Présidentielle en Mauritanie : l’espoir piétiné (orientxxi.info)

Alors que l’armée occupe la capitale et qu’Internet reste inaccessible sur l’ensemble du pays, retour sur une campagne présidentielle qui a suscité un espoir inédit en Mauritanie. Espoir qui tourne à la colère.

Toutes les conditions étaient réunies pour que cette élection marque un tournant démocratique pour le pays. Le président sortant Mohamed Ould Abdel Aziz, arrivé au pouvoir en 2008 à l’issue d’un coup d’État, avait accepté de jouer le jeu de la Constitution. Après deux mandats, il passait la main à son dauphin Mohamed Cheikh El-Ghazouani. Face à lui, quatre candidats de l’opposition s’étaient fait la promesse d’unir leurs forces si l’un d’entre eux arrivait au second tour.

Pas de coup de force des militaires en vue donc, mais plutôt l’organisation d’un vaste débat démocratique sans tabou. « On a six candidats à la présidentielle qui ont tous en commun la richesse de leur programme. Certains parlent d’éducation, d’autres parlent de la santé, de l’emploi pour les jeunes, d’autres parlent d’accès à la justice, chacun essaie de travailler sur son programme pour qu’il soit accepté par le peuple », nous expliquait la journaliste Houleye Kane à quelques heures des résultats. Avec 62,66 % de votants, les chiffres de participation venaient confirmer l’enthousiasme suscité par la campagne. L’un des taux les plus élevés de l’histoire de la Mauritanie.

De nombreux observateurs et journalistes regardaient notamment dans la direction de Sidi Mohamed Boubacar. Ancien chef du gouvernement de transition de 2005 à 2007 et soutenu par les islamistes du parti Tewassoul, il constituait le plus probable rival de Mohamed Cheikh El-Ghazouani. Très suivie également, la campagne du journaliste Baba Hamidou Kane, représentant De la vaste coalition Vivre Ensemble, s’était concentrée sur l’égalité des droits pour les négro-Mauritaniens. Enfin, Mohamed Ould Mouloud était attendu avec la formation de gauche de l’Union des forces du progrès (UFP).

Quand, au beau milieu de la nuit, les résultats tombent enfin, la déception est énorme dans l’opposition, et l’incrédulité aussi. Deux conclusions se dégagent d’emblée de ces chiffres. Premièrement : il n’y aura pas de second tour. Deuxièmement : contre toute attente, le principal opposant au régime militaire s’appelle Biram Dah Abeid : avec 18,69 % des suffrages, il dépasse Sidi Mohamed Boubacar qui n’en obtient que 17,95 %.

Dénonciation des castes et réconciliation

« On a déjà gagné ! », nous répètent des jeunes militants devant le siège de Biram. En cette journée de vote, il y a évidemment la ferveur, l’optimisme traditionnel des QG de campagne, mais peut-être aussi autre chose. « On a traversé le pays. On a vu les gens, on a vu ce qu’ils voulaient. » Les photos et les vidéos défilent sur les écrans des téléphones. C’est impressionnant, surtout pour un pays de 4 millions d’habitants.

 

Même enthousiasme pour le directeur de campagne Bakary Tandja : « Ça a été extraordinaire. À chaque fois qu’on organise un meeting dans une ville, on pense : « C’est le top ». Et le prochain meeting nous fait oublier le précédent. C’est magique, c’est extraordinaire, c’est un phénomène historique, social, majeur dans la vie politique de la Mauritanie. Et nous pouvons dire avec confiance que nous avons déjà gagné la mobilisation sociale, la mobilisation des masses. Si la campagne ou l’élection s’arrêtait à la mobilisation, la victoire serait déjà acquise. Maintenant toute notre stratégie a été de transformer cette mobilisation en victoire électorale, et c’est ce qui est en train de se passer. »

Comment expliquer un tel succès ? Il y a d’abord la personnalité de Biram, bien connue de la population depuis une dizaine d’années. Descendant d’esclaves, enfermé par le régime à cinq reprises pour avoir dénoncé la persistance de l’esclavage dans le pays, lauréat du prix des droits de l’homme des Nations unies en 2013, le candidat articule son discours entre la dénonciation d’un système de castes inhumain et un message de réconciliation largement inspiré de Nelson Mandela. C’est d’ailleurs de l’Afrique du Sud, en visite dans la famille de ce dernier, qu’il a décidé de lancer sa course à la présidence, avant d’enchaîner avec une tournée de seize meetings en seize jours jusque dans les coins les plus reculés de la Mauritanie. Le candidat revient avec nous sur cette expérience :

Sur le plan de l’adhésion populaire à ma candidature, j’ai trouvé beaucoup plus que je n’espérais à travers l’engouement des masses, l’engagement des citoyens et leur combativité à mes côtés pour me faire élire. J’ai été agréablement surpris par l’ampleur de l’adhésion populaire.

(…) J’ai la sensation que mon message a été compris avant cette campagne. J’ai été agréablement surpris de voir que les actes de défi au pouvoir en place que j’ai multipliés depuis cette dernière décennie ont été tous compris par les populations.

(…) J’ai été accueilli par des foules qui ne se sont jamais rassemblées de mémoire de Mauritanien, et qui ont accepté d’aller à ma rencontre sans être incitées par les moyens de transport, sans être incitées par aucun intérêt. Cette adhésion très forte, très visible, c’est elle qui rend compte de ma satisfaction. Ils m’ont compris beaucoup plus que je ne l’espérais.

Une autre explication du succès de Biram peut également être trouvée dans la nouvelle alliance formée par sa formation politique, l’initiative pour la Résurgence de l’anti-esclavagisme (IRA) avec le parti d’inspiration baasiste et panarabe Assawab. Une alliance qui transcende les revendications communautaires et achève de faire de Biram un recours crédible pour un nouveau pacte social en Mauritanie : « Si je gagne, ce sera salvateur pour les victimes de ce système et pour les bourreaux. Tous vont y gagner. »

Plus tard dans la journée, les visages se ferment dans l’équipe de campagne. Au téléphone, plusieurs observateurs évoquent des irrégularités, se voient interdire l’accès aux bureaux de vote. Les autres candidats font rapidement leur arrivée au siège dans une ambiance tendue. Une conférence de presse est improvisée. La première d’une longue série pour le quatuor de l’opposition composé de Sidi Mohamed Boubacar, Mohamed Mouloud, Baba Hamidou Kane et Biram Dah Abeid.

« Hold-up électoral »

Le 23 juin au matin, l’armée envahit les rues de Nouakchott et Mohamed Cheikh El-Ghazouani proclame sa victoire au premier tour, avant même la publication des résultats par la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Quelques heures plus tard, une coupure d’Internet d’abord partielle, puis totale plonge le pays dans l’obscurité numérique. De nouveau, les quatre opposants se réunissent pour dénoncer, devant la presse, un « hold-up électoral » et un « état de siège qui ne dit pas son nom ». Pendant ce temps, les manifestations se multiplient dans les quartiers populaires de Nouakchott, donnant lieu à de nombreuses arrestations. Parmi les personnes arrêtées, le ministère de l’intérieur affirme dénombrer une centaine d’étrangers venus du Mali, du Sénégal et de la Gambie. Les ambassadeurs des trois pays sont convoqués par les autorités.

Pour Saidou Wane, rédacteur en chef de RMI-info, « à travers ces propos, ils laissent entendre qu’il y a un complot, soit de négro-Mauritaniens, soit de négro-Mauritaniens aidés par l’étranger. Ça rappelle curieusement les événements de 1989 quand, pour réagir à des troubles, le régime avait ramené des ressortissants au Sénégal et au Mali. On avait découvert par la suite que ces personnes étaient des Mauritaniens. »

Les sièges de campagne de Biram Dah Abeid et de Kane Hamidou Baba ont été saccagés par les forces de l’ordre, puis fermés, comme ceux des deux autres candidats de l’opposition. Ils sont aujourd’hui mis sous scellés alors que l’élection n’est techniquement pas terminée : Boubacar et Biram ont déposé un recours devant la Cour constitutionnelle.

Des manifestations sont également organisées à Dakar, ainsi qu’à Paris où la diaspora, qui avait soutenu le régime lors des dernières élections législatives, a cette fois-ci massivement désavoué Mohamed Cheikh El-Ghazouani dans les urnes.

En termes de bilan humain, peu d’informations vérifiables pour le moment. Une rumeur a circulé évoquant quatre morts à Nouakchott, mais aucun témoin n’a été trouvé pour corroborer les faits. On sait en revanche qu’un manifestant a perdu une main en ramassant une grenade lancée par l’armée.

Pas de quoi émouvoir, en tout cas, le ministère français des affaires étrangères qui « salue le bon déroulement de l’élection présidentielle intervenue ce samedi 22 juin en Mauritanie, dans un climat pacifique » et « félicite Mohamed Cheikh Mohamed Ahmed El-Ghazouani ». Amnesty International, de son côté, s’inquiète dans un communiqué :

Dans une apparente continuation de la répression post-élection, un certain nombre de figures de l’opposition ont été arrêtées. Parmi elles, Samba Thiam, leader des Forces progressistes pour le changement, et Cheikhna Mohamed Lemine Cheikh, directrice de campagne de la coalition Sawab/Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste dans le quartier de Ksar de Nouakchott. Ces personnes doivent être libérées ou accusées d’un crime identifiable.

Figures auxquelles on peut ajouter le journaliste Seydi Moussa Camara.

Si Internet a été rétabli dans certains services administratifs et bancaires, personne ne sait quand la 3G sera rétablie dans le pays. Du côté de l’opposition, la grande marche citoyenne prévue initialement le 23 a été reportée pour la deuxième fois, face à un pouvoir qui rechigne à en autoriser la tenue. Reste à savoir si, face à un pouvoir inflexible, l’union sacrée tiendra.

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