Interview de Biram Dah Abeid par Shems Marif

Le Député Biram Dah Abeid : Le président Ghazouani va-t-il accepter de courir le risque de valider une candidature qui lui imposerait un deuxième tour en 2024

 

Dans cette interview le Député Biram Dah Abeid, président de l’ONG IRA nous donne sa lecture de la scène politique nationale, il parle de la présidentielle 2024, des relations RAG –Sawab, Rag – FPC, du dialogue  engagé par l’UFD et l’
UFP et revient sur l’actualité internationale notamment la Palestine.

 

 

 Shems Maarif : Monsieur le député bonjour

Vous revenez d’une tournée qui vous a conduit hors du pays. Quel en était l’objectif ?

 

Biram Dah Abeid: Mon voyage en Europe (France, Belgique et Suisse) visait trois objectifs : reprendre contact et s’organiser nos sections en Europe et la diaspora mauritanienne, pour les batailles présentes et futures, dans le domaine des droits humains et du projet d’alternance, faire l’état des lieux avec les partenaires d’IRA, européens et onusiens, de la situation du pays depuis que le régime du président Ghazouani a renié la ligne d’ouverture enclenchée, au début de son mandat, en direction de la mouvance citoyenne; le troisième objectif de ce voyage était consacré à mes contrôles de santé.

 

Shems Maarif : Quelle lecture faites-vous de la scène politique nationale six mois après les élections du 13 mai 2023 ?

Biram Dah Abeid : La scène et ses acteurs résultent d’une ligne de séparation « racialiste » et de classe, orchestrée par le régime en place, comme ses prédécesseurs issus du même bloc dominant que caractérisent le monolinguisme et le désir de la toute-puissance. Ces lignes discriminatoires et de fracture croissante se matérialise dans le refus catégorique, par le pouvoir et ses lois, d’autoriser l’activité des forces issus des milieux majoritaires : il faut, désormais, considérer que l’intimidation des autochtones d’ascendance subsaharienne, devient une finalité de l’Etat et des segments réactionnaires dont il tire sa légitimité. Victimes d’une gouvernance de marginalisation et d’impunité depuis plusieurs décennies, ces groupes subissent, aussi, l’interdiction de fonder de nouveaux partis, à l’ombre de la légalité. Du début du siècle jusqu’à nos jours le constat ne varie : Action pour le changement (Ac) et Convention pour le changement (Cc) ont été abrogés successivement ; de 2013 à 2014, la mesure d’éviction frappe Refondation pour une action globale (Rag) et Forces progressistes pour le changement (Fpc). Les Ong Touche pas à ma nationalité(Tpmn), l’organisation pour la promotion et l’officialisation des langues nationales(Olan), les associations des rescapés des vagues d’épuration ethniques, des veuves, des orphelins, sont privées de reconnaissance de jure ou/et de fait, un peu à l’image d’IRA, tolérée du bout des lèvres mais interdites de toute participation aux travaux de son interlocuteur officiel, en l’occurrence le Commissariat aux droits de l’Homme, à l’Action Humanitaire et des Relations avec la Société Civile. Les actes de représailles visent toute entité privée qui n’obéit pas aux limites du discours, de la pensée et des gestes assignés, par le pouvoir, aux acteurs de la société civile ; ici, les cas de dissidence, de liberté de ton et de lanceur d’alerte suscitent, de la part du gouvernement, une batterie de mesures de rétorsions. La plus immédiate consiste à exclure, les associations, du bénéfice des financements extérieurs, comme celui de la France, en Mauritanie. Donc l’état des lieux, au surlendemain des élections générales, se résume à un tableau d’apartheid politique exécuté au profit d’une communauté de citoyens de premier ordre au détriment de l’humanité périphérique, celle du nombre et de la misère où bouillonnent la révolte des parias, la communauté de citoyens secondaires. Les Hratin, représentant, selon les approximations de la Banque mondiale (Bm) et d’autres institutions indépendantes, plus ou moins la moitié de la population ; ils ont droit à 10 sièges de député dans une assemblée qui en compte 176. Les communautés autochtones d’ascendance subsaharienne, même locutrices de l’arabe dialectal local, le hassaniya, n’ont pu bénéficier d’un traitement à la hauteur de leur domestication mentale, d’ailleurs achevée sous les auspices du sacré. L’Apartheid arabo-musulman prive, ces mauritaniens, de papiers d’état civil, donc du vote, en vue de reproduire une majorité artificielle dans les urnes et perpétuer, ainsi, la domination et la jouissance de ses fruits. La Commission nationale électorale indépendante (Céni) que le passé de son président expose à la défiance, est une boîte d’agents et d’hommes de mains du ministre de l’Intérieur, ainsi que de figurants de formations triées selon le triple critère de l’impuissance, de la connivence et de l’allégeance. Les anciens putschistes, usurpateurs et détourneurs des institutions civiles, ont mis en place un mécanisme trompeur de démocratie : des partis vassalisés, d’autres alimentaires compulsifs, sans oublier la cohorte alignée dans le rang du ralliement, voici de quoi fabriquer des plébiscites discount. De facto, une seule communauté possède la faculté réelle d’écarter des concurrents, d’acheter des électeurs et de neutraliser la justice. Il n’est pas étonnant qu’elle gagne les élections, n’en déplaise aux enseignants d’arithmétique et de logique. Grace à ce procédé, en sus des coups d’Etats électoraux, comme la présidentielle de 2019, la majorité du peuple va continuer à souffrir jusqu’à l’éclatement d’une révolution violente à l’image des tristes et regrettables événements de l’île de Zanzibar, au milieu des années 60…

 

Shems Maarif : Au vu du constat que vous venez de dresser êtes-vous candidat à l’élection présidentielle prochaine ?

 

Biram Dah Abeid : Cette question doit être posée au régime en place, l’actuel chef de l’Etat et à son gouvernement ; sont-ils prêts à admettre les conditions et le verdict d’une compétition équitable et impartiale ? Sont-ils prêts à accepter qu’un courant politique présidentiel comme le Rag, cesse d’être hors-la-loi ? Sont-ils prêts à accepter qu’un mouvement social anticonformiste, allergique aux œillères comme le Fpc, participe au marché ouvert de la persuasion, argument contre argument ? Sont-ils prêts à lever les obstructions énormes et infranchissables à l’enrôlement des Mauritaniens autochtones ? Sont-ils prêts à accepter une Céni, un Conseil constitutionnel (Cc), des fichiers et codes électoraux, transparents et consensuels ? Sont-ils prêts à accepter la candidature de Biram Dah Abeid, supporteraient-ils la participation d’un candidat qui aurait dû battre Ghazouani en 2019 et pourrait y parvenir 5 ans après ? Le président Ghazouani va-t-il accepter de courir le risque de valider une candidature qui lui imposerait un deuxième tour en 2024 et l’obligerait de recourir, une seconde fois, à l’armée et à la répression pour imposer sa victoire ? Ne serait-il plus en sécurité en éliminant la candidature d’un adversaire aguerri, notoire et dangereux, au profit de candidatures faibles et convenues ? Je pense qu’il revient au pouvoir de clarifier sa prédisposition à réaliser une élection vraie ; c’est à lui de dire quelle catégorie de candidat autoriserait- il dans sa démocratie très contrôlée.

 

Shems Maarif : Quels rapports entretenez-vous avec les partis de l’opposition notamment l’UFP, le RFD qui ont engagé un dialogue avec le pouvoir ?    

 

Biram Dah Abeid  :Nous en tant que courant de l’opposition, comme toutes les fractions qui l’animent, gardions des relations de concertation et de coordination avec ces deux partis, au titre de de notre rejet commun du dernier scrutin au suffrage universel mais, à notre grande surprise, nos alliés sont brusquement revenus, d’une pêche nocturne avec, au fond du filet, un accord de connivence générale, entre le gouvernement et eux, sur le fondement de mots d’ordre et d’intention forts louables; aujourd’hui, les voici partenaires de l’Insaf, donc, membres de la majorité, c’est-à-dire comptables de son bilan et de ses erreurs.

 

Shems Maarif : Le président du parti SAWAB sous les couleurs duquel vous êtes élus à l’Assemblée nationale pour la seconde fois a écrit sur sa page FACEBOOK un commentaire très critique à l’égard des propos du président GHAZOUANI concernant la France partagez-vous ces propos ?  Vous engagent-ils ?

Biram Dah Abeid : De prime abord, il est de notoriété publique que les liens du parti de mes compagnons de Rag à ceux de Sawab, concernent plutôt les élections. Les membres du Rag n’ont pas intégré le parti Sawab et Sawab réciproquement. Certaines personnalités du Sawab, ne cachent pas leur hostilité et allergie à davantage de rapprochement avec le Rag. En vérité, l’idéologie des uns et des autres ainsi que leurs choix et priorités divergent, quant au fond et de manière décisive.

C’est pourquoi, en vertu d’une certaine forme de coordination électorale, le Rag hors-la-loi ne pouvait se présenter au vote que sous le label, le couvert d’une entité reconnue ; alors, d’entente commune, sans drame ni épanchement, les deux partis développent chacun sa stratégie, ses positions et ses discours, en toute autonomie. Par exemple, le Rag s’est retiré, en mai 2022, du dialogue concocté par le président Ghazouani lorsque nous avons été trahis ; or, Sawab est resté pour  siéger avec d’autres partis jusqu’à ce que le président Ghazouani mette un terme à l’expérience, sans consulter ses partenaires du moment. Lorsque le Chef de l’Etat et son ministre de l’Intérieur initiaient un autre dialogue à la veille des dernières élections locales et législatives anticipées, ils avaient pris le soin préalable de le restreindre à un format excluant les courants d’opinion non-autorisés ; Sawab, en toute indépendance et liberté, participa au rendez-vous. Concernant le libellé de votre question, nous assumons nos critiques à l’endroit du président Ghazouani et le parti Sawab formule les siennes propres, ceci n’est pas un problème et c’est un fait connu de tous. Par ailleurs, nous sommes entièrement d’accord avec le ministre de l’Economie, Abdessalam Mohamed Saleh, quand il rappelle que le Français est une langue d’innovation scientifique, qui fait désormais partie de notre patrimoine et personnalité culturelle ; avec l’Arabe, le Français reste notre langue de travail et d’ouverture sur le monde et d’acquisition des sciences. Je pense, pour ma part, que le véritable impérialisme qui nous a défiguré sur le plan culturel et religieux et mis en danger, à long terme notre sécurité physique et culturelle, c’est l’hégémonie wahabite ; nous dénonçons son emprise sur la vulnérabilité sociale, ses projets de domination du monde, d’occultation perpétuelle des femmes et  l’inclination de ses disciples à appliquer, le droit musulman de l’esclavage ; à cause du pétrodollar et du délire arabiste, nous avons été déracinés de chez nous, notre Islam tolérant a cédé la place aux pratiques rigoristes, ô combien étrangères à notre mémoire; le radicalisme et l’extrémisme violents nous ont infiltré, cassé notre mode de vie, la dénomination de nos paysages et lieux-dits et notre toponymie ; même les prénoms de nos enfants sont maintenant importés de la chanson de variété et du cinéma de l’Orient sémite. L’hégémonie culturelle en Mauritanie vient de l’Orient ; à l’image des relations entre nos élites tribales et quelques puissants personnages du Golfe et du Bosphore, elle prend un visage si familier et banal que l’on finit par l’ignorer, comme une évidence. De mon point de vue, la France ne représente aucun danger culturel en Mauritanie. Nous pensons aussi, que dans le monde actuel, devenu un village unique, avec des défis très grands, multiples et variés, tous les pays du monde, et surtout le nôtre, ont besoin de la proximité de grandes nations, dont certaines valeurs cardinales fondent notre lutte et la marqueront toujours ; je pense, ici, à la liberté et à l’égalité. La France et les Français en font partie.

 

Shems Maarif : Un commentaire sur le procès de l’ancien président Mohamed OULD ABDEL AZIZ.

Biram Dah Abeid : Nous pensons que ce procès pouvait être une énorme opportunité pour la Mauritanie, n’eussent était la flagrance d’une procédure ciblée, l’arrangement de l’impunité et la poursuite de la corruption, de la gabegie et du pillage, sous l’ère de son successeur. Je qualifierai, ce procès, de « gâchis »…

Shems Maarif : Vous avez eu un entretien avec l’ambassadeur de l’Union européenne, quel était l’objet de cette rencontre ?

 

Biram Dah Abeid : J’étais reçu par son Excellence l’ambassadeur de l’Union européenne (Ue) à Nouakchott, en compagnie des présidents des Fpc, Samba Thiam et du président du Rag, Oumar Yali; l’entretient s’est articulé autour d’échanges sur les questions de l’État de droits et des droits humains.

 

Shems Maarif : Mr Samba Thiam président des FPC était présent lors de cet entretien, il était également à vos côtés lors de la visite de Mr Andres Morana directeur du bureau chargé de la Mauritanie au Département d’Etat américain peut-on parler d’un rapprochement entre vous ?

 

Biram Dah Abeid : Franchement parlé, et vous pouvez remonter le fil de notre existence, dès la naissance d’IRA et de Rag, nous avons toujours été engagés jusqu’au bout, en discours et actes, dans la promotion des causes justes. Samba Thiam est parmi les portes flambeaux légitimes de la plupart de ces causes. Nous nous n’avons jamais été loin ni des victimes de l’injustice ni des porteurs de leur revendication.

 

Shems Maarif : Un mot pour la Palestine

Biram Dah Abeid : Si l’Occident ne se ressaisit pas de la pente glissante et dangereuse où l’entraîne le fasciste Netanyahu et sa bande de tueurs, le monde dit libéral et libre va devoir entamer son déclin mortel que le glas conclut. Vive le Peuple de Palestine, Vive la solution à deux États !

 

Shems Maarif

 

source : https://shemsmaarif.info/?p=3750

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