans le domaine politique, économique que religieux, à l’inverse de ce que nous avons connu depuis l’indépendance.
Les Arabo-berbères, que vous appelez les Bidhane, et les familles hratine qui vont avec eux, ont toujours conçu leur mode vie sur l’esclavage et sur les pratiques esclavagistes. Ils ont toujours senti le besoin d’être servis par des domestiques qui réalisent en leur place les travaux manuels et les taches pénibles sans aucune rétribution. Ces pratiques esclavagistes sont circonscrites, précisément, à cette communauté. Ce n’est pas IRA qui a choisi qui est la victime et qui est le bourreau. Ce sont les esclaves qui viennent vers nous et qui nous appellent à l’aide alors que les Autorités ont choisi de se ranger du côté des notables esclavagistes. L’Etat et ses protégés nient jusque l’existence de l’esclavage. Nous ne signalons que les cas d’esclavage qui viennent jusqu’à nous.
Pour ce qui est des séquelles et des mentalités esclavagistes, elles sont largement partagées par toutes les communautés en Mauritanie mais les Bidhane, plus précisément, voient en la lutte contre l’esclavage une réelle menace contre leurs privilèges faits de domination et d’oppression des esclaves. Cette communauté utilise alors les moyens de l’Etat pour lutter contre le courant abolitionniste qui ne cesse de s’étendre et de gagner tant dans les villes qu’au sein des campagnes. Les accusations de racisme énoncées contres les abolitionnistes ne sont que les dernières cartouches entre les mains de cette communauté. Elles sont vouées à l’échec.
Interview de Balla Touré
FIELDS MAG : La Mauritanie est-elle un pays divisé? Pour quelles raisons ?
BALLA TOURE :
S’il est question de sa population, oui, la Mauritanie est divisée. Sur une base ethnoculturelle et raciale, on compte trois groupes en Mauritanie : les hratin (composés d’esclaves et anciens esclaves), negro-mauritaniens (peul, soninké, wolof et bambara dont l’existence n’est pas officiellement reconnue) et les arabo-berbères (tribus arabes et berbères), appelés aussi beydhan.
La poursuite des pratiques esclavagistes par les arabo-berbères contre les hratin sur fond d’exclusion contre les hratin et les negro-mauritaniens des cercles de pouvoirs (politiques, économiques et sécuritaires et militaires) a créé des discordes entre les beydhan et les autres communautés nationales. Ces dissensions entre les communautés ont produit plusieurs épisodes tragiques au détriment des populations noires.
FIELDS MAG : Comment ce pays en-est-il arrivé là?
BALLA TOURE :
La Mauritanie est un pays africain multinational, pluriculturel et biracial où vivent des hratin, peulh, soninke, wolof et bambara négro-mauritaniennes et des nationalités Arabes et Berbères.
En passant en revue la gestion des affaires publiques du pays, on se rend compte que l’essentiel des pouvoirs politique, économique, administratif, militaire et sécuritaire sont accaparés et contrôlées par la seule communauté arabo-berbère, minoritaire, au grand dam des communautés noires majoritaires (hratin, peulh, soninke, wolof et bambara).
A la lecture de ce qui précède, on arrive, aisément, à la conclusion qu’un racisme d’Etat sévit en Mauritanie. Ce racisme, savamment tissé au sommet de l’Etat, a eu comme résultat : l’absence du partage du pouvoir et des richesses du pays, la poursuite de l’esclavage éhonté dans un pays islamique, le génocide et la déportation perpétrés sur les négro-africains de 1989 à 1992, l’expropriation des terres de culture au profit des arabo-berbères, une politique d’assimilation et d’aliénation sociolinguistique et culturelle, et leurs corollaires. Cet Etat qui devait sécuriser et garantir le droit du citoyen, s’est investi par contre, à faire des citoyens noirs de Mauritanie des citoyens de seconde zone, en entretenant la domination raciale qui s’appuie sur des groupes féodaux arabo-berbères. Ces groupes sont organisés en corporations de chefs religieux, d’hommes d’affaires, de chefs de tribus autour de l’appareil sécuritaire et de défense.
En effet, le racisme d’Etat et l’exclusion des communautés Noires se trouvent aggravés par la pratique de l’esclavage qui continue malgré la promulgation de la loi criminalisant cette pratique en Mauritanie. L’impunité dont continuent de bénéficier les auteurs de génocide et de cas d’esclavage avéré, la poursuite des expropriations de terres, les blocages faits par les pouvoirs publics à toute tentative de promouvoir et d’enseigner les langues et cultures des communautés Noires, la quasi fermeture des médias aux langues pulaar, soninke, wolof et bambara sont là des éléments qui montrent la ferme volonté de tous les régimes qui se sont succédés en Mauritanie de faire de notre pays ce que beaucoup se complaisent à appeler « trab’el beydhan » – UN PAYS DONT TOUS LES BIENS NE PROFITENT QU’AUX SEULS ARABO-BERBERES.
En effet, depuis l’accession de la Mauritanie à l’indépendance, les politiques racistes des gouvernants se sont évertuées à faire perpétuer la domination des arabo-berbères sur toutes les autres communautés et dans ceci, aucun secteur n’échappe à la logique d’accaparement :
- Toutes les banques primaires appartiennent à des groupes issus de la communauté arabo-berbère et malgré les nombreuses tentatives, aucun groupe d’hommes d’affaires noir n’a réussi, avec aucun des régimes qui se sont succédé, à obtenir une licence pour la création d’une banque.
- Un savant découpage électoral assure la beydanisation des deux chambres du Parlement national. Aux dernières élections législatives de 2007, s’il a fallu moins de 800 électeurs pour élire le Député de la Moughataa Bir Moghrein, il en a fallu plus de 26.000 pour le vote des trois Députés de Sélibaby (plus de 8.600 électeurs pour un Député). Ces statistiques établissent clairement la dure réalité qu’un électeur de la Moughataa de Bir Moghrein vaut plus de dix (10) fois un électeur de Sélibaby et est alors, d’autant plus mauritanien que celui-ci.
Alors, le ras le bol des victimes d’esclavage, de racisme, et d’exclusion a atteint, aujourd’hui, un niveau où la paix et la stabilité en Mauritanie sont menacées. Il s’y ajoute, l’entêtement et la persistance des dirigeants racistes dans leurs méthodes injustes de gouverner une nation plurielle : le refus du dialogue politique, l’état de siège, qui ne dit pas son nom, dans lequel la partie sud de la Mauritanie est placée, l’intimidation des défenseurs des droits humains notamment ceux qui luttent contre la pratique de l’esclavage, l’absence de volonté politique dans la restauration dans leurs droits des victimes ou ayant droits suite aux évènements des années 89 à 92, les expropriations de terres, les conditions inhumaines de rapatriement des mauritaniens déportés au Sénégal etc.
FIELDS MAG : Pourquoi parle-t-on d’arabo-berbères et de negro-mauritaniens ?
BALLA TOURE :
Les appellations arabo-berbères et negro-mauritaniens portent une connotation ethnoculturelle et raciale. Elles ont un caractère purement conventionnel. On dit d’arabo-berbères les populations des tribus arabes et berbères, et de negro-mauritaniens les populations issues des communautés peule, soninké, wolof et bambara. Depuis l’indépendance du pays, les différences entre les communautés se sont accentuées au fil des décennies en raison des tensions liées à l’évolution du pays dont on a traitées dans la précédente question.
FIELDS MAG : Quelle est la situation actuelle des hratin en Mauritanie ?
BALLA TOURE :
En Mauritanie, les pratiques esclavagistes restent encore très rependues en ce 21ième siècle. Si l’esclavage a existé jadis dans toutes les communautés mauritaniennes, sa continuité, parmi les populations arabo-berbères se réalise encore selon le modèle originel, celui de la servitude par ascendance ; dans ce schéma multiséculaire de domination, les hratin (esclaves et anciens esclaves) se transmettent, en héritage, leur condition de parias, exploités, marginalisés et, cependant, indispensables à la cohérence pyramidale de l’inégalité de naissance, pilier de l’équilibre social. Au fil des siècles, les hratin ont été entretenus dans l’illusion que « leur paradis est sous les pieds de leurs maîtres ». Il s’agit là d’un mécanisme efficace de contrôle qui forme les personnes asservies à une obéissance irrationnelle ; ainsi, sont-ils élevés à accepter leur sort, sous peine de s’exposer à la colère divine. Sans éducation ou moyens de subsistance pouvant assurer l’indépendance, ni même l’autonomie alimentaire la plus immédiate, la plupart se croient esclaves par la volonté de Dieu.
En effet, les pratiques persistent et se perpétuent ; le camp des promoteurs du système de domination ne se cache pas d’œuvrer à maintenir des rapports sociaux de type inégalitaire ; le déni permanent d’esclavage dont font preuve les élites dirigeantes, procède des symptômes de cette cécité volontaire sur le cours de l’histoire et constitue une incitation, à l’adresse des magistrats et du personnel administratif ; il en résulte l’impunité entretenue au bénéfice des auteurs d’actes d’esclavage avérés, lesquels échappent, toujours, à la sanction pénale ; le statuquo perdure car, en Mauritanie, il est toujours fait référence à des ouvrages produits au 12e et 13e siècle par Cheikh Khalil, Ibnou Acher, Addesoughi ou Alakhdari – des jurisconsultes qui traitent de la traite des êtres humains, leurs castration, viol, exploitation et soumission à des pratiques humiliantes et dégradantes : ici les faits d’esclavage sont codifiées en contradiction totale avec le saint Coran et la Sunna – paroles et actes du prophète Mohamed (PSL).
A la barbarie dont sont encore victimes les hratin s’ajoute leur exclusion des sphères de gestion et maîtrise du pouvoir ; en cela, comme nous l’avons expliqué ci-haut, ils forment une communauté de destin avec les negro-mauritaniens.
Dans ce contexte, IRA – Mauritanie s’attèle à déconstruire le système de domination en vigueur en Mauritanie et à forger chez le hartani le socle d’un Homme nouveau, debout la tête haute, fier et décomplexé. L’Homme hartani nouveau – porteur d’une identité socio culturelle qui lui est propre –forme une communauté à part entière, il a une parfaite maîtrise sur son destin.
FIELDS MAG : Vous êtes un militant pacifique qu’est ce qui explique que vous soyez accusés d’avoir tenu des propos racistes?
BALLA TOURE :
IRA – Mauritanie a fait avancer, de façon considérable et en un temps relativement court, la lutte pour les Droits humain en Mauritanie en initiant de nouvelles méthodes de lutte caractérisées par l’audace et la popularisation du débat, en allant vers les masses qui adhèrent de jour en jour. Cette forte mobilisation inquiète les groupes esclavagistes et les autorités qui n’ont de réponse que la répression sans pitié contre quiconque ose contribuer au travail du mouvement abolitionniste. Bien que très risquée, IRA – Mauritanie a choisi la méthode frontale, ce que nos prédécesseurs défenseurs de Droits humains dénonçaient avec « politesse » nous le disons sans ambages avec un discours de vérité mais crue. Ainsi, ne trouvant pas de solution face à la détermination des abolitionnistes, le système mettant à disposition tout son appareil de propagande, verse dans le mensonge et la calomnie cherchant à faire passer notre groupe pour une organisation prônant le racisme. Ici, notre radicalité que nous assumons d’ailleurs est confondue avec l’extrémisme que nous rejetons sous toutes ses formes car notre lutte tire toute sa légitimité de son caractère humaniste et universaliste.
FIELDS MAG : Et les accusations selon lesquelles vous seriez en train de diviser le pays?
BALLA TOURE :
Le pays, selon ceux qui nous accusent de le diviser, est « trab’ el beydhan » littéralement la terre des beydhan. Dans leur entendement dopé par un excès d’opportunisme, le beydhan c’est l’ensemble des locuteurs du hassaniya (dialecte arabe mauritanien), donc les arabo-berbères et les hratin. Ainsi, le système de domination porté par la minorité arabo-berbère présente la Mauritanie comme étant un pays où l’écrasante majorité de la population est arabe alors qu’au moment de gouverner et de profiter des biens du pays, les hratin sont exclus et leur « arabité » noyée dans la volonté de la minorité arabo-berbère à avoir tout « le gâteau » à elle seule.
Alors, le projet de l’Homme hartani nouveau porté par IRA – Mauritanie qui consacre les hratin comme étant un groupe communautaire à part entière bouscule l’ordre ancien. Donc travailler à libérer les hratin est, pour ceux qui accusent, diviser la Mauritanie. Leur « Mauritanie ».
FIELDS MAG : Sur quoi se basent ceux qui vous accusent ?
BALLA TOURE :
Ils ne se basent sur rien du tout pour nous accuser. Ils sont tout simplement paniqués à l’idée de perdre les privilèges indus que le système de domination leur procure dans le schéma d’un Etat esclavagiste et raciste qu’est la Mauritanie. Perte qui sera provoquée par la libération inéluctable des hratin et le recouvrement par les negro-mauritaniens de tous leurs droits.
FIELDS MAG : Quels sont vos moyens pour lutter contre les discriminations et pour la mise en pratique de l’abolition de l’esclavage ?
BALLA TOURE :
Notre organisation IRA – Mauritanie constitue une plateforme d’expression, de contestation, de dénonciation mais aussi de concertation en vue de diagnostiquer la situation des Droits de l’Homme en Mauritanie et de contribuer à la proposition de solutions optimales.
IRA Mauritanie s’est fixé comme objectifs de lutter contre l’esclavage et ses séquelles en dénonçant les esclavagistes et leurs complices à quelques niveaux que ce soit, contribuer à la promotion des Droits culturels et l’égalité des chances, permettre aux plus vulnérables de trouver une oreille attentive, contribuer à la construction d’un Etat de droit, fondé sur l’égalité, la justice et le respect mutuel entre les communautés nationales.
Pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés, IRA – Mauritanie mène les activités suivantes :
– Une présence effective sur le terrain par l’organisation des sit in et marches de protestation contre des violations de Droits humains.
– L’organisation de conférences de presse autour des préoccupations des citoyens vulnérables, l’esclavage, l’injustice, les expropriations de terres,
– Le développement d’une communication bien ciblée basée sur des supports de qualité pour vulgariser les cas de violation de Droits humains identifiés,
– Des interventions régulières sur les media nationaux et étrangers,
– La réalisation d’enquêtes sur les principales préoccupations des populations défavorisées et vulnérables,
– L’édition et diffusion de supports d’information et de communication sur la situation sociale, l’état des Droits humains et la politique du pays,
– La participation aux forums et rencontres nationaux et internationaux,
– Le partage d’expériences avec les acteurs visant les mêmes objectifs.
FIELDS MAG : Que deviennent les negro-mauritaniens qui ont été rapatrié en 2008?
BALLA TOURE :
Le retour des déportés mauritaniens du Sénégal a été organisé dans le cadre d’un Accord tripartite entre les gouvernements mauritaniens et sénégalais et le HCR (le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU). Selon l’accord, les rapatriés devraient à leur retour recouvrer leurs pièces d’Etat civil avec tous les droits qu’offre la citoyenneté mais aussi tous les biens spoliés lors des déportations. Bientôt sept ans après leur rapatriement, sur plus de vingt et quatre mille, un peu plus de huit mille rapatriés ont reçu leurs pièces d’Etat civil. La plupart des groupes de rapatriés n’ont pas pu se réinstaller dans leurs anciens villages occupés à présent, avec la complicité des autorités d’époque et actuelles, par d’autres populations venues d’ailleurs. Leurs terres de culture restent également inaccessibles à eux. Les infrastructures provisoires qui leur ont été installées perdurent ne permettant un accès convenable aux services de base vitaux (eau potable, énergie domestique, santé).
Ayant porté leurs revendications à plusieurs reprises aux autorités compétentes dont les multiples promesses n’ont pas été tenues et dans un élan plein de désolation, plusieurs dizaines rapatriés, femmes et hommes, ont entrepris en 2014 une marche de protestation de Boghé à Nouakchott (320 Km). A la place d’une réponse responsable des autorités, les marcheurs ont été accueillis à l’entrée de Nouakchott par des forces de police et de gendarmerie qui les ont réprimés avec une violence extrême.
A ce jour, aucune réponse favorable aux revendications des rapatriés n’est en vue. Lors d’une conférence, il y a de cela quelques mois, le président des regroupements de rapatriés envisageait « des immolations collectives par le feu si les autorités persistaient dans leur silence face à leurs revendications légitimes ».
FIELDS MAG : Qu’en est-il de l’accaparement des terres appartenant à la communauté hratin?
BALLA TOURE :
Dans le contexte tendu de la Mauritanie, le foncier revêt un caractère important. Le Président Biram DAH ABEID d’IRA – Mauritanie et son vice président Brahim BILAL RAMDHAN ainsi que le Président Djiby SOW du Mouvement Kawtal Ngam Yellitaare ont été arrêtés, jugés et condamnés à deux (2) années de réclusion suite à l’organisation d’une caravane de Boghé à Rosso, dans la vallée du Fleuve Sénégal, contre l’esclavage foncier. Ayant fait appel du jugement, nos camarades attendent dans le bagne d’Aleg (250 Km de Nouakchott) la tenue de l’audience.
En effet, l’esclavage foncier c’est cette situation qui fait que les hratin travaillent les terres fertiles de la vallée que leurs parents, grands-parents et arrière-grands-parents ont travaillées alors qu’ils n’en ont point le droit de propriété et que cette même terre est utilisée pour leur domination.
Ainsi, la quasi-totalité des terres cultivées dans cet espace par les hratin appartiennent à trois personnes qui bénéficient de la complicité des autorités. Il s’agit de : Ahmed Salem Ould Ahmed Douwa, Ahmedou Ould Mrabott Ould Habibou Rahmane (Imam de la mosquée dite « mosquée saoudienne ») et Yaghoub Moussa Ould Cheikh Sidiya (Maire de Lexeiba II). Ces personnes tirent de cette position richesses et pouvoir politique. Quiconque osent contester leur chefferie est déguerpi des terres – seule source de survie dans cette zone. Les voix des hratin, électeurs dans leurs circonscriptions à 90% leur assurent la quasi-totalité des postes électifs (maires, députés et sénateurs).
Ainsi, par le contrôle de la terre, la domination totale est assurée. Le discours religieux puisé des ténèbres avec son pouvoir anesthésiant contribue à l’étouffement collectif des consciences hratin de ces contrées pendant que la force publique aveugle s’abat et écrase toute perspective individuelle ou collective d’émancipation.
Par ailleurs, à côté de cette ignoble pratique qu’est l’esclavage foncier, il faut signaler d’autres formes d’injustice liées au foncier. Il s’agit des expropriations de terres dont sont victimes généralement les communautés peul et wolof de cette partie de la vallée et généralement au profit l’agrobusiness arabo-berbère. Un simple bout de papier délivré par un Hakem (préfet) suffit pour exproprier toute une communauté. Ainsi, des villages se trouvent complètement enclavés dans leur terroir ancestral, sans aucun espace vital. Au village de Donaye, les expropriations ont « englouti » même le cimetière du village où pousse aujourd’hui du riz. Les habitants transportent leurs morts par pirogues et les enterrent sur l’autre rive, au Sénégal. Ce genre d’exemple fait, malheureusement, légion.
Le troisième type d’injustice liée au foncier touche les citoyens rapatriés du Sénégal qui, six ans après leur retour au pays, n’arrivent pas encore à récupérer leurs champs que d’autres exploitent sous leurs nez.
FIELDS MAG : Qu’est ce qui doit changer en Mauritanie ? Comment peut-on y arriver?
BALLA TOURE :
En Mauritanie, il doit être mis fin aux pratiques esclavagistes dont sont victimes les hratin mais aussi au racisme et à l’exclusion qu’ils partagent avec leurs concitoyens negro-mauritaniens. L’avènement d’une démocratie en Mauritanie constituera le fondement d’une société égalitaire et juste. Les mauritaniens seront véritablement égaux en droit en devoir, ils auront un accès équitable aux biens du pays mais aussi également aux fonctions de direction. Résister et lutter pacifiquement sans compromis ni compromission, tel qu’IRA – Mauritanie le fait, est la seule conduite à tenir pour produire des changements profonds qui profiteront à tous les mauritaniens sans exception de race ni d’ethnie.
FIELDS MAG : Comment nos lecteurs peuvent agir?
BALLA TOURE :
Vos lecteurs peuvent aider notre lutte pour la dignité en diffusant toute production médiatique à la quelle ils ont accès traitant de la situation dans notre pays en lien avec nos préoccupations. Leurs actions peuvent contribuer à influencer favorablement d’abord la société civile puis les cercles de décisions à l’échelle internationale.
A titre d’exemple, vos lecteurs peuvent initier des pétitions dénonçant les autorités mauritaniennes racistes et esclavagistes et appelant à la libération de nos amis Biram DAH ABEID, Djiby SOW et Brahim BILAL RAMDHAN.