Mauritanie : Quels droits de l’Homme avec quels partenaires ?

Le 10 décembre,  la célébration, en Mauritanie, de la journée internationale des droits humains, équivaut à une comptabilité du sordide. 13 années après la chute de la dictature de Ould Taya, le passif reste un contentieux toujours en suspens. Même si la société sécrète, à présent, les ressources de sa propre immunité envers l’arbitraire et le silence, elle traine, encore, le fardeau des discriminations, de l’impunité et du déni. Les aspects retentissants de la faillite méritent, en cette date lourde de symbole, un rappel.

 

  1. La loi numéro 93-23 du 14 juin 1993 portant « amnistie » couvre les agents de l’Etat, auteurs de crimes à caractère raciste, du 1er  janvier 1989 au 18 avril 1992. Certes, des milliers de déportés ont pu regagner le bercail durant la parenthèse de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi mais la plupart peinent à recouvrer leurs terres. Dans l’ensemble, les mauritaniens d’extraction subsaharienne ne croient plus à l’égalité de droits sur le sol des ancêtres. Le sentiment de cohésion nationale s’en trouve durablement abimé.

 

  1. Quasiment en sens inverse, les pouvoirs successifs multiplient l’adoption de normes visant à éradiquer la servitude de naissance ; or, ils s’abstiennent d’en garantir la prééminence sur les usages de mépris et de ségrégation. Parmi les plus récents repères en la matière, il importe de souligner la législation sur les discriminations, votée le 18 janvier 2018. Le texte s’emploie plutôt à museler le discours de contestation de l’ordre dominant, qu’il associe à la surenchère du particularisme et de la haine. Au même moment, les comportements esclavagistes et le racisme anti-noir échappent à la rigueur des tribunaux ; le droit étant dit, interprété et appliqué par des descendants d’esclavagistes, souvent solidaires à cause d’une crainte commune devant l’essor des demandes d’équité, l’arsenal juridique évite de constater le crime, pour que la domination historique survive et se perpétue.

 

  1. Le code pénal, sous dictée d’une lecture conservatrice et antihumaniste de la Chariaa, continue de sanctionner, par l’amputation, la torture et l’élimination physique, des infractions relevant des libertés de conscience, de culte, d’association et d’expression, de la sexualité (lapidation) ou du délit de vol avec effraction. Alors que de nombreux gouvernements en terre d’Islam abrogent ou abandonnent de telles prescriptions, la Mauritanie va à rebours. Ainsi, sur la base d’une rédaction conçue en Conseil des ministres du 16 novembre 2017, donc hors de la moindre exigence sociale, les députés adoptaient-ils, le 27 avril 2018, la révision de l’article 306, aux fins d’abolir la faculté atténuante du repentir ; la nouvelle version étend la peine de mort à toute personne qui « outrage Allah ou Son Messager (Mahomet) – Paix et Salut sur Lui – ses anges, ses livres ou l’un de ses Prophètes ». Un mauritanien qui en tue un autre, à cause de l’opinion ou de la race, risque bien moins que le blasphémateur ou l’apostat. Ainsi se présente la hiérarchie des valeurs dans un Etat si prompt à endosser le programme des jihadistes, tandis qu’il prétend les combattre au sein de la coalition G5 Sahel.

 

  1. Malgré la loi du 30 septembre 2015, contre la torture et les traitements inhumains, suivie, dès avril 2012 par l’installation du mécanisme éponyme, des anonymes et des activistes d’associations concordent à rapporter le recours aux sévices, lors des arrestations et de la garde-à-vue. A ce jour, aucun policier ni militaire n’est poursuivi, à ce titre. Naturellement, l’alinéa assurant la « protection et l’assistance aux victimes…des témoins et personnes chargées de l’enquête ainsi que leurs familles» reste sans objet, caduc, vide de portée pratique. Le gouvernement mauritanien adhère aux standards de protection de la dignité de l’individu mais se garde bien de les mettre en œuvre.

 

Conclusion

Le réflexe de la dissimulation diplomatique, qui explique le soin à la façade légale de l’Etat, commande de complaire aux démocraties, sans jamais leur consentir une concession en actes. Entre « programmes d’appui », « renforcement de capacités et autres « séminaire de formation », la plupart des partenaires crédibles de la Mauritanie – Union européenne et France en tête – continuent à financer et entretenir la fabrique de la fraude sur les principes universels qui fondent, pourtant, leur propre singularité dans la civilisation. Le jeu de dupes se poursuit, depuis le milieu des années 1980, d’ailleurs partout en Afrique. En retour sur le Continent, l’Occident récolte, à ses dépens, le scepticisme, la détestation et les théories du complot. La paresse, le défaut d’imagination et surtout le chantage à la colonisation expliquent, pour beaucoup, le malentendu tragique, dans la conduite des politiques dites de « coopération ». Le système des Nations unies, à son tour contaminé par les pudeurs du relativisme culturel, tend, de plus en plus, à reproduire le discours d’une culpabilité à sens unique où viennent se légitimer les régimes de prébende et de coercition, la violence du sacré et le populisme antiparlementaire.

 

Nouakchott, le 10 décembre 2018

La commission de communication

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