Mauritanie : des militants anti-esclavagisme torturés et condamnés à quinze ans de prison (Le Monde Afrique)
Le Mauritanien Moussa Bilal Biram en connaît un rayon en sports de combat. Agé de 51 ans, ce colosse surnommé « Senseï » est un champion de karaté et entraîne l’équipe nationale de son pays. Début juillet, il s’est retrouvé à terre dans une cellule sordide de la deuxième compagnie de police de Tevragh Zeina, à Nouakchott. Corps nu, mains menottées, pieds attachés. La nuit, un policier s’invite dans la cellule pour s’adonner à une séance de torture orchestrée par le brigadier Mohamed Didi, selon plusieurs témoins qui tiennent à préserver l’anonymat. Le karatéka hurle, tente de se débattre, implore Dieu et s’évanouit. Son voisin de cellule, Abdallahi Maatala, 47 ans, lui aussi ceinture noire, attend son tour.
Usage systématique de la torture
Cette scène est décrite avec précision dans un rapport circonstancié réalisé par l’Association mauritanienne des droits de l’homme et trois autres ONG que Le Monde Afrique a pu consulter. Les traitements réservés à Moussa Bilal Biram et à douze autres Négro-Mauritaniens y sont dénoncés, preuves à l’appui.
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Selon les autorités mauritaniennes, les membres de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA, organisation non reconnue par Nouakchott) seraient à l’origine de troubles et menacent la sécurité de l’Etat. Ces militants pacifiques seraient responsables des affrontements du 29 juin entre des habitants d’un quartier populaire que des policiers avaient pour mission d’évacuer en vue du Sommet de la Ligue arabe. Ce que l’IRA dément. Mais une instruction pour « flagrant délit » est ouverte et la traque des militants a pu commencer. Lors des arrestations, l’usage de la torture a été systématique au poste de police. Puis leurs conditions de détention se sont légèrement améliorées après leur transfèrement à la prison de Dar Naïm.
Quinze ans de prison
« Vous, gens de l’IRA, vous jouez avec le feu, tous les Bidhane [Maures] sont hyper armés, on est fatigués de les retenir, le jour où on les lâchera, ils n’hésiteront pas à vous canarder vous tous les Négro-Mauritaniens ». Tels sont les mots d’un officier de police mauritanien rapportés par treize détenus. Nombre d’entre eux souffrent toujours de lésions, de troubles neurochirurgicaux.
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Les cas les plus graves seront hospitalisés, mais la plupart seront privés de soins. Leurs aveux récoltés sous la contrainte ont alimenté un dossier judiciaire à charge. Le 13 août, treize membres de l’IRA ont ainsi été condamnés à des peines de prison allant de trois à quinze ans. Moussa Bilal Biram et Abdallahi Maatala ont été condamnés à la peine maximale pour « attroupement armé », « violences à l’égard d’agents de la force publique », « rébellion » et « appartenance à une organisation non enregistrée ».
Avec les onze autres militants de l’IRA, ils purgent leur peine à l’extrême nord du pays, dans le centre de détention de Zouérate, une ville minière reculée. L’audience en appel prévue le 20 octobre devrait s’y tenir. Loin de Nouakchott, et des regards des observateurs des droits humains. Les ONG se sont récemment tournées vers l’ONU, l’Union africaine, les institutions européennes et les chancelleries occidentales, à qui elles ont adressé ce rapport dans lequel figurent les noms de neuf cadres de la police responsables de torture. Le régime mauritanien n’a pas réagi pour le moment.