Mauritanie : « Je paie au prix de ma liberté la lutte pacifique contre l’esclavage » (LeMonde Afrique)

Le militant Moussa Biram écrit une lettre d’une prison du désert mauritanien où il est en détention depuis cinq cents jours avec Abdallahi Mattalah.

Ce 13 novembre 2017, cela fait cinq cents jours que Moussa Biram, un militant de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) en Mauritanie, est en détention avec son camarade Abdallahi Mattalah. Après trois transferts, ils sont dans une prison du désert dans le nord du pays, d’où Moussa écrit une lettre ouverte pour rappeler leurs conditions de détention tout en réaffirmant leur détermination à se battre contre l’esclavage.

Moussa Biram, militant anti-escalvagisme en Mauritanie, en prison depuis 500 jours.

Ce matin encore, comme depuis cinq cents jours, nous nous sommes réveillés en prison. Cela fait plus de seize mois que mon ami Abdallahi et moi sommes éloignés de nos familles et amis, détenus dans ce no man’s land, au milieu du désert de Bir Moghreïn, à la pointe nord de la Mauritanie. Ici, nos journées restent noires, chaudes, sans contact humain extérieur et sans possibilité d’échanger avec nos codétenus, en majorité des condamnés à mort.

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Nous sommes donc en prison depuis cinq cents jours privés de voir les êtres chers qui comptent dans notre vie : nous ratons les sourires innocents de nos enfants et manquons des moments privilégiés avec nos épouses et amis. Nous sommes en train de payer le prix fort de notre lutte pacifique contre l’esclavage et la discrimination en Mauritanie.

Torturés dans une prison secrète

Abdallahi et moi sommes certes nés libres, mais nous sommes tous deux des descendants d’esclaves. Dans notre pays, la Mauritanie, la pratique de l’esclavage — bien qu’interdite — se perpétue. Des familles entières appartiennent encore à la famille de leurs maîtres, et sont contraintes de servir toute leur vie leurs propriétaires.

Pour ce combat, Abdallahi et moi avons été condamnés depuis le 23 novembre 2016 à… mille quatre-vingt-quinze jours de prison ferme (trois ans). Nous avons été torturés pendant les premiers jours dans une prison secrète à Nouakchott. Les autorités mauritaniennes nous reprochent d’avoir participé à la manifestation de la Gazra de Bouamatou, un bidonville de Nouakchott où, le 29 juin 2016, les habitants, à majorité des Haratines [caste d’esclaves et de descendants d’esclaves, environ 40 % de la population] menacés d’expulsion, avaient organisé une manifestation spontanée. Pourtant, nous n’avions ni participé ni organisé cette manifestation.

La vérité est que notre seul crime est cette lutte pacifique que nous menons contre l’esclavage et la discrimination en Mauritanie.

Détermination « triplée »

Ce matin, j’avoue, je ne sais pas très bien ce que je ressens. Cette détention est certes la première pour mon codétenu Abdallahi et moi, mais je n’ai absolument pas l’impression qu’elle sera la dernière pour nous ou pour nos camarades de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA, dirigé par l’opposant Biram Dah Abeid). Comme aime le répéter Abdallahi, « les jours de prison ont triplé notre détermination. »

Le désert de Bir Moghreïn, dans le nord de la Mauritanie, où se trouve la prison qui retient deux militants anti-esclavagisme, à 1100 kilomètres de la capitale Nouakchott et de leurs familles.

Depuis notre arrestation, nous avons été pris dans un cycle infernal : humiliation devant nos jeunes enfants et épouses, détention durant plusieurs jours dans une prison secrète, tortures, simulacre de procès, refus du procureur d’ouvrir une enquête sur nos allégations de torture alors que nous présentions des cicatrices apparentes. Et pour couronner le tout, depuis décembre 2016, nous avons été transférés il y a dix mois à la prison de Bir Moghreïn, à 1 100 kilomètres de la capitale Nouakchott et de nos familles. Nous refusons toutefois que nos amis et familles traversent cette zone dangereuse, sans route goudronnée ni piste, seulement pour nous rencontrer.

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Aujourd’hui, après cinq cents jours durant lesquels nous avons été baladés entre quatre prisons dont une secrète, nous ne savons pas à quoi nous en tenir. Nous avons fait appel de notre condamnation. Nous attendons depuis un an que la Cour suprême ouvre notre dossier.

Le courage de changer le monde

En ce cinq-centième jour, nous souhaitons, Abdallahi et moi, remercier nos amis et familles pour leur solidarité et leur détermination. Le souvenir de leurs visages déterminés aperçus la nuit avant notre inculpation par le parquet renforce chaque jour notre courage.

Nous devons continuer à avoir le courage de changer le monde, et défendre ceux qui se battent contre l’esclavage en Mauritanie. Car, comme le dit Martin Luther King, « toute injustice, où qu’elle se produise dans le monde, est une menace pour la justice partout ailleurs. »

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C’est à nous de combattre ce crime contre l’humanité mais aussi la discrimination.

Après cinq cents jours de détention, Abdallahi et moi restons plus que jamais engagés à réaliser notre rêve de vivre dans une Mauritanie sans esclavage, sans racisme ni discrimination. Une Mauritanie juste et équitable. Soutenez-nous dans ce combat !

500 days in jail EN

UNDER EMBARGO UNTIL NOVEMBER 13, 12pm GMT

Mauritania: The high price of a peaceful struggle against slavery and discrimination

By Moussa Biram, activist with the Initiative for the Resurgence of the Abolitionist Movement (IRA) in Mauritania

Moussa Biram is an activist with the Initiative for the Resurgence of the Abolitionist Movement (IRA) in Mauritania. He is in prison with fellow activist Abdallahi Mattalah. On 13 November, they will have spent 500 days in a prison in the Mauritanian desert from where Moussa has written an open letter to recall their difficult detention conditions and their courage in defending those who fight to combat slavery.

Once again this morning, just as for the past 500 days, we woke up in prison. For 500 days now, my friend Abdallahi and I have been separated from our families and friends, detained in this no man’s land in the middle of the Bir Moghreïn desert at the northern tip of Mauritania. Our days here are dark, sweltering, with no external human contact or interaction with our fellow inmates, most of whom are on death row.

We have been in prison for 500 days, unable to see our loved ones who count the most: we miss the innocent smiles of our children and the special moments with our spouses and friends. We are paying a high price for our peaceful struggle against slavery and discrimination in Mauritania. Abdallahi and I were certainly born free but we are both the descendants of slaves. In our country, Mauritania, slavery – although forbidden – continues to be practised. Entire families still belong to their masters and are forced to serve their owners all their lives.

For this struggle, Abdallahi and I were each sentenced to 1,095 days (three years) in prison, starting 23 November 2016. During the first days, we were tortured in a secret prison in Nouakchott. The Mauritanian authorities accuse us of having participated in the Gazra protest in Bouamatoui, a Nouakchott slum. But we neither participated in nor organized the protest.

The truth is our only crime is this peaceful struggle we are waging against slavery and discrimination in Mauritania.

This morning, I confess I do not really know how I feel. This detention is a first for my fellow inmate Abdallahi and I. But it is unlikely to be the last either for us or for our comrades in the Initiative for the Resurgence of the Abolitionist Movement (IRA). As Abdallahi likes to say “our days in prison have tripled our determination”.

Since our arrest, we have been caught up in a vicious cycle: humiliation in the eyes of our young children and wives, detention in secret prisons for several days, torture, sham trials and a refusal by the prosecutor to open investigations into claims of torture even though we bore visible scars. And to cap it all, since December 2016, we have been transferred to Bir Moghreïn prison, 1,100 kilometres from the capital, Nouakchott, and our families.

Today, after over 500 days during which we have been transferred back and forth between four prisons, including a secret prison, we do not know where we stand. We have appealed our sentences. We have been waiting a year for the Supreme Court to open our case.

Abdallahi and I share our days at the Bir Moghreïn prison. Over 10 months in a prison in the middle of the desert, in no man’s land. The days remain dark, sweltering and empty, with neither external human contact nor the possibility of interacting with our fellow inmates, most of whom are on death row. And yet we do not want our families crossing this dangerous area, which has neither a tarmac road nor even a rough track, just to see us.

On this day 500, Abdallahi and I would like to thank our friends and families for their solidarity and determination. The memory of their determined faces the night before we were formally charged by the Public Prosecutor’s Office strengthens our courage every day.

We must continue to have the courage to change the world and defend those who fight to combat slavery in Mauritania.

Because “injustice anywhere is a threat to justice everywhere.” ii

It is our duty fight not only this crime against humanity but also discrimination.

After 500 days of detention, Abdallahi and I remain more committed than ever to realizing our dream of living in a Mauritania free from slavery, racism and discrimination. A just and fair Mauritania.

Support us in our struggle!

[SIGN THE PETITION https://www.freedomunited.org/advocate/justice-moussa-abdellahi/

This text is translated from French. The original was published by Le Monde Afrique

i On 29 June 2016, the mostly Harratin (descendants of slaves) residents of Boumatou, a slum in Nouakchott, who had been threatened with eviction, held spontaneous protests.

ii Quote from Martin Luther King

موريتانيا: الثمن الباهظ للنضال السلمي ضد العبودية والتمييز

بقلم موسى بيرام، مناضل مبادرة انبعاث الحركة الانعتاقية (إيرا) بموريتانيا.

موسى بيرام هو أحد مناضلي مبادرة انبعاث الحركة الانعتاقية (إيرا) بموريتانيا. وبيرام مسجون برفقة زميله عبد الله معطل. ويصادف يوم 13 نوفمبر/تشرين الثاني ذكرى مرور 500 يوم على احتجاز المناضلين داخل أحد سجون الصحراء الموريتانية. وقرر موسى أن يكتب من داخل السجن هذا الخطاب المفتوح ليذكر الجميع بظروف السجن القاسية، وليحثهم على مواصلة الدفاع بشجاعة عن كل من يكافح ويناضل من أجل التحرر من العبودية.

« هذا الصباح أيضاً، ككل صباح مرّ علينا من 500 يوم، استيقظنا أنا وصديقي عبد الله في السجن. لقد مر علينا هنا 500 يوماً قضيناها بعيداً عن أسرتينا وأصدقاءنا، محتجزين في هذا المكان النائي، في صحراء بير مغرين شمالي موريتانيا. هنا، تمر علينا الأيام مظلمة وحارة دون أي اتصال بشري خارجي، أو حتى اتصال مع باقي المسجونين والمحكوم على أغلبهم بالموت.

لقد قضينا في هذا السجن 500 يوم حُرمنا فيها من رؤية أعز الأشخاص إلى قلوبنا: لقد فوت علينا السجن ضحكات أطفالنا البريئة واللحظات المميزة التي كنا نقضيها بصحبة زوجاتنا وأصدقائنا. نحن الآن نتكبد الثمن الباهظ الذي كلفنا إياه نضالنا السلمي في مواجهة العبودية والتمييز في موريتانيا. لقد ولدنا أنا وعبد الله أحراراً بلا أدنى شك لكننا نشأنا في عائلات مقيدة بأغلال العبودية. وعلى الرغم من كونه محظوراً، مازال الرق يمارس في بلدنا موريتانيا؛ مازالت هناك عائلات بأكملها تابعة وخاضعة لتصرف ساداتها ومجبرة على خدمتهم طوال فترة حياتها.

لقد دفعت أنا وعبد الله حريتنا ثمناً لنضالنا إذ حكم علينا بالسجن المشدد لمدة 1095 يوماً (ثلاث سنوات) منذ 23 نوفمبر/تشرين الثاني 2016. كما أننا تعرضنا للتعذيب في الأيام الأولى من اعتقالنا في أحد سجون نواكشوط السرية. لقد وجهت إلينا السلطات الموريتانية تهمة المشاركة في مظاهرة « كرزة بوعماتو« 1، إحدى ضواحي نواكشوط الفقيرة، على الرغم من أننا لم نشارك في تلك المظاهرة ولم ننظمها.

الحقيقة أن جرمنا الوحيد هو نضالنا السلمي الذي نقوده في مواجهة العبودية والتمييز في موريتانيا.

وفي هذا الصباح، أعترف بأنني لا أستطيع تحديد ما أشعر به. صحيح أنها المرة الأولى التي أُعتَقل فيها أنا وزميلي عبد الله، ولكنني على يقين من أنها لن تكون الأخيرة بالنسبة لنا أو لزملائنا المناضلين المنتمين لمبادرة انبعاث الحركة الانعتاقية (إيرا). ولكن، كما يحب عبد الله أن يردد دائماً، الأكيد هو أن: « أيام السجن قد زادت من تصميمنا وإصرارنا بمقدار ثلاثة أضعاف« .

لقد زُج بنا، منذ لحظة اعتقالنا، في دوامة مقيتة: تعرضنا للإهانة أمام زوجاتنا وأطفالنا، واحتُجزنا لعدة أيام داخل أحد السجون السرية، وتعرضنا للتعذيب ولإلصاق التهم الملفقة بنا، رفض المدعي العام فتح تحقيق بشأن ما تعرضنا له من تعذيب على الرغم من أثار التعذيب الواضحة على جسدينا. وللتخلص منا وإنهاء المسألة برمتها، نُقلنا بعد ذلك، في ديسمبر/ كانون الأول 2016، إلى سجن بير مغرين الواقع على بعد 1100 كيلومتر من العاصمة الموريتانية نواكشوط ومن عائلاتنا.

واليوم، بعد مرور500 يوم على اعتقالنا، تنقلنا خلالها بين أربع سجون أحدها سري، فإننا لم نعد ندرك ما الذي علينا أن نتمسك به. لقد قدمنا استئنافاً نعترض فيه على التهم الموجهة إلينا، لكننا لا نزال ننتظر منذ أكثر من عام أن تفتح المحكمة العليا ملف قضيتنا.

وها نحن نتقاسم أنا وعبد الله الحياة اليومية منذ أكثر من 10 أشهر، في سجن بير مغرين الذي تحيط به الصحراء من كل جانب، في مكان ناء خالٍ من البشر. في هذا المكان تمر علينا الأيام مظلمة، وحارة، وكئيبة من دون أن نتمكن من الاتصال بأحد من الخارج أو الحديث مع المعتقلين معنا في نفس السجن والمحكوم على معظمهم بالإعدام. ومع ذلك فنحن نرفض بالطبع تعريض ذوينا وأصدقائنا للخطر وعبورهم لهذه المنطقة الخطرة والوعرة التي لا يتخللها أي طريق أسفلتي، فقط من أجل لقائنا.

واليوم، ومع بلوغ اليوم الـ500 لنا في السجن، نود أنا وعبد الله أن نتوجه بالشكر لأسرنا وأصدقائنا على ما قدموه لنا من دعم وتشجيع طيلة هذه الأيام. إن مجرد تذكر ملامح العزيمة التي كانت تعلو وجوههم في تلك الليلة قبل إدانتا إنما يزيدنا ثباتاً يوماً بعد يوم.

لابد ألا نفقد أبداً شجاعة مواصلة النضال من أجل تغيير العالم، من أجل الدفاع عن الذين يناضلون للقضاء على الرق والعبودية في موريتانيا.

ذلك لأن « وقوع الظلم، أياً كان المكان الذي وقع فيه، يعتبر تهديداً للعدل في العالم بأسره« 2.

وعلينا نحن أن نكافح ونتصدى لهذه الجريمة المرتكبة بحق الإنسانية، علينا أن نحارب التمييز كذلك.

وبعد مرور 500 يوماً علينا في هذا السجن ما زلت أنا وعبد الله ملتزمين أكثر من أي وقت مضى بتحقيق حلمنا. حلمنا بالعيش في موريتانيا خالية من الرق، من العنصرية، ومن التمييز. موريتانيا يسود فيها الحق والعدل« .

ادعمونا في معركتنا هذه!

[توقيع العريضة]

1 1- في 29 يونيو\حزيران 2016، نظم سكان حي بوعماتو الفقير في نواكشوط، المنحدر معظمهم من أصول من الرقيق (الحراطين)، مظاهرة تلقائية احتجاجاً على ترحيلهم

.

22- اقتباس عن مارتن لوثر كينج

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